A Diego Garcia, une île de l’océan Indien située dans l’archipel des Chagos, la vie était simple, sans surprise. Avant l’aube, on se présentait devant l’administrateur chargé de répartir les tâches. Les uns gagnaient la grande case, les autres les cocoteraies et Charlésia, (l’héroïne du roman), la sécherie dans laquelle le calorifère extrayait des noix l’huile de coprah. La vie était agréable à Diego Garcia. Dans la traditionnelle caraille à fond bombé, juchée sur les quatre roches d’un foyer, on préparait le seraz : des tranches de poisson frit nappées de pulpe de coco. A tour de rôle, le samedi soir, on organisait le sega : les tambours en peau de raie donnaient la cadence et dans la lumière des lampes, on dansait.
Mais un jour, une injonction fut donnée aux habitants. « Il fallait partir. Là. Maintenant. Tout de suite. C’était un ordre. Sans discussion. Sans appel. Sans raison. Il fallait partir. » A la nuit tombée, le bâtiment chargé d’une population hagarde et pétrifiée prit le large et sa cargaison humaine quitta Diego Garcia pour ne plus y revenir.
Désormais Charlésia vit en exil à l’Ile Maurice. Elle est « une femme-vigie » enracinée sur un quai dans l’attente vaine du bateau qui pourrait la ramener sur son île, oubliant que des lois britanniques lui en interdisent l’accès.
Shenaz Patel nous raconte une tragédie humaine provoquée par des gouvernements sans scrupules. Pour mieux comprendre voici quelques repères contextuels. Dans l’océan Indien, en 1967, l’archipel des Chagos (Salomon, Egmont, Diego Garcia…) devient une base militaire étatsunienne avec la bénédiction des autorités britanniques. Toute la région est alors vidée de ses habitants. En 1968, l’île Maurice devient souveraine; elle ne se préoccupe pas du sort des expatriés chagossiens. L’abandon par Maurice du territoire des Chagos a été une des conditions à accepter pour pouvoir négocier son indépendance ; l’ONU tentant en vain de s’opposer à ce viol avéré de l’intégrité du territoire. Mais c’est la Grande Bretagne qui mène le jeu et dés 1966, elle a loué Diego Garcia aux Etats-Unis, qui ont fait de cette île, en tant que gendarme du monde, un élément essentiel de leur dispositif militaire global. A u début des années 80, les exilés forcés reçoivent une indemnité. Et Shenaz Patel d’expliquer par la voix d’un de ses personnages : « Ce n’est que par la suite que nous avons su que ce papier signifiait que nous renoncions à notre droit au retour. Comme si cela pouvait s’acheter, se vendre. Comme si on pouvait déterrer son nombril de l’endroit où il est enterré. »
Ces populations (dont les descendants ne cessent de réclamer justice) ont été sacrifiées au nom d’intérêts économiques, politiques et militaires. Shenaz Patel, journaliste mauricienne, nous rappelle de façon magistrale que trop souvent, c’est ainsi que s’écrit l’histoire des Hommes.
Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES