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LE "JOURNAL DE PRISON" DE RAPHAEL CONFIANT (5è partie)

LE "JOURNAL DE PRISON" DE RAPHAEL CONFIANT (5è partie)

   Même les terribles inondations qui ont secoué la Martinique ces derniers jours n'ont pas réussi à étouffer la bonne nouvelle, celle que tant de gens honnêtes attendaient depuis si longtemps : le placement dans la charmante bourgade de Ducos, au lieu-dit Champigny, de l'un des plus dangereux délinquants que la Martinique ait connu ces dernières années : Raphaël Confiant. Il paraît que ceux qui l'ont, grâce à leur opiniâtreté, fait tomber ne cessent depuis lors de sabler le champagne et de fumer de la ganja premier choix. Le trio d'inspecteurs Célimène alias Cour-des-comptes, Chauvet alias Face-de-rat-d'égout et Cruse-la-Ganja restera dans les annales policières de notre île comme la brillante équipe qui a réussi à mettre au grand jour les malversations financières à hauteur de 10 millions d'euros de l'écrivain-universitaire, somme qu'il a patiemment, trois décennies durant piquées dans les caisses de notre université. Le Premier ministre prévoit même de décorer à titre exceptionnel ces trois vaillants citoyens de la Grand Croix de la Légion d'Honneur.
   Quant au pensionnaire de Ducos, il se morfond dans sa cellule, espérant une improbable libération conditionnelle, et griffonne son journal de bord qu'il nous fait parvenir par mail, la direction de l'établissement pénitentiaire lui ayant octroyé 2h d'Internet par jour...

 
                                                                                 ***
 
   Après la visite de Tatie Freud, enfin je veux dire la psychologue qui passe voir si par hasard les détenus ne seraient pas en proie à des pulsions suicidaires, j'ai passé l'une des plus mauvaises nuits de ma vie. Eh oui, j'ai dormi, moi l'insomniaque ! Et comme un loir en plus. Tiens, pendant que j'y pense, c'est quoi un loir au fait ? Jamais vu ce quadrupède ! A quoi peut-il bien ressembler ? A un mannikou ? Ou alors une mangouste. Foutue langue française, va ! Heureusement qu'on a notre ti kréyol à nous qui dit "dòmi kon an lous mamé". Hé merde, pendant que j'y pense, on n'a pas d'ours dans nos contrées tropicales, sans compter que ce "mamé", c'est mystère et boule de gomme.
   Vous voyez, je perds la boule ! Au lieu de penser à ma situation et à sa gravité, au lieu de peaufiner les arguments pour ma défense, voici que je me perds en oiseuses cogitations linguistiques comme ces conards de créolistes qui entourent la Délinquante en chef qui a pris en otage mon université à moi depuis trente ans et qui est la cause directe de ma présente incarcération. Bon, faut pas que j'exagère quand même, une dizaine d'années avant son arrivée sur le trône du royaume de Ravine-Touza-Fouillole, j'avais déjà vu le boulet passer à quelques centimètres de mon nez. Une bande de nazes m'avait déjà fait passer devant un tribunal universitaire, morts de trouille qu'ils étaient à cause d'un premier rapport de la Cour des comptes qui pointait du doigt mes activités commerciales. Hier soir, Tatie Freud s'était payée de ma tronche en me rappelant qu'un fonctionnaire de la République Une et Indivisible n'avait pas le droit de s'adonner à ce genre de passe-temps selon l'article numéro-machin de la loi-machin-chouette.
    Pff ! Non mais quoi, ils enseignent bien le droit et font avocat, ils enseignent bien la littérature et sont écrivains, ils enseignent bien les langues vivantes et font interprètes etc...Pourquoi moi, j'enseignerais pas l'économie et ne ferais pas gérant de société commerciale ? Pas logique, leur truc ! Ben, heureusement finalement que j'ai dormi hier soir, chose qui ne m'était pas arrivée depuis Mathieu Salem. Ca m'a permis de trouver cet argument imparable que je refilerai à mon avocat qui doit passer me rendre visite tout à l'heure. C'est moi qui paie cette grande perche prétentieuse et c'est encore moi qui doit lui fournir des idées pour ma défense. C'est carrément le monde à l'envers. Du grand n'importe quoi ! Enfin bref...

   Deux taulards se sont amochés le visage lors de la douche de ce matin parce que l'un aurait traité l'autre de "makoumè". Pas de quoi rire car quand on est derrière les barreaux, on ne sait pas grand chose de ce qui se passe à l'air libre, enfin l'air oxygéné à l'oxyde de carbone plutôt. Ces deux gars-là ne savent même pas qu'une loi pour le mariage pour tous a été votée si ça se trouve. Dans le couloir où se trouve ma cellule, c'est tout calme car approche l'heure la plus terrible de la fin d'après-midi, celle où la journée est entre chien et loup (jamais vu ce dernier non plus, tout comme le loir) et où l'on sent une angoisse s'emparer de vous. Le temps semble comme suspendu et en taule, on n'est jamais très loin de la corde au pendu. Par bonheur, mon avocat débarque tout essoufflé. Il n'a pas beaucoup de temps à me consacrer car les visites vont fermer dans pas longtemps.

