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LE QUOTIDIEN DES ESCLAVES MALGACHES EN ÎLE DE FRANCE

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 LE QUOTIDIEN DES ESCLAVES MALGACHES EN ÎLE DE FRANCE

Dans sa lettre XII intitulée « Des Noirs », Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre relate le quotidien des esclaves en Île de France (Maurice actuelle). C’est à Madagascar, précise-t-il, qu’on va chercher les Noirs destinés à la culture des terres. « On achète un homme pour un baril de poudre, pour des fusils, des toiles et surtout des piastres. Le plus cher ne coûte guère que 50 écus. » Les parents, les amis, les couples sont séparés. « Ils se désespèrent; ils s’imaginent que les Blancs les vont manger ; qu’ils font du vin rouge avec leur sang et de la poudre à canon avec leurs os. »

A l’aube, trois coups de fouet les appellent à l’ouvrage. « Chacun se rend avec sa pioche dans les plantations où il travaille presque nu sous l’ardeur du soleil. On leur donne pour nourriture du maïs broyé, cuit à l’eau, ou des pains de manioc; pour habit un morceau de toile. A la moindre négligence, on les attache par les pieds et par les mains sur une échelle. Le commandeur, armé d’un fouet de poste, leur donne sur le derrière nu, cent et jusqu’à deux cents coups. Chaque coup enlève une portion de la peau. Ensuite on détache le misérable tout sanglant ; on lui met au cou un collier de fer à trois pointes et on le ramène au travail. Il y en a qui sont plus d’un mois avant d’être en état de s’asseoir. Les femmes sont punies de la même manière. »

De retour dans leurs cases le soir, ils doivent prier le Dieu des Blancs « pour la prospérité de leurs maîtres » et avant de se coucher, ils doivent leur souhaiter une bonne nuit.

Bernardin de Saint-Pierre parle également du Code Noir, la fameuse ordonnance de 1685 portant statut légal de l’esclavage. « Cette loi favorable ordonne qu’à chaque punition, ils ne recevront pas plus de trente coups, qu’ils ne travailleront point le dimanche, qu’on leur donnera de la viande toutes les semaines, des chemises tous les ans ; mais on ne suit point la loi. »

Et l’attitude des Créoles envers leurs esclaves déteint sur leurs chiens. « Ces derniers ont adopté les sentiments de leurs maîtres et au moindre signal, ils se jettent avec fureur sur les esclaves. »

Les plus malheureux sont les esclaves âgés.

« Quelquefois quand ils sont vieux, on les envoie chercher leur vie comme ils peuvent. Un jour, j’en vis un qui n’avait que la peau et les os, découper la chair d’un cheval mort pour la manger. C’était un squelette qui en dévorait un autre. »

Quand les Européens s’émeuvent de leurs conditions de vie, « les habitants (Créoles) leur disent qu’ils ne connaissent pas les Noirs». « Ils les accusent d’être si gourmands qu’ils vont la nuit enlever des vivres dans les habitations voisines ; si paresseux qu’ils ne prennent aucun intérêt aux affaires de leurs maîtres; et que leurs femmes sont des mères de famille si misérables qu’elles aiment mieux se faire avorter que de mettre des enfants au monde » pour être à leur tour asservis jusqu’à leur mort !

Selon Bernardin de Saint-Pierre, les esclaves malgaches ont un caractère naturellement enjoué, « mais après quelque temps d’esclavage, ils deviennent mélancoliques. L’amour seul semble encore charmer leurs peines (…) Quand ils aiment, ils ne craignent ni la fatigue ni les châtiments. »

Lorsque les esclaves n’arrivent plus à supporter leur sort, ils réagissent par des actes désespérés. « Les uns se pendent ou s’empoisonnent, d’autres se mettent dans une pirogue et, sans voiles, sans vivres, sans boussole, se hasardent à faire un trajet de deux cents lieues de mer pour retourner à Madagascar. On en a vu aborder, on les a repris et rendus à leurs maîtres. »

Mais d’ordinaire, ils se réfugient dans les bois où on leur fait la chasse avec des détachements de soldats, de Noirs et de chiens. « Il y a des habitants qui s’en font une partie de plaisir. On les relance comme des bêtes sauvages. Lorsqu’on peut les atteindre, on les tue à coup de fusil, on leur coupe la tête, on la porte en triomphe à la ville au bout d’un bâton. Voilà ce que je vois presque toutes les semaines. »

Il arrive aussi que, quand on les attrape, on leur coupe une oreille et on les fouette. Mais « à la seconde désertion, ils sont fouettés, on leur coupe un jarret, on les met à la chaîne. A la troisième fois, ils sont pendus ; mais alors on ne les dénonce pas: les maîtres craignent de perdre leur argent. » Pour certains d’ailleurs, c’est une joie de mourir car la mort les délivre de leurs souffrances.

« Car ce n’est pas que la religion ne cherche pas à les consoler; de temps en temps on les baptise. On leur dit qu’ils sont devenus frères des Blancs et qu’ils iront au paradis. Mais ils ne sauraient croire que les Européens puissent jamais les mener au ciel. Ils disent qu’ils sont sur la terre la cause de tous leurs maux; qu’avant d’aborder chez eux, ils se battaient avec des bâtons ferrés; que nous leur avons appris à se tuer de loin avec du feu et des balles; que nous excitons parmi eux la guerre et la discorde afin d’avoir des esclaves à bon marché; qu’ils suivaient sans crainte l’instinct de la nature, que nous les avons empoisonnés par des vivres, et qu’on les bat cruellement sans raison (…) Une esclave presque blanche vint un jour se jeter à mes pieds: sa maîtresse la faisait lever de grand matin et veiller fort tard; lorsqu’elle s’endormait, elle lui frottait les lèvres d’ordures; si elle ne léchait pas, elle la faisait fouetter. Elle me priait de demander sa grâce que j’obtins. Souvent les maîtres l’accordent et deux jours après, ils doublent la punition ! »

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