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LE DISCOURS COMPLET DE VICTOR HUGO SUR L'AFRIQUE

LE DISCOURS COMPLET DE VICTOR HUGO SUR L'AFRIQUE

{ {{Le discours complet de Victor Hugo sur l'Afrique est disponible dans son
intégralité sur le site du projet Gutenberg [ICI->http://www.gutenberg.org/etext/8490]

Il s'agit de la série "Victor Hugo, Actes et paroles" du projet Gutenberg.

Il faut aller à la partie "DISCOURS SUR L'AFRIQUE".

Ce recueil contient d'autres discours de V. Hugo.}} }

{{DISCOURS SUR L'AFRIQUE}}

Le dimanche 18 mai 1879, un banquet commémoratif de l'abolition de
l'esclavage réunissait, chez Bonvalet, cent vingt convives.

Victor Hugo présidait. Il avait à sa droite MM. Schoelcher, l'auteur
principal du décret de 1848 abolissant l'esclavage, et Emmanuel Arago,
fils du grand savant républicain qui l'a signé comme ministre de la
marine; à sa gauche, MM. Crémieux et Jules Simon.

On remarquait dans l'assistance des sénateurs, des députés, des
journalistes, des artistes.

Il y a eu un incident touchant. Un nègre aveugle s'est fait conduire à
Victor Hugo. C'est un nègre qui a été esclave et qui doit à la France
d'être un homme.

Au dessert, M. Victor Schoelcher a dit les paroles suivantes:

Cher grand Victor Hugo,

La bienveillance de mes amis, en me donnant la présidence honoraire du
comité organisateur de notre fête de famille, m'a réservé un honneur
et un plaisir bien précieux pour moi, l'honneur et le plaisir de vous
exprimer combien nous sommes heureux que vous ayez accepté de
nous présider. Au nom de tous ceux qui viennent d'acclamer si
chaleureusement votre entrée, au nom des vétérans anglais et français
de l'abolition de l'esclavage, des créoles blancs qui se sont
noblement affranchis des vieux préjugés de leur caste, des créoles
noirs et de couleur qui peuplent nos écoles ou qui sont déjà lancés
dans la carrière, au nom de ces hommes de toute classe, réunis pour
célébrer fraternellement l'anniversaire de l'émancipation,--je vous
remercie d'avoir bien voulu répondre à notre appel.

Vous, Victor Hugo, qui avez survécu à la race des géants, vous le
grand poète et le grand prosateur, chef de la littérature moderne,
vous êtes aussi le défenseur puissant de tous les déshérités, de tous
les faibles, de tous les opprimés de ce monde, le glorieux apôtre du
droit sacré du genre humain. La cause des nègres que nous soutenons,
et envers lesquels les nations chrétiennes ont tant à se reprocher,
devait avoir votre sympathie; nous vous sommes reconnaissants de
l'attester par votre présence au milieu de nous.

Cher Victor Hugo, en vous voyant ici, et sachant que nous vous
entendrons, nous avons plus que jamais confiance, courage et espoir.
Quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier; de cette
étroite enceinte où nous sommes enfermés, elle pénétrera jusqu'au
coeur de l'Afrique, sur les routes qu'y fraient incessamment
d'intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations
encore dans l'enfance, et leur enseigner la liberté, l'horreur de
l'esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine; votre
parole, Victor Hugo, aura puissance de civilisation; elle aidera
ce magnifique mouvement philanthropique qui semble, en tournant
aujourd'hui l'intérêt de l'Europe vers le pays des hommes noirs,
vouloir y réparer le mal qu'elle lui a fait. Ce mouvement sera une
gloire de plus pour le dix-neuvième siècle, ce siècle qui vous a vu
naître, qui a établi la république en France, et qui ne finira pas
sans voir proclamer la fraternité de toutes les races humaines.

Victor Hugo, cher hôte vénéré et admiré, nous saluons encore votre
bienvenue ici, avec émotion.

Après ces paroles, dont l'impression a été profonde, Victor Hugo s'est
levé et une immense acclamation a salué longtemps celui qui a toujours
mis son génie au service de toutes les souffrances.

Le silence s'est fait, et Victor Hugo a prononcé les paroles qui
suivent:

Messieurs,

Je préside, c'est-à-dire j'obéis; le vrai président d'une réunion
comme celle-ci, un jour comme celui-ci, ce serait l'homme qui a eu
l'immense honneur de prendre la parole au nom de la race humaine
blanche pour dire à la race humaine noire: Tu es libre. Cet homme,
vous le nommez tous, messieurs, c'est Schoelcher. Si je suis à cette
place, c'est lui qui l'a voulu. Je lui ai obéi.