   __Vous avez réfléchi au basique ? me lance-t-il tout de go en balançant son gros sac noir sur mon lit.

   __Comment ça ?

   __Ben oui, quoi, faudra commencer par démonter les accusations les moins graves. Tenez, votre portable professionnel sur lequel vous aviez des fois huit mille euros de factures mensuelles__c'est écrit dans le deuxième rapport de la Cour des comptes__, vous appeliez qui comme ça déjà ?

   Je dois contrôler mon ire qui risque d'être irrépressible. Qu'est-ce qu'ils ont tous à me casser les roubignoles avec leur basique je ne sais quoi ?

   __Je...je téléphonais un peu partout à travers le monde...vous savez, le MIACEREG travaille avec le Japon, le Venezuela, Haïti, l'Ouzbékistan etc...on n'est pas un petit groupe de recherches à la con qui observe son nombril comme celui de ses conards par la faute de qui je suis ici...

   __Mais encore ?

   __Je téléphonais aussi à la Banque mondiale, au FMI, au G20 et...

   __Au G20 ? Celui d'ici ? Celui du Triangle des bermudas. Enfin du triangle Rivière-Pilote-Sainte-Marie-Prêcheur, je veux dire...

   Non, mais je paie ce mec, et grassement si j'en juge par le nombre d'avocats qui tirent le diable par la queue à cause de clients désargentés et il se paie le luxe de me tourner en bourrique en plus. Je me retire en mon for intérieur et il comprend dès lors qu'il ne pourra plus m'arracher un mot sauf en présence de mon avocat...heu, qu'est-ce que je raconte ? C'est lui mon avocat...Je m'allonge alors sur mon grabat et lui tourne le dos. Il appelle le maton et s'en va de son habituel pas de panthère rose.

   __Au fait, on t'a mis une chaîne en français finalement. Ce soir y'a un super-débat politique, regarde-le ! me lance le maton, hilare.

   Ouais, bof ! Les politicards me saoulent, sauf quand ils me laissent les mains libres ou bien m'ouvrent leur parapluie. Le repas du soir est très silencieux au réfectoire. Ca arrive de temps à autre. En taule, la testostérone peut descendre en-dessous de zéro. Seul un emmerdeur qui a violé une vieille dame, je crois, me lance "Hé, Ti Coca, ça roule ?". Des fois, il me surnomme "Court-sur-pattes". Je le snobe ou plus précisément, je ne prends pas sa hauteur. De retour dans ma cellule, j'ouvre machinalement la télé, zappe CNN et FOX NEWS, puis tombe sur MARTINIQUE 1è et le fameux débat annoncé. Je zieute ce cirque d'un œil distrait lorsque la journaleuse lance un débat sur l'insécurité et la délinquance. J'ai soudain les boules ! Je me crispe tout bonnement. Et si le débat arrivait sur le MIACEREG et les 10 millions d'euros envolés ? Si mon nom de grand délinquant, selon mes ennemis, en venait à être prononcé ? Car ils peuvent écrire toutes leurs âneries sur leurs sites-web à la con, rien à fout' ! Ti Sonson ne lit pas ça. Mais là, vu que la télé est devenue l'instrument de culture des masses populaires de Macouba à Saint-Anne, si jamais on me nomme, je suis dans la merde. Et puis pendant qu'ils y sont, ils sont capables d'évoquer les Vedettes Madinina, les magasins de chaussures en faillite et les trois-cent mille euros de loyers impayés, le système de paiement EXPAY, BOODOM, la Tour Lumina sans lumières, les couvoirs du Saint-Esprit, le téléphérique vert-Nord, les fils et les neveux mêlés à des trafics de poudre à rêver et j'en passe.

   Je vis un moment cauchemardesque. Si je croyais en Dieu, je lui aurais récité quarante Notre Père d'affilée. J'ai le front couvert de sueur, mon cœur chamade comme un cheval fou, je me ronge mes dernièrs ongles, je suis au bord de faire sur moi. Mais ô miracle ! Le plateau ne parle que des petits voleurs de mobylette, les chapardeurs de smartphones, les petits braqueurs avec des "guns" ou des fusils à canon scié, les dealers de "zeb" et autres racketteurs de bas niveau. OUF ! Bravo, les gars, vous avez bien raison, c'est ça la délinquance ! La vraie délinquance, je veux dire. L'autre, celle dont je suis faussement accusé, elle a jamais tué personne que je sache. En tout cas pas directement.

   Avant de me plonger dans un sommeil réparateur, je me promets d'envoyer un mot de remerciement à ceux qui ont organisé ce débat, puis j'imite le loir...

                                                                                                (à suivre)

 

Commentaires

Apache | 12/11/2015 - 21:49 :
On reconnaît le talent de l'écrivain. Ironie, fusion des personnalités, humour, tout y est!

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