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Langues régionales : une hypocrisie française

Michel Feltin-Palas ("L'Express")
Langues régionales : une hypocrisie française

Longtemps, le pouvoir central a joué franc jeu : il voulait "anéantir les patois". Aujourd'hui, tous les gouvernements prétendent vouloir les sauver, mais s'opposent aux mesures qui vont dans ce sens. Dernière illustration avec la proposition de loi Molac, en débat à l'Assemblée ce 8 avril.

Je le jure : ce qui suit n'est pas un gag, mais une histoire aussi véridique que révélatrice. En novembre 2019, la préfète de Corse adresse une lettre d'observation à Gilles Simeoni, le président nationaliste du conseil exécutif de l'île. La missive concerne la création d'une crèche bilingue corse-français (qui a reçu l'aval du gouvernement) et, plus précisément, la volonté des élus de recruter pour cet établissement du "personnel corsophone". Cette mesure "pourrait être considérée comme discriminatoire et représenter une atteinte au principe constitutionnel d'égalité des citoyens", alerte la plus haute fonctionnaire de l'Etat sur l'île. Gilles Simeoni ne cache pas son étonnement. Il lui paraît difficile, explique-t-il, de mettre en place une structure bilingue sans vérifier que le personnel parle à la fois corse et français. Il s'étonne également de n'avoir jamais vu la représentante de l'Etat réagir quand une fiche de poste exige la maîtrise d'une langue étrangère. Recruter un salarié anglophone dans une entreprise ? Pas de problèmes. Recruter un salarié corsophone dans une crèche bilingue ? Menaces pour les valeurs républicaines ! La préfète finira par battre en retraite.

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Si cette histoire est révélatrice, c'est qu'elle n'est qu'une illustration parmi d'autres de ce qu'il faut bien appeler la duplicité de l'Etat en matière de langues régionales. Dans les discours, celles-ci sont aujourd'hui systématiquement encensées. "Je suis tout à fait favorable à l'esprit du bilinguisme" a ainsi déclaré Emmanuel Macron en Corse. "Vive les langues régionales, vive le breton !", a de même lancé à Brest le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer. Dans les faits, malheureusement, l'exécutif prend souvent des décisions allant en sens inverse. En voici d'autres exemples :

· Le 8 avril revient à l'Assemblée nationale une proposition de loi du député Paul Molac visant à promouvoir les langues régionales. Lors des lectures précédentes, le gouvernement s'est opposé à ses dispositions les plus significatives. Il en est de même cette fois-ci.

· Dans sa récente réforme du baccalauréat, Jean-Michel Blanquer a rendu moins attractif l'enseignement des langues régionales. Résultat sans surprise : les effectifs sont partout en baisse.

· Cet hiver, le même ministre de l'Education a décidé que, désormais, les trois heures d'enseignement hebdomadaire du breton dans le secondaire soient calculées "par niveau" et non plus "par classe". En clair : pour un collège disposant de trois quatrièmes, les trois heures devaient être réparties entre les trois classes, chaque élève n'ayant plus qu'une heure de breton chaque semaine. Il a fallu une forte mobilisation pour que cette mesure soit annulée.

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· En matière de noms de lieux, le ministère de l'Intérieur est intervenu pour que les élus locaux ne soient pas informés des préconisations de la commission nationale de toponymie. Motif ? Celle-ci rappelait que les langues régionales peuvent être utilisées dans certains cas.

· En 2008, Emmanuel Macron s'est opposé à l'idée de rendre le corse "co-officiel" sur l'île de Beauté - la mesure la plus efficace pour assurer sa pérennité - bien que la majorité des électeurs insulaires y soit favorable.

· Depuis plusieurs années, un couple breton se bat pour écrire le prénom de son fils, Fañch, avec un "tilde" sur le n. Depuis plusieurs années, la justice tente de s'y opposer, invoquant une "menace pour l'unité du pays". Depuis plusieurs années, le gouvernement promet de modifier la circulaire afin de permettre l'emploi de ce fameux n tildé. La circulaire n'est toujours pas parue.

· En 1992, un alinéa est ajouté à l'article 2 est ajouté à la Constitution pour s'opposer à l'hégémonie croissante de l'anglais : "La langue de la République est le français". A la demande des parlementaires, le garde des Sceaux précise que, malgré cette modification, "aucune atteinte ne sera portée à la politique et au respect de la diversité de nos cultures régionales ". Peine perdue : le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel s'y réfère pour... s'opposer à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Est-il besoin de continuer ? Sans doute pas. Cette énumération non exhaustive suffit à comprendre ce qu'est aujourd'hui la stratégie de l'Etat. Certes, il tolère les langues régionales, leur accorde quelques subventions, crée même ici et là quelques postes d'enseignants, et tout cela va dans le bon sens. Le problème est que ces dispositions sont insuffisantes pour infirmer le sombre pronostic des experts : à législation inchangée, elles auront disparu de métropole d'ici à la fin du siècle.

Nous sommes donc passés d'une volonté d'éradication assumée - en 1831, le préfet des Côtes-d'Armor (Côtes-du-Nord, à l'époque) déclarait qu'il fallait "absolument détruire le langage breton" - à une hypocrisie doucereuse consistant à assurer que l'on souhaite les sauver, tout en faisant en sorte que ce ne soit pas le cas. Est-ce réellement un progrès ?

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