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LE TEMPS DE MON EXIL SERA BREF!

Patrice NGANANG
LE TEMPS DE MON EXIL SERA BREF!

Je suis donc libre. Oui, ils ne m’ont pas condamné à mort, alors qu’ils m’avaient à leur merci. Ils n’ont pas pu tenir ferme leurs accusations, celles-ci s’étant évaporées entre leurs propres doigts. Du Tribunal militaire au Tribunal de Grande instance au Tribunal de Première instance, ils se sont retrouvés à prendre des décisions administratives dans le bureau du Régisseur de prison, devant Secrétaire d’Etat, par instruction téléphonique sur cellulaire de Messieurs les ministres, afin de vite contrecarrer la décision publique du Juge qui m’a libéré et restitué dans tous mes droits devant tout le monde, quelques heures auparavant.

La meilleure ? Ils m’ont mis dans un avion en direction de Washington DC, alors que mon domicile américain est à New York. Ils m’ont mis dans un avion qui m’a emmené à Washington DC, alors qu’ils m’ont enlevé vingt et un jours plus tôt, d’un avion qui m’amenait plutôt à Harare, au Zimbabwe, terre libérée du tyran local, et où se trouve encore ma famille. Ils m’ont mis dans un avion, et m’ont jeté sur le Passage du milieu, m’ont jeté dans l’Océan Atlantique donc, que des millions de nos ancêtres ont fait en bateau, vendus qu’ils étaient pendant trois cent ans par des gens de leur espèce.

Extrader un Bangangte – un qui refuse l’esclavage ! – en Amérique, après lui avoir fait traverser Yaoundé, la ville de sa naissance, dans un convoi présidentiel, avec quatre garde-du-corps en cagoule et fusil supersonique pointé sur les populations, motard et sirène au devant pour clarifier son chemin !

Extrader un enfant de Nkomkana, qu’ils ont mis en menottes en route, car dans leur précipitation ils les avaient tous oubliées ! M’extrader de Yaoundé, moi, qui suis né dans les Elobi, dont le placenta est enterré à Yaoundé même, qui suis allé à l’école à l’Ecole publique de Tsinga, vendant les savons au Marché central, faisant le pèse-personne dans les bureaux de l’AT où travaillait mon Papa, qui suis allé au CES de Ngoa Ekelle, puis au lycée Leclerc, avant de devenir Parlementaire à Ngoa, moi, enfant de ce pays, fils de cette ville dont tous et chacun de mes douze livres parle de long en large, garçon de toutes ces bayam sallam, fils de tous ces Papas, moi, Nganang Alain Patrice, me remettre aux Blancs – et c’est le directeur de la Police Judiciaire lui-même qui l’a fait, accompagné de son staff de sous-directeurs, qui m’a mis dans l’avion, en maintenant dans sa poche mon passeport camerounais ! Un Américain, un Allemand, un Français peut-il arrêter, incarcérer et extrader son frère vers le Cameroun ? Vers Yaoundé ? Qui peut faire une chose pareille, sinon un que dans ma langue maternelle on appela si justement un Fam ?

Un Fam c’est quoi ? C’est un être qui manque tellement de squelette, c’est-à-dire de conscience historique, qu’il en oublie que le lit dans lequel il est couché a été bâti par le Peuple, à la demande de son Père, que le palais d’Etoudi dans lequel il habite a été bâti par le Peuple à la demande de son Père, que de son premier boulot à celui qu’il occupe aujourd’hui, c’est son Père qui lui a trouvé du travail, que de tous les prétendants qui auraient mieux que lui fait le boulot qu’il fait depuis trente-quatre ans, son Père l’a choisi, lui, parce que justement il n’avait pas de squelette, et qui, pour montrer qu’il tout de même une couille, condamne ce Père-là à mort pour Haute trahison, condamne ce Père à l’exil, abandonne le cadavre de ce Père au Sénégal, et veut être respecté par les Camerounais. Le Fam, c’est ça !

Le Cameroun, la terre de nos ancêtres, le pays de nos aïeuls, est captif d’un Fam, le dernier esclavagiste, et c’est son mauvais cœur qui dicte les directives des Gens au téléphones, décide des actes de ces gens qui m’ont arrêté, et impose les gestes de ceux qui m’ont fait répéter en avion le 27 décembre 2017, le chemin qu’ils ont fait faire à nos ancêtres en bateau, vers les Amériques !

Mais un noble Bangangte refuse l’esclavage, comme un noble Bulu refuse l’esclavage, comme un noble Moundang refuse l’esclavage, comme un noble Douala refuse l’esclavage, comme un noble Bakweri refuse l’esclavage ! Je vous ai vu et entendu, chères sœurs et frères, à ma sortie de Kondengui, des centaines vous étiez venus me dire – ‘tiens toi debout, Tanou !’, comme vous, mes frères Anglophones qui m’avez donné une standing ovation à mon entrée en prison, une centaine vous étiez aussi, tout comme les Eperviables, qui, du SG de la présidence aux autres, de même, êtes un à un venus dans mon mandat me dire ‘nous sommes avec toi, Patrice !’

Du cœur de Kondengui où, comme dans toutes les cellules où j’ai été trimballé, en quelques temps presque tous les détenus m’appelaient par mon prénom – ‘Patrice !’ –, savaient mon histoire mieux que moi, et me seraient la main et me promettaient la liberté la plus rapide, j’ai compris que ce que vous me montriez, c’est ce côté droit du cœur où bat l’Amour !

Seul l’Amour va défaire le mauvais cœur qui nous tient encore otages, et c’est en son nom que je vous remercie toutes et tous cent fois, mille fois, plusieurs milliers, des millions de fois, car c’est là votre nombre. Je dis, me lapte à ces milliers qui ont tout fait pour ma libération, de ma fille dont la lettre m’a fait battre le cœur en prison, à ces amies et amis qui ont fait mon lit de la liberté, d’où je vous écris ces mots de ma gratitude totale. Vous êtes nos milliards d’etoiles dans le ciel de cette nuit centenaire qui s’est abattue sur le Cameroun, et dans vos scintillements, vous annoncez l’arrivée proche de notre collectif matin !

Le temps de mon exil sera bref!

Concierge de la république

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