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La Pieuvre

Lucien PAVILLA
La Pieuvre

« Ni an bagay dangéré ka vini ?

Kisa-an ?

 An bagay ki chapé lot bò ?

Ki koté lot bò ?

Lot bò dlo ?

ki koté lot bò dlo ?

Pèsonn pa pi sav ?

I foutélikan anlè yo ?

Anlè ki moun-an ?

Ki manniè yo pa sav ?

Pani ayen pou baré larout-li avan’y rivé isi-a ?

Ayen menm ?

 

Estébékwé que j’ai été par la nouvelle qui occupait toutes les têtes du monde, une nouvelle rabâchée à chaque occasion pour que j’entende bien. Moi Mada, ainsi me hélaient les Kalinagos, j’écoutais, j’observais la tête remplie d’interrogations. Je me tenais ferme. Bien debout ! Habituée que je suis, à ces informations alarmistes venant du monde entier. Ces mots qui me donnaient des maux. Maux de tête, de ventre, de toute sorte de mal.

Des mots par-ci.

Des mots par-là.

Des mots qui alimentaient tous les commérages.

Ma grappe se donnait à cœur joie, spécialiste des paroles inutiles. Plus connaisseur que les connaisseurs.

Des mots simples.

Des mots compliqués.

Des mots courts.

Des mots longs.

Des mots nouveaux.

Des mots connus.

Des mots, des mots, des mots…

Des ceux qu’ils ne comprenaient pas, la marmaille.

Des mots créés par les « savants » scientifiques kidonk non-inscrits dans le dictionnaire cérébral de tous.

J’écoutais encore et encore, sans dire aucune parole, mais avec questionnement et inquiétude, les informations venant de l’autre bord, de loin, de très loin. Les nouvelles distillées depuis le début de cette année de mon existence par les télés de France et du monde, jusqu’à ce que ces mêmes mots soient repris au format local. À chaque 19 heures, c’était toujours ces mots qui revenaient et qui n’avaient pas l’air d’inquiéter mon Monarque régional. Les plus rebelles de ma grappe se sont donc sentis obligés de réagir activement contre ce comportement puisque le représentant de Dieu le Père sur mon lopin de terre ne prenait aucune mesure susceptible de les protéger.

 

Gavée de ces lavages de cerveau quotidiens à chaque 19 heures, ma grappe et moi, petit à petit, avions fini par intégrer la dangerosité de cette substance organique venue d’ailleurs, comme qui dirait une pieuvre aux tentacules sans bout. Et que ma terre sera aussi une terre favorable à ce vulgaire agent cherchant l’hôte sur lequel déployer ses tentacules sans limite.

 

Épi pani ayen pou baré larout-li !

 

En mère protectrice, j’aurais bien voulu que le premier de ma grappe s’occupât du sort de la marmaille. Mais, il n’avait aucun levier pour agir en bon père de famille.

À y croire les détenteurs de « bonnes paroles » (les conseillers scientifiques de Dieu le Père, responsable des colonies, qui depuis la colonisation possède la destinée de ma grappe entre ses mains), cette pieuvre aux tentacules sans bout tenait absolument à visiter les espèces humaines de tout partout. Elle tentait par tous les moyens de s’engouffrer avec une telle acuité chez moi, que rien n’aurait pu freiner sa fureur particulièrement vive. Car, à la manière d’une effrontée, avec l’audace qui la caractérisait, elle était déterminée à y pénétrer.  

Impossible dès lors, de protéger ma zone d’influence dans ces conditions contre ce que les savants de l’autre bord qualifiaient, d’épidémie, de pandémie.

 

yo menm paté pli sav ! I présé ! Bay lè pou’y fè travay li.

 

Et, paraît-il, elle était en train d’exploser les frontières sans crier garde, de péter toutes les barrières, de repousser les limites de tout ce qui pouvait entraver sa route.

 

Pani pasé lanmen !

 

Il semblait que sa rage de vaincre était si menaçante qu’elle ébranla les décideurs de tout par tout. Et mon petit Monarque régional ne fut pas épargné non plus.

 

Attention !

 

Moi d’abord Monarque régional, il faut que je te le dise tout de suite. Tu dois prendre des mesures drastiques pour barrer la route de la pieuvre aux tentacules sans bout qui nous menace. Ce n’est pas la peine d’attendre, pour examiner ensuite avec circonspection, les recommandations, souvent contradictoires, venant de Dieu le Père, le petit monarque républicain. Une prudence qui sera forcément irrationnelle, car mon fonctionnement et le quotidien de ma grappe, de nous autres sont spécifiques.

Zafè kabrit sé pa zafè mouton !

 

Pourquoi le petit monarque de l’autre bord s’entêtait à ne pas savoir quoi faire avec nos sacro-saintes spécificités ? Pourquoi vouloir à tout prix lianné le sort de ma terre aux sorts des autres venant d’ailleurs ? C’est à croire que nos députés et sénateurs ont oublié leur rôle. Ils ont oublié qu’ils siègent dans un parlement, et que dans un parlement, on parlemente pour défendre les intérêts des ceux qui les ont élus, aussi minoritaires soient-ils.

Alors Messieurs et Dames -

Les promesses, oubliées ?

Les luttes ancestrales, oubliées ?

Les spécificités de la grappe, oubliées ?

 

Sé pa an sèl jou bèf ka bizwen latjé’y pou’y chasé mouch anlè fès li ! »

 

Le pays se protégeait sous son armure indépendantiste. Les actions violentes se multipliaient, la jeunesse s’organisait, les groupes culturels se politisaient et au final de compte une autre Martinique se mettait en marche pour exiger du représentant de l’État des mesures dignes et en rapport avec les spécificités du pays.

Assez !

C’est assez ! Entendait-on dans les rues. « Nous ne voulons pas être les clones des autres. Arrêtez de nous plaquer des modèles qui ne s’acclimatent pas avec notre identité ! »

 

Soumission ou rébellion, la Martinique devrait profiter de l’activité de ce germe pathogène, ce micro-organisme infectieux, ce parasite absolu des cellules vivantes troublant leur fonctionnement, pour se réinventer.

Tirer profit aussi des nombreux rappels à l’ordre de Dame nature par le biais de ses signaux d’alarme : sécheresses excessives, pluies diluviennes hors de saison et répétitives, inondations spectaculaires, glissements de terrain dévastateurs, et maintenant le chant doux et modulé de la grosse chandelle, un chant inaudible pour nous autres, mais qui est bien réel selon les spécialistes.

Eh bien, ce parasite a pris le relai puisque nous persistons malgré tout dans un modèle qui nous mène tout droit dans le fossé.

 

Le premier de la fratrie coincé entre le marteau et l’enclume ne pouvait agir (selon la loi fondamentale, la santé n’est pas de sa compétence). Sauf à y observer une posture réfractaire, sans influence sur la volonté et l’ardeur de cette espèce de pieuvre aux tentacules sans bout, comme dirait Mada. Au risque de compromettre l’existence de tous les composants de Mada. Les éradiquer tous, les rayer de la carte, les faire disparaître de la circulation : les intègres, les corrompus, les parvenus, les pauvres, les riches, les bons, les méchants, les sans foi ni loi, les petits, les grands… Elle arrivait avec certitude, cette espèce de machin capable de dérailler le corps selon les médecins. Les corps quels qu’ils soient : noirs, blancs, nèg, bétjé, milat, Kouli, zorey, jenn, vié, bel moun, lèd moun, malad, bien pòtan...

 

Pani pasé lanmen ! Dirait Mada.

 

La détermination de cet agent cherchant à tout prix un endroit pour loger, quel que soit le lieu, avait ébranlé les faiseurs de recommandations. Ils sont allés jusqu’aux mensonges pour avoir du crédit et rassurer les citoyens. Mal leur en a pris, car ce fut l’effet inverse. Dans la colère la plus totale, maintenant tout le monde conteste tout, même les recommandations qui paraissent essentielles.

