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La très improbable victoire du créole écrit (quatrième partie)

Raphaël CONFIANT
La très improbable victoire du créole écrit (quatrième partie)

   Victime du phénomène massif de décréolisation qui affecte nos sociétés comme on l'a vu dans les articles précédents, le créole écrit peine à s'affirmer.

   Le deuxième gros problème qu'il affronte se décline en deux éléments : la folklorisation de l'écrit créole, d'une part ; son caractère essentiellement iconique de l'autre. S'agissant du premier, il consiste à mettre en avant du simili-créole, du créole-prétexte, pour faire joli ou afficher ce nationalisme de pacotille qui semble être devenu aujourd'hui dominant dans nos pays. Ainsi, on se contentera de graphier phonétiquement n'importe quel mot français pour donner l'illusion d'une touche créole : "parténaria""chronik" ou "otantik". Cela dispense de rechercher le terme créole...authentique ou de forger un néologisme et donne bonne conscience au scripteur. Un parti politique récemment créé appelle même ses sections des...wozo, terme  totalement inconnu au bataillon du créole. En tout cas pour moi qui ai publié le tout premier dictionnaire du créole martiniquais ! Il est vrai qu'un certain philosophe Pascal a défini l'homme comme un roseau pensant. On est donc en droit de supposer donc que les membres des wozo sont des êtres (non-)pensants. Sinon le pire, le plus malhonnête intellectuellement est atteint avec tous ces livres qui sont publiés avec des titres en créole mais qui sont écrits exclusivement en français.

   Ou alors, on prend un mot créole et on le met à toutes les sauces dans des phrases en français comme c'est le cas de "péyi". On aura alors : "Venez passez des vacances o péyi !", "Achetons des légumes-péyi !" ou "Je suis de retour o péyi, les amis !". Au moins cela dénote-t-il un attachement au...pays. Quant au fameux, "Bon Dieu, qu'est-ce qu'il fait chô !", on ne sait pas s'i faut en rire ou en pleurer. On se demande ce que vient faire là cet accent circonflexe sur le "o" de "cho" puisque ce signe est censé indiquer un "o ouvert" et non un "o fermé". En effet, avec ce drôle d'accent circonflexe, "chô" devrait être prononcé comme la première syllabe de l'adjectif français "chaude". Bref...

 

 

ECRITURE ICONIQUE

 

    Le deuxième élément à trait au caractère iconique du créole écrit c'est-à-dire au fait qu'il fonctionne davantage comme une image que comme de l'écrit proprement dit. Une courte phrase en créole sur un panneau publicitaire, un SMS ou un message-whatsap, un post-Facebook visibilisent, certes, la langue, mais sont presqu'à tout coup déchiffrables, même par les gens qui n'ont jamais appris à lire celle-ci. Après une courte hésitation, ces derniers peuvent parfaitement comprendre, par exemple : chak kochon ni sanmdi-yo. Ou un bref échange de SMS du genre : "Sa ou fè ?" avec comme réponse "Man ka tjenbé". Ou encore, un panneau ou un post-Facebook qui proclament :

 

 

   Ces phrases créoles fonctionnent comme des icones, pas comme des textes, de par leur brièveté même. Un texte est tout autre chose ! C'est un entrelacement ("texte" vient du latin "textus" qui signifie "tissu") de phrases qui exige tant du scripteur que du lecteur un triple effort : d'abord déchiffrer, puis se souvenir de ce qui a été dit avant et enfin anticiper ce qui va être dit. Cet effort, chez les alphabétisés, se déroule de manière inconsciente la plupart du temps et un bon lecteur est quelqu'un qui est capable des trois actions en un laps de temps infinitésimal. Bref, lire un texte demande une attention soutenue, ce qui n'est pas le cas d'une icône laquelle est interprétée immédiatement (même si on peut parfois se tromper sur sa signification réelle). Nous reviendrons dans un autre article sur cette question de l'iconique à propos des BD en créole qui est sans doute le seul aspect positif dudit iconique...

 

 

    Mieux : ces écrits "iconiques" sont même déchiffrables, moins facilement certes, quand ils sont dans un autre créole que notre dialecte à nous. Comme c'est le cas sur cette admonestation qui figure sur certains autobus réunionnais :

 

 

    Si donc le créole écrit est partout visible aujourd'hui, c'est assez peu sous la forme de textes proprement dits. Ces derniers ne se trouvant que dans des livres ou sur les rares journaux et sites-web qui publient des articles en créole (et pas seulement des injures du genre Bonda manman'w !). S'agissant des premiers, les livres, s'il est vrai que la production littéraire créole n'a cessé de s'amplifier depuis les années 70, s'il ne se passe pas une année sans qu'un ou plusieurs livres en créole soient publiés en Guadeloupe, Guyane et Martinique (alors qu'avant cette date, il s'agissait d'un petit événement), si voir un livre en créole, le toucher ou le manipuler en librairie, se le voir même offrir comme cadeau, est devenu presque banal, cela ne signifie pas pour autant qu'il sera lu. Et même dans le cas où il est acheté, par solidarité ou sensibilité nationaliste, il n'est pas du tout certain qu'il sera lu non plus Pas de bout en bout en tout cas. ..

 

 

   L'explication tien au fait que c'est l'Ecole, l'Institution scolaire, partout dans le monde et depuis toujours, qui crée des lecteurs. Qui apprend à lire des textes. Et cela quel que soit le type d'école (religieuse, laïque, étatique, informelle, mawon comme celle de Papa Yaya (Gérard Lauriette) au siècle dernier, à Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe). Il y a des petits génies qui apprennent à lire tout seuls mais cela est tout de même rarissime. Or, cette école française qui règne dans nos trois pays (Guadeloupe, Guyane, Martinique) a, comme on le sait, toujours diabolisé le créole exactement comme elle l'a fait dans l'Hexagone pour ses "langues régionales" : breton, corse, occitan etc. La République Une et Indivisible ne pouvait avoir qu'une seule langue, le français, et c'est assez ironiquement, le même Abbé GREGOIRE, membre actif du Comité des Amis des Noirs qui lutta, au moment de la Révolution française (1789) pour l'abolition de l'esclavage, qui fut chargé d'une mission et de la rédaction d'un rapport terrible intitulé "Rapport sur la nécessité et les moyens d'éradiquer les patois et d'universaliser la langue française".   

 

                                    

   Alors que dans les autres pays européens, les langues régionales sont de nos jours assez vivaces (catalan et basque en Espagne, sarde en Italie etc.), en France, elles ont failli mourir de leur belle mort dans les premières décennies du XXe siècle. Il a fallu un extraordinaire travail de préservation et de promotion de la part de militants linguistiques pour les sauver de la disparition totale mais force est de reconnaître qu'il était presque trop tard et qu'aujourd'hui, elles végètent quoiqu'elles soient enseignées à l'école et à l'Université et disposent d'un CAPES et d'une Agrégation. C'est que l'élément indispensable à la survie d'une langue__la transmission familiale__s'est rompue. Sur ce point précis, si le créole en est également victime, il dispose toutefois d'un atout que n'ont ni le breton ni le basque ni l'occitan : il est devenu "la langue des pairs". De langue maternelle de la quasi-totalité des Antillais et Guyanais jusqu'aux années 50-60, il est devenu celle que l'on utilise entre locuteurs d'une même classe d'âge, d'un même groupe social, d'un même sexe, d'une même profession etc...Un exemple très simple de cette "langue des pairs" : un homme ou une femme qui a, disons autour de 40 ans, pourra poser la question suivante à une cousine ou à une amie proche : 

   "Es ou pé di mwen ki lè i yé, souplé ?" (Peux-tu me dire quelle heure il est ?)

