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LA NÉGRITUDE VUE DEPUIS L'ALGÉRIE

Article paru dans EL-WATAN (journal francophone algérien), édition du 15 mai 2008
 LA NÉGRITUDE VUE DEPUIS L'ALGÉRIE

{{Réflexion. Visite guidée dans la négritude}}

{{Le mythe et le moulin}}

{{Que reste-t-il du concept de négritude aujourd’hui ? Le souvenir d’une passion ou le témoignage d’une époque ?}}

Auteur du terme de « négritude », Aimé Césaire en est également l’architecte principal avec sa définition comme « simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture. » Née de l’esprit aussi fécond que fougueux, de trois étudiants, Césaire, Senghor et Damas, gloutons de belles lettres, dans une France qui venait de célébrer avec un faste si peu républicain, le centenaire de la colonisation de l’Algérie, le concept, alors encore captif de la littérature et particulièrement de la poésie, n’en demeurait pas moins contestataire. Voici un Antillais, un Sénégalais et un Guyanais, tous trois d’extraction originelle africaine, qui proclament leur négritude au sein de la « sainterie » de la Sorbonne et dans une métropole qui, à cette époque, cachait mal une certaine séduction pour l’idéologie nazie du voisin et regardait d’un œil matois tout ce qui n’était pas formaté aux canons esthétiques des cousins germains. C’était plutôt fort de café. L’arrivée au pouvoir des socialistes du Front populaire n’était pas, à vrai dire, aussi rassurante qu’on l’aurait supposée, pour les « bicots-nègres » d’Afrique, d’Asie ou des îles. Les pères de la négritude se défendent d’avoir fondé une pensée basée sur un quelconque mythe de l’Africain. Pas plus qu’ils ne se revendiquaient d’une apologétique négro-africaine qui éperonnerait vers un hypothétique retour aux sources. Pour Césaire, homme de vaste culture, étrangement favorable à la départementalisation plutôt qu’à l’indépendance de sa Martinique natale, et qui voulait ajouter au triptyque de la devise française le mot identité, la négritude ne constituait pas un retour sur les lieux du départ d’Afrique mais une sorte de pèlerinage intellectuel. Ce n’est qu’au début des années 60 d’ailleurs que l’auteur de l’incomparable Discours sur le colonialisme découvrira la terre de ses ancêtres. Aimé Césaire considérait la négritude comme une sorte d’introspection, une immersion dans son être physique et immatériel. Une plongée en lui-même, versifiée en 1939 dans son recueil Cahiers du retour au pays natal, où il écrit, avec sa remarquable maîtrise de la langue française : « Ma Négritude n’est ni une tour ni une cathédrale/ Elle plonge dans la chair rouge du sol/ Elle plonge dans la chair ardente du ciel/ Elle troue l’accablement opaque de sa droite patience. » C’est Léopold Sédar Senghor, ardent défenseur du concept, qui, jusqu’à son souffle ultime en 2001, va affouiller l’axiome original et lui conférer deux dimensions essentielles à ses yeux. La première, selon lui « objective », détermine la négritude comme un fait, une culture. Il y installe l’ensemble des valeurs économiques, sociales, politiques, civilisationnelles, culturelles et morales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, voire d’Asie et d’Océanie. La seconde, dite « subjective », consiste en « l’acceptation de ce fait ». Les militants de la négritude, confie-t-il, se sont assignés la mission « d’assumer les valeurs de civilisation du monde noir, les actualiser et féconder, au besoin avec les apports étrangers, pour les vivre par soi-même et pour soi, mais aussi pour les faire vivre par et pour les autres, apportant ainsi la contribution des nègres nouveaux à la civilisation de l’Universel ». Apparaissent ainsi des militants qui s’estiment chargés d’un apostolat messianique, « parce que, proclament-ils, nous sommes des forces de vérité, nous sommes des réintroducteurs au monde de nos peuples », des « réinventeurs de cette solidarité entre nous dont le colonialisme a essayé d’offusquer ou de détruire l’idée ». Le mouvement va faire des émules. Pour René Depestre, qui ne partage pas, du reste, l’opinion senghorienne, il va néanmoins permettre de répondre « à un légitime souci de valorisation de nos composantes africaines vilipendées par les pseudo-élites… » Elle a été « en son temps », renchérit l’historien burkinabé, Ki-Zerbo, - pour qui « la négritude n’est pas un problème culturel majeur » - un « concept de résistance ». Mais, c’est l’irruption de Frantz Fanon, lui aussi Martiniquais, élève d’Aimé Césaire, de 14 ans son cadet, dans le monde des idées, qui va assener les premières critiques sévères à la négritude. Peau noire, masques blancs, publié en 1951, analyse l’empire calamiteux du colonialisme et de son corollaire le racisme. Dans cet ouvrage, son premier, il fustige l’inclination grotesque des Antillais à vouloir se blanchoyer au point de s’affubler d’un masque blanc dupliquant le colonisateur. C’est un essai socio-psychologique, sans complaisance où il portraiture le Créole, en proie aux multiples complexes réducteurs agrégés en lui du fait de l’agression psychologique permanente entretenue par le colonisateur qui ne manque jamais de lui, signifier son infériorité. Fanon rudoie le concept de négritude qu’il estime simplificateur. Selon lui, il s’agit, certes, d’une étape dans l’évolution de la conscience noire, mais il faut passer à autre chose. Dans un vibrant plaidoyer, il soutient contre les apôtres et les disciples de la négritude qu’il y a danger à se définir par rapport aux circonvoisins, à s’enfermer dans l’idée d’être noir et rien d’autre. De chercher dans un fatras historique fataliste, ce qui pourrait bien rapprocher du blanc tout en conservant sa nature, non comme une culture mais comme une contre-culture. Il écrit à ce propos : « Le noir veut être comme le blanc. Pour le noir, il n y a qu’un destin. Et il est blanc. » Il y a de cela longtemps, le noir a admis la supériorité indiscutable du blanc, et tous ses efforts tendent à réaliser une existence blanche. N’ai-je donc pas sur cette terre autre chose à faire qu’à venger les noirs du XVIIe siècle ?(…) Ne voulant pas faire figure de parent pauvre, de fils adoptif, de rejeton bâtard, le noir, va t-il tenter de découvrir fébrilement une civilisation nègre ? Que surtout l’on nous comprenne. Nous serions très heureux de savoir qu’il exista une correspondance entre tel philosophe nègre et Platon. Mais nous ne voyons absolument pas ce que ça pourrait changer dans la situation des petits gamins de huit ans qui travaillent dans les champs de canne en Martinique… »

