{{Nota}}
{Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a demandé aux enseignants d’Histoire de lire à leurs élèves, ce 22 octobre, la dernière lettre de Guy Môquet, fusillé le 22 octobre 1941. Les réactions des enseignants ont été diverses.
Pour ma part, j’ai saisi cette occasion pour rappeler – et sans doute pour apprendre à beaucoup – que, ce même jour, un Vietnamien avait lui aussi versé son sang pour la France .}
Le 22 octobre, je lirai la lettre de Huynh Khuong An… pas à mes élèves, puisque j’ai quitté l’enseignement il y a bien des années. Mais, oui, je lirai la lettre de Huynh Khuong An, un patriote vietnamien, un communiste français et vietnamien. A mes proches, à mes amis et même, tiens, aux participants des VII è Assises de la Coopération franco-vietnamienne qui commenceront, heureuse coïncidence, précisément ce 22 octobre, à Montreuil.
Huynh comment ? Peu de Français, peu d’historiens, peu de ses camarades de Parti connaissent son nom.
Il a pourtant avec Guy Môquet deux points, au moins, en commun : il était communiste et il a été fusillé à Châteaubriand, comme otage, le 22 octobre 1941. Il était, par rapport au jeune Guy, un vieux. Pensez donc : il avait 29 ans !
Né à Saigon, dans ce Vietnam que les colonialistes s’obstinaient alors à appeler Indochine, il était venu en France, à Lyon, pour y poursuivre des études. Qu’il réussit brillamment, au point de devenir professeur stagiaire de français. Non sans s’investir à fond dans la vie politique française. Membre du PCF, Secrétaire des Etudiants communistes de la région lyonnaise, il milite beaucoup, en particulier au sein des Amis de l’Union soviétique aux côtés de son amie et compagne Germaine Barjon. En 1939, après l’interdiction du PCF, il participe à la vie clandestine de son Parti.
Nommé au lycée de Versailles, c’est là qu’il est arrêté (les sources divergent : en mars ou en juin 1941), puis envoyé à Châteaubriand. Le suite, terrible, est connue.
{{Voici sa lettre :}}
« Sois courageuse, ma chérie. C’est sans aucun doute la dernière fois que je t’écris. Aujourd’hui, j’aurai vécu. Nous sommes enfermés provisoirement dans une baraque non habitée, une vingtaine de camarades, prêts à mourir avec courage et avec dignité. Tu n’auras pas honte de moi. Il te faudra beaucoup de courage pour vivre, plus qu’il n’en faut à moi pour mourir. Mais il te faut absolument vivre. Car il y a notre chéri, notre petit, que tu embrasseras bien fort quand tu le reverras. Il te faudra maintenant vivre de mon souvenir, de nos heureux souvenirs, des cinq années de bonheur que nous avons vécues ensemble. Adieu, ma chérie. »
Il y a, à Paris, au père Lachaise, un monument érigé aux martyrs de Châteaubriand. Sous le nom de Huynh Khuong An, une simple mention, d’ailleurs anachronique : Annamite.
Je livre cette courte évocation à la réflexion. Et si la présence d’un immigré, d’un colonisé, aux côtés des martyrs français, était un clin d’œil de l’Histoire ? Et si elle prenait valeur de symbole ? Le régime de Vichy, qui a livré les otages, ou les nazis, qui les ont fusillés, ont très certainement considéré avec mépris cet étranger venu se mêler aux terroristes. Lui ont-ils demandé de prouver, par son ADN, le droit de mourir pour la France ?
Je ne suis pas partisan du boycott de la lecture de la lettre de Guy Môquet. Mais lisons également, comme en écho, comme en réponse à la xénophobie qui (re)pointe son mufle, celle d’un Vietnamien, un étranger et notre frère pourtant.
{{Alain Ruscio}}
{Historien, Président du Centre d’Information et de Documentation sur le Vietnam contemporain.}
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