Dire simplement – Nous avons été surpris par la vitesse de propagation de ce nouveau virus, que cet effet de surprise et ce caractère nouveau nous ont contraints à prendre des mesures rapidement, alors que nous n’étions pas sûrs de leur efficacité - aurait été plus sage. Les populations se sont bien rendu compte du pilotage à vue entraînant une situation de méfiance ou de défiance à l’égard de ceux qui nous dirigent.

 

Tout le monde était logé à la même enseigne.  Dès lors nous étions certains que la pieuvre Zazie n’était pas raciste. Elle ne faisait aucune distinction de classe, ni de race. Elle avait le pouvoir de contaminer tout le monde sans que nous ayons mot à dire.

La guéguerre du moment quant à celui parmi la grappe qui sera bientôt le nouveau premier à conduire l’avenir du lopin de terre, surnommé île aux fleurs, serait une affaire sans intérêt pour elle. Sa mission principale est de défaire les têtes, toutes les têtes, de les remettre à l’endroit, de bousculer les pratiques parce que le monde est à l’envers.

Seraient-ce les prémices d’une ère nouvelle ? D’un monde nouveau ? Je voudrais le croire. Et je l’espère. Mais, la puissance de l’argent et le pouvoir des groupes de pression gangrènent si fortement le pouvoir politique que j’en doute.

 

C’est d’ailleurs, pour cette raison que Zazie s’était dépêchée si rapidement de commencer à accomplir sa mission avec cette puissance de tsunami paré à déverser sa vague géante sans aucune mansuétude sur continent, pays, ville, hauts plateaux, jusqu’à la plus petite des îles, car les cervelles méritaient d’être lavées. Au Karcher, même. Et toutes les cervelles !

 

Il faut rapidement purifier les têtes des dirigeants qui gouvernent la destinée de l’humanité. Ils ont perdu la boussole. Ils ont besoin de nouveaux cadres de références, d’autres éléments de langage. Il est essentiel de revisiter les manières de vivre, d’agir, de penser l’avenir des préposés… En un mot restructurer et réorganiser le système, en changer même certainement. Zazie est un rappel à l’ordre qui commande une analyse existentielle nouvelle.

 

Zazie constitue une famille de virus qui peut infecter l’être humain, d’après la science. Les symptômes sont du même ordre que ceux de la grippe semble-t-il. Dans le siècle de notre existence, c’est le troisième qui a émergé, et il s’est propagé à vitesse grand V pour infecter la terre entière. Le combat de la recherche pour trouver un vaccin, contesté même par des spécialistes, ou un médicament pour contrôler sa propagation reste pour l’instant sans réponse rassurante. Déterminée, effrontée et audacieuse, elle cherche à s’engouffrer, non pas dans le métro de Paris pour y découvrir ses entrailles, mais dans les entrailles de tous les corps du monde.

 

« Kisa ?

I fini pa rivé ?

Yo di sé an viris ki ka ataké tout latè ?

Yo ka kriyé sa an pandémi ?

 Mé sa sa yé ! dapré mwen nou té fini épi sé kalité model maladi tala ki ka dépotjolé tout yich Bondié. Sé té bagay ou té ka wè dépi antan lontan.

 Atjelman ni Intènèt, aviyon ka volé toupatou, moun ka monté anlè lalinn é la mèdsin pépa fouté bagay tala an pitji an-tjou’y pou’y évité anpéché mwen viv lakay mwen ?

Sa misié responsab fwansé nou-an ka fouté ! I pa sav tout yich mwen anlè kont-li !

Man pa lé, mwen épi tjolé yich mwen-an pran fè osi !  

Man pa lé sa menn !

Man pa lé kwè non-pli kè nou tout kay pran fè !

Tousa chimen manzèl té ni pou’y té bat dépi kay Chinwa-a la-i pati-a, i rivé kanmenm !

Fout ini toupé !

Sé pa kay mwen Mada bagay tala té pou rivé piès toubann-man. Ni twop lanmè oliwon ti bout téren mwen-a pou Madanm ta-la, (ki maniè yo ka kriyé-la, koronaviris ?) rivé isi-a. Jik la i sòti-a. Téléviziyon di i sòti dèyè do Bondiè, piès gran van pa dépotjolé sa anlè dlo pou lanmè té pé néyé’y avan’y té débatjé isi-a Matinik ?

Fout sa rèd, chien maré sé pou lapidé menm !

Fòk sé yich mwen-an antouprann an bagay, nou pépa rété konsa. »

 

À force de lavages de cerveau, la raison finit par prendre le dessus dans l’univers Mada. Cet univers finit par se rendre à l’évidence. Dans son désarroi, Mada avait oublié qu’au 21e siècle la mer ne pouvait être un bouclier contre, toutes les saloperies fabriquées par l’être humain en raison des moyens de communication qui sont de plus en plus rapides et performants, l’avidité insatiable de l’homme à accroître sa fortune personnelle au bénéfice de ses propres intérêts en piétinant ceux des autres.

 

Ce fut le jour où la nouvelle tomba au 19 heures, résonnant avec insistance, au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, dans toutes les pièces de l’univers Mada, qu’aucun élément ne put ignorer sa présence. C’était le 5 mars 2020, la nouvelle atterrissait avec fracas. Comme d’habitude, la journaliste du 19 heures fit son show.

La pieuvre Zazie aux tentacules sans bout, comme la Zazie de Queneau, s’était engouffrée transperçant l’univers Mada avec audace et détermination au mépris de toute considération ou pitié. Mada et sa marmaille furent convaincues maintenant que la pieuvre aux tentacules sans bout avait élu domicile chez elle aussi.

 

La fratrie resta stupéfaite, le temps de digérer le choc, mais c’était sans compter sur les réactions des plus activistes. Dès le lendemain, en raison de l’inaction du Monarque régional, ainsi dirait Mada, les plus vindicatifs de la troupe, les rebelles, l’avaient interpellé devant sa porte pour exiger des mesures de protection drastiques. Armés de leur drapeau patriotique, ils avaient aussi marché vers les lieux où étrangers et touristes mettent le pied-à-terre pour barrer la route à tous ces gens qui venaient visiter le pays. Allant jusqu’à crever les pneus des cars qui avaient déjà ramassés quelques-uns de ces gens d’ailleurs pour les ramener à leur lieu de séjour. Il fallait les bloquer sur place pour prendre leur contrôle afin d’éviter la propagation du virus. Était-ce la bonne méthode ?

Pour ma part c’est une méthode que je ne partage pas. Les avancées se sont obtenues jadis par la révolution, mais les luttes peuvent prendre d’autres formes aujourd’hui que celle de l’affrontement physique.

 

Par ailleurs, la Martinique a eu l’occasion à deux reprises de prendre un morceau de son destin en main. Eu égard aux ambiguïtés juridiques qui ont favorisé l’instrumentalisation politique et l’attisement de la peur de l’indépendance, ce possible brin de destin a explosé en plein vol. Les activistes manifestent aujourd’hui, en employant des méthodes que beaucoup peuvent trouver condamnables, pour demander moins de liannaj avec la mère patrie, par conséquent, plus de reconnaissance envers les spécificités, donc moins de déni de démocratie. Cependant, deux opportunités ont été offertes pour ça en 2003 et en 2010, aucune d’entre elle n’a été saisie.

Faut-il rappeler, que le tourisme est un secteur économique important, au même titre que la banane et la canne à sucre. C’est donc une manne financière à ne pas négliger.

Qu’il faut choyer, chouchouter même !

 

Le premier des fils fut muet, agissant en silence, certains diraient anba fey, mais ce n’est pas le genre de la maison. La santé n’est pas de sa compétence, laissons le Monarque régional distiller ses recommandations venant de la mère patrie (confinement, gestes barrières, port du masque, couvre-feu…). Ce qui occasionna un arrêt total de l’activité.

Des recommandations aux détails administratifs qui souvent étaient mensongers, contradictoires où paradoxaux, qu’elles finissaient par bouffir tous ceux qui avaient un manque de confiance à l’égard du Monarque régional.

Malgré tout, même les plus réfractaires aux ordres venant de France avaient fini par adopter certaines recommandations.

Protégeons-nous !

Protégeons les autres !

Il y allait de la santé de nous autres et de la santé de l’économie ! Certaines mesures avaient donc fini par rentrer dans les crânes de la grappe, y compris les ceux des plus activistes ou méfiants.           

 

Paradoxalement, dans le même temps, le secteur économique prenant de l’eau dans toutes ses branches, les différents aspects de la vie sociale en berne, le spectre des faillites et des plans sociaux qui hante les esprits, la grappe n’en finissait pas de réclamer, d’exiger encore et toujours des plus. Plus de vie sociale. Plus de commerce. Plus de relations humaines donc plus de Chanté Noël, plus de carnaval, plus de fêtes, plus de culte, plus d’activités culturelles, physiques et sportives. Plus de tout et tout de suite sous peine d’être dépassée par la concurrence ou terrassée par la faillite ou le chômage. Des plus, plus, plus…

Que la vie sociale redevienne comme avant, voudrait-elle, comme si de rien n’était. Alors que les maître-mots du Monarque régional étaient : protection, port du masque, gestes barrières, confinement, couvre-feu, vaccin. Tout ce qui était frein à l’activité économique et sociale.

 

Un vaccin qui n’avait fait aucune preuve de son efficacité. Un vaccin dont on ne connaissait pas les effets indésirables.  Un vaccin new-look tombé des cieux comme un éclair qui illumina soudainement le ciel un court instant par temps orageux. Un vaccin que personne ne voulait.

 

Malgré ce comportement belliqueux, les exigences des têtes brûlées réfractaires aux ordres du Monarque régional, le masque était entré dans le quotidien de la grappe comme si de rien n’était. C’était à se demander si les réfractaires n’y avaient pas pris goût.

 

            « Moi Mada, quand j’écoutais ce Conseil scientifique, les faiseurs de « bonnes paroles », ceux-ci présentés comme les plus éminents, les plus recherchés au sein d’eux-mêmes, je me demandais où ils nous menaient. Ils me déroutaient, m’angoissaient et surtout me dégoûtaient. Rien qu’à les entendre me rapporter leurs conseils, j’étais prise de blême, de panique à ne pas savoir en juger. Rien qu’à les écouter, je me trahissais moi-même. Ces scientifiques captieux nous emmenaient tout simplement dans l’impasse à ne pas vouloir nous dire la vérité.

 

Sèl bagay !

Fòk pa yo konprann ke mwen ka bwè pawol yo-a kon bèf ka bwè dlo lariviè lè-i swèf.

Jodi jou ti Sonson konèt kon tout moun sa kika pasè !

 

D’ailleurs, on dirait que ces praticiens, à force de masturber la jugeote jour après nuit se sont enfermés dans une tour d’ivoire sans pour autant se soucier de la réaction de la plèbe.

 

            Épi atjelman yo tout sé lé pran pitji douvan kaméra pou yo pésa rantré antjè moun. An bagay ki pòkò fè prèv-li.

Sé pa mwen yo kay kouyonnen an sa !

 

Tout va s’écrouler dans pas longtemps, si ça continue !

 

É manmay ! Vous verrez la débandade !

Le manque de mesure est le commencement de la fin de tout. La débandade commence souvent par la fantaisie de la mesure. Une belle salade se profile à l’horizon.

 

Fòk nou maré ren nou solid !

 

J’ai vu moi, l’esprit céder peu à peu de son équilibre et puis se dissoudre dans la grande entreprise des ambitions épouvantables. Cela a commencé en 1946, une date gravée dans le marbre. À partir de cette date, nous n’avons plus été dans le même monde. Nous étions tombés dans le monde de l’assimilation, le monde de l’autre ».