{{Le tigre et la tigritude}}

Le premier festival des arts nègres de Dakar en 1966 sera considéré comme un moment de triomphe de la négritude. Même si celle-ci est vigoureusement interpellée de toutes parts, notamment par le monde afro-anglophone, avec la célèbre phrase du prix Nobel de littérature, le Nigérian Wolé Soyinka qui affirme : « Un tigre ne proclame pas sa tigritude, Il bondit sur sa proie et la dévore… ». Ou Thomas Melone qui pense que « la négritude est le propre du nègre, comme c’est le propre du zèbre de porter des zébrures ». Elle finira par se politiser et être présentée comme une proposition de modèle, sinon de voie royale, aux Etats africains. Cette politisation lui sera fatale. Dans un coup, cherché de derrière les fagots, les champions de la négritude avancent que celle-ci est antérieure à la période estudiantine et parisienne du trio Césaire-Senghor-Damas, réunis autour de la revue des années 30, L’Etudiant noir. Déjà, soutiennent-ils, au VIIIe siècle, à Bassorah, El Djahiz avait écrit son livre Fakhr es-Soûdân alal Bidân (Les titres d’orgueil des noirs face aux blancs). Pour eux, c’est une minorité, raciale en Europe et sociale en Afrique, qui a célébré la négritude. Certes, on tend aujourd’hui à faire de la négritude, passant du cri à la littérature, du lyrisme au réalisme une sociologie politique sur laquelle on peut opiner différemment. » Le problème se situerait « dans la spécificité de notre situation. Nier cette spécificité nous ramènerait à ce malaise qui existait avant le mouvement de la négritude, c’est-à-dire celui d’intellectuels africains flottants, hybrides, déracinés parce qu’ayant perdu le secret et le chemin de la source. » Le président Senghor, qui oppose à la raison hellène, l’émotion noire, déplorera, plus tard, ce qu’il appelait « l’idéologie de la négritude » et les « idéologies qui, en Europe, en Asie et en Amérique, sont au service des impérialismes en lutte pour la domination du monde. On l’a bien vu au Festival panafricain d’Alger ». De fait, ajoutait-il dans un texte publié en 1996, cinq ans avant sa mort, « les grands journaux et revues du monde blanc se sont tous réjouis de voir la négritude attaquée par des nègres, et ils ont monté le fait en épingle. Sans parler des réactions du monde jaune qui, pour être plus discrètes, n’en furent pas moins attentives ». Selon Senghor, le chambard autour de la négritude, tiendrait à plusieurs causes qui touchent à l’esprit même du concept. Ce sont, outre l’ambiguïté du mot, les mésintelligences entre « anglophones et francophones, négro-américains et négro-africains ». Il y ajoute le conflit entre générations et va plus loin en accusant sans ambages : « La querelle fut d’abord soulevée et continue d’être alimentée par les blancs de tous bords ». Dépit ou analyse partiale de l’échec du concept ? Au premier festival culturel panafricain d’Alger, tenu du 21 juillet au 1er août 1969, considéré à ce jour comme le plus grand rassemblement culturel du continent, lors d’un symposium mémorable, les partisans de la négritude ont éprouvé bien du mal à résister à leurs adversaires. « Il n’y a ni culture noire, ni blanche, ni jaune. Il n’y a pas non plus de civilisation noire, de civilisation blanche, de civilisation jaune », s’écrira Ahmed Sékou Touré, du haut de la tribune du Palais des Nations. Le dictateur guinéen, néanmoins artisan de l’indépendance de son pays et adversaire déclaré de toute forme de compromis avec l’ancien colonisateur, estimait que la négritude est un concept erroné « irrationnel, favorisant l’irrationnel », qui repose sur la discrimination raciale exercée sur les peuples d’Afrique, d’Asie et les hommes de couleur en Occident. L’approche « éternitaire » du nègre « négritique » n’est pas une démarche métaphysique, mais une démarche politique, estimait encore Sékou Touré qui en rajoutait une couche en accusant la négritude de fixer « les théories les plus usées sur les traditions africaines dont elle prétend être le reflet littéraire ». Pour beaucoup d’intellectuels présents à Alger, la négritude, admise comme une approche d’appréciation critique pour la valorisation de l’art, est inapte à l’évolution. La négritude, selon eux, « n’est ni réaliste ni objective, mais consiste uniquement en une réaction subjective ». Ceci dans la mesure où la création intellectuelle, facteur essentiel du développement de la civilisation, est tributaire des « conditions matérielles et spirituelles dans lesquelles vit l’homme, et non par la race ou la pigmentation de la peau… ». Ainsi la négritude est moins la prise de conscience du fait d’être noir que du fait de ne pas avoir la peau blanche. « Les adeptes de la négritude servent finalement les intérêts des colons qui ont œuvré durant deux siècles à distinguer les peuples des divers continents, selon des critères de race » soulignait-on encore lors de ce symposium historique. Ki-Zerbo estimait quant à lui, que « le contexte ayant disparu, la négritude est aujourd’hui sans fondement et ne peut servir comme théorie générale comme ‘’risorgimento’’ africain puisque nous ne sommes pas tous des noirs… Le moulin de la Négritude a moulu le bon et beau grain de la dignité noire et de l’insurrection spirituelle contre le mépris des damnés de la terre. Cependant ajoute-t-il, aujourd’hui « ce moulin se dresse dans un paysage bien transformé ou ronflent même des mécaniques… ». Il soulignait ainsi de manière imagée le décalage de la négritude avec les transformations du monde dans les années soixante déjà.

{{Boukhalfa Amazit}}

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