   Mais il est quasiment impossible qu'il ou elle pose cette même question à un gamin de 15 ans ou à un homme/une femme de 70 ans. Des enseignants utiliseront le créole sans problème entre eux avant les cours ou pendant les intercours mais ils ne l'utiliseront jamais avec leur élèves et pas du tout chez eux. Etre devenu la langue des pairs a sauvé le créole du triste destin des langues régionales de l'Hexagone d'autant que ce phénomène permet de créoliser linguistiquement les gens du même âge que soi qui, de par leur extraction familiale, n'ont pas appris à le parler. Un exemple encore : dans une cours de récréation, entre pairs donc, tel (lle) élève non créolophone sera forcé de se mettre au créole s'il (si elle) veut s'intégrer à son groupe d'amis. Les enfants du peuple enseignent donc le créole parlé aux enfants des petits bourgeois nègres et mulâtres aiinsi qu'aux "Zoréoles", comme on dit à la Réunion c'est-à-dire aux "Zoreilles créoles" (rejeton des Hexagonaux installé dans nos pays depuis 20, 30 ou 40 ans, qui ont fait des enfants chez nous, enfants blancs donc qui mais ne sont pas des petits Békés). L'équivalent en quelque sorte des "Afropéens", ces gens d'origine africaine qui vivent en France et se réclament de leur double appartenance. L'écrivaine d'origine camerounaise Léonora Miano a même théorisé ce concept dans un ouvrage récent.

 

 

    La deuxième chose qui sauve aussi le créole du désastre, c'est l'immigration créolophone en provenance de Sainte-Lucie, de la Dominique et surtout d'Haïti, chance que n'ont pas le breton, le corse, l'occitan ou le basque. Sang frais linguistique qui vient quelque peu contrer le phénomène de décréolisation dont nous avons déjà parlé. Etant donné que ces immigrés sont pour la plupart créolophones unilingues, nous sommes bien obligés de converser avec eux en créole, chose qui réactive ce dernier dans nos trois pays et leurs enfants permettent de maintenir des écoles ouvertes dans certains quartiers populaires, écoles qui, sans cela, à cause de la catastrophe démographique qui nous affecte, auraient fermé. D'aucuns, notamment en Guadeloupe et en Guyane s'inquiètent de ce qu'ils appellent l'haïtianisation de leur pays. C'est tout simplement ridicule ! Les enfants de ces immigrés deviennent immédiatement des Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais et parlent nos dialectes, pas celui d'Haïti. Cela me permet de faire une petite parenthèse : on a longtemps accusé les défenseurs du créole d'être des nationalistes bornés. Là aussi, c'est ridicule ! Non seulement le nationalisme est une idéologie malsaine (même si l'histoire oblige de l'être dans certains cas et c'est malheureusement le nôtre !) mais en plus, nous, les défenseurs du créole avons toujours défendu l'idée d'un Monde créole qui s'étend de la Louisiane au nord jusqu'à la Guyane au sud en passant par Haïti, la Guadeloupe, la Dominique, la Martinique et Saint-Lucie. Sans oublier les isolats créolophones de Cuba, Saint-Domingue, Trinidad et Panama. Isolats ne signifie pas forcément petit : il y a davantage de créolophones à Cuba et à Saint-Domingue qu'en Martinique et en Guadeloupe. Sans même parler aussi de la diaspora créole en Europe et en Amérique du Nord ! Je ne vois vraiment pas où il y a du nationalisme borné dans tout cela...

 

 

     L'Ecole, avons-nous dit, est donc la seule instance capable de former des lecteurs. Or, chez nous, le créole est partout facultatif ou optionnel alors qu'il aurait dû être obligatoire dès l'école primaire. Ne serait-ce qu'à raison de 2h par semaine ! Je n'ai rien contre le latin ou l'anglais/l'espagnol précoce mais les enseigner à des gamins en ignorant leur langue soit maternelle soit "matricielle" (J. Bernabé) est un crime pédagogique et culturel tout à la fois. Cela les politiciens de nos trois pays ne l'ont, hélas, toujours pas compris. Partout dans le monde où une peuple est menacé dans son existence même la défense de la langue figure dans les trois priorités des organisations politiques. Pas chez nous ! Ou du moins mis à part chez certains partis d'extrême-gauche minoritaires et ne disposant pas d'élus (es). Descartes disait "Je pense donc je suis". En Martinique, Guadeloupe et Guyane, il semble que nous en soyons encore au "Je parle français donc je suis".

   Nous reviendrons plus en détail sur le créole à l'école comme moyen de fabriquer un lectorat créolophone et en particulier sur la notion de "langue matricielle" dans le prochain article...

 

                                                                               A suivre...

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