 

Assimilation ! Ce maître-mot par lequel l’individu modifie son environnement au moyen de schèmes, structure d’une conduite opératoire. C’est de l’univers Mada avec ses composants dont il s’agit en cet instant précis. Était-ce d’ailleurs nécessaire au point où nous en étions de s’encombrer de concepts équivoques, de règles non-spécifiques qui n’avaient de sens que parce que nous les considérions…

 

            Mada se présente comme une portion de terre dans la Caraïbe, coincée entre ciel et mer. C’est le propre de toute portion de terre entourée d’eau. Alors que l’invité surprise mute, la Martinique est un univers qui mue dans son intérieur. Elle mue dans son écosystème. Elle mue dans ses facteurs biologiques, socioculturels... Elle mue donc dans son caractère démographique, géographique et social. Elle perd régulièrement un paquet de ses jeunes, de sa verdure, de sa joie, de son élégance, de l’identité de son histoire en voulant se mondialiser. Le coq qui chante dérange. Les dominos qui claquent en début de soirée dérangent. Les bonnes quantités de paroles inutiles autour d’une beuverie au rhum chez l’ami lors de son anniversaire dérangent. Plus de contes, le fameux yé krik yé krak pour égayer l’atmosphère des veillées, faisant oublier un instant la douleur causée par le décès. Pourtant, les maîtres paroliers sont toujours là, il faut aller les chercher dans les villes, dans les campagnes, dans les mornes. Seulement, tout ça dérange de nos jours.  Il n’y a que les cultures des autres qui tiennent à devenir historique, elles ne s’en iront pas sans révolution.  La grappe est inquiète. Certains n’ont déjà plus le même accent que les plus âgés. On se trouve comme gêné quand on y pense d’être encore en Martinique. La France et Paris vont la prendre. Pas grand-chose ne change même avec l’arrivée de Chaben aux affaires. Les pesticides continuent de polluer les terres, les rivières, l’eau, les ignames, les poissons, la viande, les patates douces… En somme toute la chaîne alimentaire. Les terres agricoles rapetissent. Les HLM poussent comme des phallus brandissant leur érection.

Tant pis si l’univers Mada ne peut nourrir ses composants ! Les produits d’ailleurs prendront le relai. Pendant que l’univers Mada s’appauvrit, comme des gorets les supermarchés s’engraissent. Chaben n’est pas resté insensible à cette transformation de tout bord. Il regrette sans doute que l’univers Mada n’eût pas fait le choix en 2003 ou en 2010 de pouvoir gérer lui-même les affaires locales. La pieuvre aux tentacules sans bout était donc venue pour nous rappeler tout cela, remettre les idées en place.

Mais malheureusement tout cela a du mal à faire sens !

 

Le combat était difficile contre la mise en veille totale, l’arrêt des systèmes, tous les systèmes : sociétal, social, économique… L’arrêt de la vie en somme. Comment redresser les têtes entre confinement, dé-confinement, confinement à nouveau suscitant la colère de beaucoup. Même les curés avaient dit merde quand le Monarque régional distillait ses recommandations restrictives à leur attention. Eux qui sont considérés comme des sages.

Les groupes de pression insatiables qui n’en finissaient pas de réclamer de la souplesse : les affaires obligent le plus souvent. Tant pis pour la contamination !  

 

Dans cette pagaille épouvantable, ici, c’est le ronflement de la mer, le souffle du vent et la raideur du soleil, qui depuis des siècles et des siècles, sont là pour guérir toutes les blessures qui meurtrissent l’univers Mada. Nous sommes passés de l’autre côté de l’intelligence. Car nous éprouvons toutes les peines du monde à nous raisonner nous-mêmes. Au moment où nous vivons avec ce virus, certains sont excédés et cherchent obstinément à se libérer, à se soustraire une bonne fois pour toutes, d’une manière ou d’une autre aux contraintes impérieuses, à caractère intransigeant, et péniblement supportables imposées par le Monarque régional. La grappe possède ses raisons pour s’évader de sa misère intime, mais chacun de ses composants, pour y parvenir emprunte aux circonstances un chemin, certainement ingénieux, mais qui dans ce contexte semble sans issue.

Heureux ceux auxquels ce désordre convient !

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