On comprend donc que les hommes qui ont été « balancés », accusés d’harcèlement, d’abus ou d’agressions sexuelles par des femmes sont… « victimes » d’une « justice expéditive ». Plus loin dans la tribune, le collectif féminin déclare : « Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d’importuner. Et nous considérons qu’il faut savoir répondre à cette liberté d'importuner autrement qu’en s’enfermant dans le rôle de la proie. Pour celles d'entre nous qui ont choisi d'avoir des enfants, nous estimons qu’il est plus judicieux d’élever nos filles de sorte qu’elles soient suffisamment informées et conscientes pour pouvoir vivre pleinement leur vie sans se laisser intimider ni culpabiliser ».
Récapitulons. Tandis que les hommes accusés de violences ou d’agressions sexuelles seraient des «victimes», les femmes qui ont dit « Non », sans succès, puis qui ont eu le courage de désigner leur harceleur ou agresseur, devraient cesser de se conduire en «proies » se laissant « intimider et culpabiliser ». D’un côté (masculin), il y a les indiscutables « victimes » ; de l’autre (féminin), celles qui doivent s’émanciper « du statut d'éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l'emprise de phallocrates démons, comme au bon vieux temps de la sorcellerie ». Ou comment victimiser ses frères de classe suspects tout en admonestant celles qui osent dénoncer leur oppresseur. On est décidément pas très loin du policier demandant à une plaignante si ce n’est pas elle qui aurait «provoqué» son agresseur…
Toutes à la défense de leurs amis porcs et friqués (Roman Polanski, Jean-Claude Brisseau, etc.), les signataires oublient opportunément certains membres de leur classe dorée. Par exemple, le journaliste et présentateur engagé Frédéric Haziza (LCP). L’individu fait l’objet d’une plainte pour « agression sexuelle » déposée par sa collègue Astrid de Villaines (4). Suspendu le 21 novembre dernier par la direction de LCP, Haziza se verra réintégré à son poste ce 11 janvier. Quelle « cruelle » sanction professionnelle ! Toujours distraites, les signataires oublient aussi l’ex-directeur de l’information de France 2, Eric Monnié, actuel directeur de la rédaction de LCI. Visé par une plainte pour « harcèlement moral et sexuel » déposée par la journaliste Anne Saurat-Dubois, plainte confortée par 12 témoignages concordants de journalistes femmes ayant travaillé sous l’autorité de Monnié, le présumé harceleur ne subira aucune sanction ni suspension professionnelles durant l’enquête. Sauvé par la prescription, Monnié a vu les faits qualifiés contre lui « classés sans suite » par le Parquet de Paris (5). C’est sûr, mesdames, rarement vu «sanction» aussi éclatante…
En se sortant la tête du sable, on peut spéculer sur le fait que ces 2 exemples de mansuétude professionnelle ne relèvent pas de cas isolés. La lutte est donc loin d’être terminée avant d’envoyer « les porcs à l’abattoir » tel que le pleurent déjà les signataires mondaines. Du reste, féministes et plaignantes cherchent moins à « contraindre à la démission » qu’à mettre fin aux harcèlements et agressions sexuelles au travail ainsi qu’à leur minimisation par les détenteurs, souvent masculins, du pouvoir de sanction.
Y'A BON LA CULTURE DU VIOL
Par facilité et réflexe people, les médias reprenant l’infecte tribune ont présenté Catherine Deneuve comme l’incarnation principale du collectif. Mais on pourrait aussi s’intéresser à Sophie de Menthon, autre signataire, présidente du Mouvement ETHIC (Entreprises à Taille Humaine Indépendantes et de Croissance) et membre du CESE (Comité Economique et Social Européen). Y aura-t-il un média pour rappeler en quels termes profondément odieux et sexistes, Sophie de Menthon évoquait le deal financier intervenu devant un tribunal civil américain entre Nafissatou Diallo et Dominique Strauss-Khan ?