Du reste, une douceur est mêlée à cette obéissance, la douceur de me
trouver au milieu de vous. C'est une joie pour moi de pouvoir presser
en ce moment les mains de tant d'hommes considérables qui ont laissé
un bon souvenir dans la mémorable libération humaine que nous
célébrons.

Messieurs, le moment actuel sera compté dans ce siècle. C'est un point
d'arrivée, c'est un point de départ. Il a sa physionomie: au nord
le despotisme, au sud la liberté; au nord la tempête, au sud
l'apaisement.

Quant à nous, puisque nous sommes de simples chercheurs du vrai,
puisque nous sommes des songeurs, des écrivains, des philosophes
attentifs; puisque nous sommes assemblés ici autour d'une pensée
unique, l'amélioration de la race humaine; puisque nous sommes, en
un mot, des hommes passionnément occupés de ce grand sujet, l'homme,
profitons de notre rencontre, fixons nos yeux vers l'avenir;
demandons-nous ce que fera le vingtième siècle. (_Mouvement
d'attention._)

Politiquement, vous le pressentez, je n'ai pas besoin de vous le dire.
Géographiquement,--permettez que je me borne à cette indication,--la
destinée des hommes est au sud.

Le moment est venu de donner au vieux monde cet avertissement: il
faut être un nouveau monde. Le moment est venu de faire remarquer à
l'Europe qu'elle a à côté d'elle l'Afrique. Le moment est venu de dire
aux quatre nations d'où sort l'histoire moderne, la Grèce, l'Italie,
l'Espagne, la France, qu'elles sont toujours là, que leur mission
s'est modifiée sans se transformer, qu'elles ont toujours la même
situation responsable et souveraine au bord de la Méditerranée, et
que, si on leur ajoute un cinquième peuple, celui qui a été
entrevu par Virgile et qui s'est montré digne de ce grand regard,
l'Angleterre, on a, à peu près, tout l'effort de l'antique genre
humain vers le travail, qui est le progrès, et vers l'unité, qui est
la vie.

La Méditerranée est un lac de civilisation; ce n'est certes pas pour
rien que la Méditerranée a sur l'un de ses bords le vieil univers
et sur l'autre l'univers ignoré, c'est-à-dire d'un côté toute la
civilisation et de l'autre toute la barbarie.

Le moment est venu de dire à ce groupe illustre de nations:
Unissez-vous! allez au sud.

Est-ce que vous ne voyez pas le barrage? Il est là, devant vous, ce
bloc de sable et de cendre, ce monceau inerte et passif qui, depuis
six mille ans, fait obstacle à la marche universelle, ce monstrueux
Cham qui arrête Sem par son énormité,--l'Afrique.

Quelle terre que cette Afrique! L'Asie a son histoire, l'Amérique a
son histoire, l'Australie elle-même a son histoire; l'Afrique n'a pas
d'histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l'enveloppe. Rome
l'a touchée, pour la supprimer; et, quand elle s'est crue délivrée de
l'Afrique, Rome a jeté sur cette morte immense une de ces épithètes
qui ne se traduisent pas: _Africa portentosa!_ (_Applaudissements._)
C'est plus et moins que le prodige. C'est ce qui est absolu dans
l'horreur. Le flamboiement tropical, en effet, c'est l'Afrique. Il
semble que voir l'Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil
est un excès de nuit.

Eh bien, cet effroi va disparaître.

Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples
libres, la France et l'Angleterre, ont saisi l'Afrique; la France la
tient par l'ouest et par le nord; l'Angleterre la tient par l'est
et par le midi. Voici que l'Italie accepte sa part de ce travail
colossal. L'Amérique joint ses efforts aux nôtres; car l'unité des
peuples se révèle en tout. L'Afrique importe à l'univers. Une telle
suppression de mouvement et de circulation entrave la vie universelle,
et la marche humaine ne peut s'accommoder plus longtemps d'un
cinquième du globe paralysé.

