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L'ASSASSINAT D'ANTOINE SIGER, MAIRE DE FORT-DE-FRANCE (1è partie)

Raphaël Confiant
L'ASSASSINAT D'ANTOINE SIGER, MAIRE DE FORT-DE-FRANCE (1è partie)

   Comme pour beaucoup, sans doute le plus grand nombre, la rue Antoine Siger a longtemps été pour moi un simple nom de rue à Fort-de-France. Pourtant, ma grand-mère paternelle chinoise (née Yang-Ting) y habitait depuis le début du XXe siècle et nous, la marmaille, dans les années 50-60, fréquentions le lieu plus souvent que rarement. Une chose m'avait très tôt intriguée : aucun de mes différents parents ne l'appelait par son nom. Ils disaient "la rue du Marché"ou "la rue du Grand Marché", ce qui, somme toute n'attirait pas l'attention, car à cette époque-là, la rue François Arago, toute proche, n'était jamais appelée autrement que "la Rue des Syriens". Il y avait aussi la rue du Palais de Justice ou la rue de la Cathédrale.

   Jusqu'à ce qu'arrivé à l'âge adulte, à la trentaine très exactement, je rencontre, au sein de l'hebdomadaire Antilla, le regretté Félix-Hilaire Fortuné. C'était dans les années 80 du siècle dernier. Son érudition absolument phénoménale s'agissant de l'histoire antillaise et plus précisément martiniquaise, n'avait cesse de me stupéfier. Un jour, il me lance avec son habituel sourire mi-bonhomme mi-ironique : "Tu connais Julien Confiant ?". Julien...Julien. Je réfléchis. Non, jamais entendu parler de cette personne même si nous avons le même patronyme. Il m'enjoint de questionner ma famille, ce que je fais pour découvrir non sans stupéfaction que les miens sont très réticents à évoquer sa mémoire, certains affectant même de ne pas savoir qui c'était.

   C'est encore Félix-Hilaire Fortuné qui me révèle la vérité : "Julien Confiant était ton arrière-grand-père. Il a été l’un des bras droit du grand avocat Marius Hurard qui, à Saint-Pierre, tout au long du XIXe siècle a combattu les Békés au nom du Parti Républicain, de la classe mulâtre en fait...Hurard avait un journal, "Les Colonies", qui ferraillait dur avec celui des Békés, "Les Antilles"...A cette époque, on se "donnait des coups de journal" et la personne qui se sentait atteinte dans son honneur convoquait en duel le rédacteur de l'article. Il lui envoyait un "cartel", sorte de carton d'invitation en lui précisant les armes (épée ou pistolet) et les noms de ses deux témoins. Les duels se déroulaient au Jardin des Plantes de Saint-Pierre, un endroit magnifique que l'éruption de la montagne Pelée a détruit. Julien Confiant était un excellent bretteur ! Un bretteur terrifiant même...Renseigne-toi !".

   J'étais abasourdi. Sur le moment, je n'ai pas compris le terme "bretteur" qui signifie "personne qui se bat à l'épée".  J'ai donc cherché des renseignements auprès de ma parentèle pour ne trouver que bouche cousue ou porte close. Qu'est-ce qui poussaient les miens à vouloir effacer à tout jamais la mémoire de cet aïeul dont personne n'avait jamais prononcé le nom devant moi ? Quel mystère, forcément horrible, cachait ce mutisme obstiné ? Julien Confiant, pourtant conseiller général (à l'époque où le Conseil général était la seule collectivité de la Martinique), directeur du journal " Les Colonies" après le décès de Marius Hurard au cours de l’éruption de la montagne Pelée en 1902, homme important de la classe de couleur au tournant du XIXe et XXe siècles, était rejeté par ses descendants ! Mais pourquoi ?

   Je me suis alors plongé dans les journaux et archives de la Bibliothèque Schoelcher pour ne trouver son nom qu'ici et là, de manière incidente : ici un bout d'intervention au Conseil général, là un article dans son journal, plus loin une réflexion ou une annotation à son propos C'est encore Félix-Hilaire Fortuné qui vint à mon secours : "Julien Confiant achetait des combats. Au sens créole du terme, pas au sens français ! Au sens français, cela signifie "combats truqués" tandis qu'au sens créole, ça signifie "chercher à se battre à tout propos". Ton arrière-grand-père pouvait aller à cheval de Fort-de-France jusqu'au Lorrain pour se battre en duel tellement il aimait ça ! Parfois, il écrivait tel ou tel article assassin contre quelqu'un dans son journal juste pour que ce dernier le provoque en duel. Et comme il était un redoutable bretteur, il gagnait toujours, même s'il lui arrivait parfois d'être blessé. Il a du faire une bonne trentaine de duels dans sa vie. Un record !".

   Je n'en croyais pas mes oreilles. Bien entendu, personne dans ma famille ne voulait corroborer ces affirmations. Julien Confiant ? Connaît pas ! Et puis, arrête de nous embêter avec ça ! Toujours est-il, toujours selon Félix-Hilaire Fortuné, que le gouverneur de l'époque eut assez de ses frasques et décida de l'exiler en Guyane. Le redoutable bretteur revint en Martinique deux ans plus tard, mais ne s'était pas acheté une conduite car il recommença à se battre en duel de plus belle. Le nouveau gouverneur l'expulsa alors à la Dominique, alors colonie britannique, où il mourut trois ans plus tard. Félix-Hilaire Fortuné : "Lorsque le cercueil de Julien Confiant est arrivé sur le port de Fort-de-France en provenance de Roseau, une foule s'est ruée sur les quais, a bousculé les gendarmes à cheval et a exigé que le cercueil soit ouvert. On voulait vérifier s'il s'agissait bien de l'incorrigible bretteur et si ce n'était pas d'une manoeuvre de sa part pour pouvoir revenir en Martinique sous une autre identité. Le gouverneur a d'abord refusé l'ouverture du cercueil, mais devant l'insistance de la foule qui menaçait d'emporter ce dernier, il a fini par accepter. Ouf ! C'était bien le cadavre de Julien Confiant. On était enfin rassurés !...".

   Je ne voyais pour ma part rien d'infâmant à avoir été un bretteur frénétique, un journaliste "kout zépon", un conseiller général et un défenseur de la classe de couleur face aux Békés. Julien Confiant avait certes été un homme très turbulent au cours de sa vie, mais pas au point de se voir renier par sa propre famille.  Il devait forcément avoir une autre explication. Mais bon, je ne connaissais pas grand-chose de la vie politique et sociale de la Martinique entre l’abolition et les années 50 du XXe siècle.

   "Cherche du côté d'Antoine Siger !" m'avait glissé, malicieusement, Félix-Hilaire Fortuné...                                                                                   

                                             (à suivre)

  

    

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Commentaires

Zandoli | 28/07/2015 - 04:17 :
En effet Julien CONFIANT a fait l'objet de nombreuses chroniques, mon Père avait souvent évoqué ces épisodes. A lire dans le mémorial Martiniquais page 126,

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