Dans le doute, rappelons-les : « La justice n’est pas là pour être le Lotto ou le Père Noël ! Il y a un moment où il faut raison garder avec ces sommes astronomiques ! Tu veux que je sois politiquement incorrecte : je me demande - c’est peut-être épouvantable de dire de ça - si ce n’est pas une chance ? Elle [Nafissatou Diallo] a dit que c’était une chance pour sa fille. Elle a aussi touché de l’argent parce qu’elle a été accusée d’être une prostituée par un journal américain qui a été obligé de payer ! Donc, ça lui a déjà fait de l’argent. Et je me demande - c’est horrible à dire - si ce n’est pas ce qui lui est arrivé de mieux ? […] Je pense que l’argent qu’elle a gagné, qui lui permet d’élever sa fille, elle ne l’aurait jamais eu dans toute son existence et j’espère qu’elle oubliera ce moment extrêmement désagréable… Y a des femmes dans la rue, je suis sûre qu’elles ont pensé ça, en disant : ‘Moi, si j’étais femme de chambre dans un hôtel, j’aimerais que ça m’arrive’... Je me demande si ce n’est pas une chance d’avoir touché une somme pareille [1,5 million de dollars] dans la vie qu’elle avait » (6).
Pour ses propos abjects tenus en 2013, Sophie de Menthon fut évincée de l’émission radio «Les Grandes Gueules» (RMC). Juxtaposons maintenant l’aspect « traîtrise et complicité » au patriarcat que réfutent les 100 signataires de la tribune du Monde. Non seulement le dérapage commis par la signataire de Menthon est d’un sexisme achevé mais celui-ci servit aussi de tremplin pour « libérer» la parole de son ex-collègue Franck Tanguy. Ce porc balancera sur les ondes : « Le destin de cette femme [Nafissatou Diallo] est extraordinaire. Il y a un an, c’était une femme de ménage qui gagnait 1000 €… Pardonne-moi, c’est un conte de fées ! Elle était clandestine, elle avait menti pour entrer aux Etats-Unis… Non, ce n’est pas pretty woman ! C’est très-moche-woman, en l’espèce. C’est quand même un tromblon extraordinaire ! Elle a rien pour elle, elle sait pas lire, pas écrire, elle est moche comme un cul et elle gagne 1, 5 million ! C’est quand même extraordinaire cette histoire ! ».
Dans le doute, rappelons-les : « La justice n’est pas là pour être le Lotto ou le Père Noël ! Il y a un moment où il faut raison garder avec ces sommes astronomiques ! Tu veux que je sois politiquement incorrecte : je me demande - c’est peut-être épouvantable de dire de ça - si ce n’est pas une chance ? Elle [Nafissatou Diallo] a dit que c’était une chance pour sa fille. Elle a aussi touché de l’argent parce qu’elle a été accusée d’être une prostituée par un journal américain qui a été obligé de payer ! Donc, ça lui a déjà fait de l’argent. Et je me demande - c’est horrible à dire - si ce n’est pas ce qui lui est arrivé de mieux ? […] Je pense que l’argent qu’elle a gagné, qui lui permet d’élever sa fille, elle ne l’aurait jamais eu dans toute son existence et j’espère qu’elle oubliera ce moment extrêmement désagréable… Y a des femmes dans la rue, je suis sûre qu’elles ont pensé ça, en disant : ‘Moi, si j’étais femme de chambre dans un hôtel, j’aimerais que ça m’arrive’... Je me demande si ce n’est pas une chance d’avoir touché une somme pareille [1,5 million de dollars] dans la vie qu’elle avait » (6).
Pour ses propos abjects tenus en 2013, Sophie de Menthon fut évincée de l’émission radio «Les Grandes Gueules» (RMC). Juxtaposons maintenant l’aspect « traîtrise et complicité » au patriarcat que réfutent les 100 signataires de la tribune du Monde. Non seulement le dérapage commis par la signataire de Menthon est d’un sexisme achevé mais celui-ci servit aussi de tremplin pour « libérer» la parole de son ex-collègue Franck Tanguy. Ce porc balancera sur les ondes : « Le destin de cette femme [Nafissatou Diallo] est extraordinaire. Il y a un an, c’était une femme de ménage qui gagnait 1000 €… Pardonne-moi, c’est un conte de fées ! Elle était clandestine, elle avait menti pour entrer aux Etats-Unis… Non, ce n’est pas pretty woman ! C’est très-moche-woman, en l’espèce. C’est quand même un tromblon extraordinaire ! Elle a rien pour elle, elle sait pas lire, pas écrire, elle est moche comme un cul et elle gagne 1, 5 million ! C’est quand même extraordinaire cette histoire ! ».