De hardis pionniers se s'ont risqués, et, dès leurs premiers pas, ce
sol étrange est apparu réel; ces paysages lunaires deviennent des
paysages terrestres. La France est prête à y apporter une mer. Cette
Afrique farouche n'a que deux aspects: peuplée, c'est la barbarie;
déserte, c'est la sauvagerie; mais elle ne se dérobe plus; les lieux
réputés inhabitables sont des climats possibles; on trouve partout
des fleuves navigables; des forêts se dressent, de vastes branchages
encombrent çà et là l'horizon; quelle sera l'attitude de la
civilisation devant cette faune et cette flore inconnues? Des lacs
sont aperçus, qui sait? peut-être cette mer Nagaïn dont parle la
Bible. De gigantesques appareils hydrauliques sont préparés par la
nature et attendent l'homme; on voit les points où germeront des
villes; on devine les communications; des chaînes de montagnes se
dessinent; des cols, des passages, des détroits sont praticables; cet
univers, qui effrayait les romains, attire les français.

Remarquez avec quelle majesté les grandes choses s'accomplissent. Les
obstacles existent; comme je l'ai dit déjà, ils font leur devoir, qui
est de se laisser vaincre. Ce n'est pas sans difficulté.

Au nord, j'y insiste, un mouvement s'opère, le _divide ut regnes_
exécute un colossal effort, les suprêmes phénomènes monarchiques se
produisent. L'empire germanique unit contre ce qu'il suppose l'esprit
moderne toutes ses forces; l'empire moscovite offre un tableau plus
émouvant encore. A l'autorité sans borne résiste quelque chose qui
n'a pas non plus de limite; au despotisme omnipotent qui livre des
millions d'hommes à l'individu, qui crie: Je veux tout, je prends
tout! j'ai tout!--le gouffre fait cette réponse terrible: _Nihil_. Et
aujourd'hui nous assistons à la lutte épouvantable de ce Rien avec ce
Tout. (_Sensation_.)

Spectacle digne de méditation! le néant engendrant le chaos.

La question sociale n'a jamais été posée d'une façon si tragique, mais
la fureur n'est pas une solution. Aussi espérons-nous que le vaste
souffle du dix-neuvième siècle se fera sentir jusque dans ces régions
lointaines, et substituera à la convulsion belliqueuse la conclusion
pacifique.

Cependant, si le nord est inquiétant, le midi est rassurant. Au sud,
un lien étroit s'accroît et se fortifie entre la France, l'Italie et
l'Espagne. C'est au fond le même peuple, et la Grèce s'y rattache, car
à l'origine latine se superpose l'origine grecque. Ces nations ont la
Méditerranée, et l'Angleterre a trop besoin de la Méditerranée pour se
séparer des quatre peuples qui en sont maîtres. Déjà les États-Unis du
Sud s'esquissent ébauche évidente des États-Unis d'Europe. (_Bravos._)
Nulle haine, nulle violence, nulle colère. C'est la grande marche
tranquille vers l'harmonie, la fraternité et la paix.

Aux faits populaires viennent s'ajouter les faits humains; la forme
définitive s'entrevoit; le groupe gigantesque se devine; et, pour ne
pas sortir des frontières que vous vous tracez à vous-mêmes, pour
rester dans l'ordre des choses où il convient que je m'enferme, je me
borne, et ce sera mon dernier mot, à constater ce détail, qui n'est
qu'un détail, mais qui est immense: au dix-neuvième siècle, le blanc a
fait du noir un homme; au vingtième siècle, l'Europe fera de l'Afrique
un monde. (_Applaudissements._)

Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la
civilisation, tel est le problème. L'Europe le résoudra.

Allez, Peuples! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui? à
personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes,
Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient
la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais
pour la charrue; non pour le sabre, mais pour le commerce; non pour la
bataille, mais pour l'industrie; non pour la conquête, mais pour la
fraternité. (_Applaudissements prolongés_.)

Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez
vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires.
Allez, faites! faites des routes, faites des ports, faites des villes;
croissez, cultivez, colonisez, multipliez; et que, sur cette terre,
de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l'Esprit divin
s'affirme par la paix et l'Esprit humain par la liberté!

Ce discours, constamment couvert d'applaudissements enthousiastes,
a été suivi d'une explosion de cris de: Vive Victor Hugo! vive la
république!

M. Jules Simon, invité par l'assemblée à remercier son glorieux
président, s'est acquitté de la tâche dans une improvisation, d'abord
familière et spirituelle, et qui s'est élevée à une vraie éloquence
lorsqu'il a dit que c'était aux émancipés, qui avaient tant souffert
du préjugé et de l'oppression, à combattre plus que personne à
l'avant-garde de la vérité et du droit.

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