Nous pourrions développer le pédigrée sexiste d’autres signataires, mais on se contentera de celui-là. En espérant, notamment, gêner aux entournures l’historienne belge Anne Morelli, perdue au milieu de ces snobinardes hexagonales. Une intellectuelle de bonne facture qui nous avait pourtant habitués à plus de discernement comme à ne pas à se rouler dans la fange réactionnaire. Il n’y a pas que les « élites » françaises qui vieillissent mal...
ON LES ECOUTE ET IL ETAIT PLUS QUE TEMPS
Que d’acariâtres bourgeoises blanches n’aient aucune capacité à analyser de manière pertinente la « rupture Weinstein » ou jugent qu’une caissière, une fonctionnaire ou une comédienne qui se fait agresser par un frotteur dans le métro « peut même l’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle voire un non-événement», c’est sordidement classique. Aucun système d’oppression structurelle ne fonctionne sans idiot-e-s utiles et agents corrompu-e-s. Mais que ce discours, aussi malhonnête que militant, soit à nouveau médiatisé voire promu peut s’avérer inquiétant. Telle une sorte de recul tragique face à cette formidable prise de conscience qui aspire à rendre enfin politiquement cruciale la lutte contre toutes les violences faites aux femmes.
Rappelons que, par le passé, la majorité des signataires de cette tribune ne se sont pas fait remarquer pour leur défense acharnée des libertés, de la justice sociale ou de l’égalité citoyenne. Si elles assignent désormais au féminisme occidental contemporain « le visage d’une haine des hommes et de la sexualité », c’est aussi parce qu’elles confondent dérives potentielles et moteur sociopolitique du phénomène. A l’instar des racistes, ces mondaines sexistes généralisent à partir de cas minoritaires et discutables pour mieux décréter que la liberté sexuelle serait menacée par un puritanisme revigoré.
Tout faux, les vieilles peaux ! La veille de la sortie de leur tribune aigrie, notre consœur Marie Kirschen le résumait de façon imparable et prémonitoire :
« Les femmes n’ont pas attendu ce mois d’octobre 2017 [éclatement de l’affaire Weinstein] pour dénoncer les viols, le harcèlement sexuel au travail, ni pour tweeter sur le sujet. En France, on se souvient, entre autres exemples, des grandes mobilisations féministes contre le viol dans les années 1970 et 1980, des mobilisations au moment de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, puis de l’affaire Denis Baupin. Aux Etats-Unis, le témoignage d’Anita Hill avait secoué la société américaine et mis sur le devant de la scène la question du harcèlement sexuel au travail en 1991… soit il y a bientôt 30 ans !
Plus récemment et sur internet, les hashtags #YesAllWomen, #EverydaySexism, #rapeculture ou encore #StopHDR avaient déjà vu passer leurs lots de tweets décrivant des agressions. Il suffit de jeter un rapide coup d’œil à des Tumblr comme « Paye ta shnek », « Paye ton taf » ou « Coupable de mon viol » pour voir que la parole des femmes était bien libérée. Quant au désormais célèbre #MeToo, on s’est rapidement souvenu qu’il avait été lancé, non pas par Alyssa Milano cet automne, mais onze ans auparavant, par Tarana Burke, une militante afro-américaine qui travaille sur les violences sexuelles. Alors pourquoi un tel changement de perspective médiatique ? Qu’est-ce qui a fait la différence cette fois-ci ?
Si #MeToo et #balancetonporc ont eu un tel impact, c’est surtout parce que l’écoute a changé. À plusieurs reprises aux cours de ces derniers mois, j’ai eu l’occasion de discuter avec des militantes féministes qui, bien qu’agréablement surprises par le traitement médiatique actuel, ne pouvaient s’empêcher d’être un peu étonnées : «On nous dit que les femmes "parlent enfin". Mais les femmes ont toujours parlé ». C’est nous qui n’avons pas su écouter » (7).
Oui, aujourd’hui, ces femmes, on les écoute vraiment. Les médias semblent les considérer vraiment. En tant qu’allié et père d’une adolescente, je ne peux que m’en réjouir. Il était plus que temps !
Olivier Mukuna