Ci-dessous, un article en deux parties sur la montée des idées d’extrême droite en France et aussi en Martinique.
Mais pour commencer, je souhaite indiquer que le Procureur Gaudeul va bientôt quitter la Martinique. On ne va pas le regretter.
Son bilan de lutte contre la délinquance et la violence n’est ni meilleur ni pire que celui de ses prédécesseurs. En dépit de sa grande présence médiatique, ni la violence, ni la délinquance, ni la consommation de drogue, ni le trafic de stupéfiants n’a diminué en Martinique. Tout cela est banal car on ne peut demander à la justice de résoudre des questions sociétales. On peut quand même demander de les gérer intelligemment mais là encore, M. GAUDEUL n’est pas un concepteur mais l’exécuteur d’une politique pénale totalement absurde qui est pire que le mal.
Les procureurs passent et repassent mais Gaudeul restera quand même celui qui a mis en place une offensive répressive, en défense d’un ordre colonial ségrégationniste et discriminatoire, contre des actions militantes anti-chlordécone ou politiques à la fin de l’année 2019. Rafles au petit matin, gardes à vue, procès, fichages, violences policières, remises en causes des libertés publiques, toute la palette a été mise en place. Même si l’éradication espérée n’a pas eu lieu, cette offensive a su créer son lot de blessés, de peur et de crainte chez de nombreux jeunes qui ont fait l’expérience de la répression. Merci pour la leçon !
En novembre dernier, ce personnage m’avait menacé ainsi que mon confrère Arneton de plaintes pénale et disciplinaire. Nous attendons toujours.
Terminons avec une touche d’humour. Sa hiérarchie l’a muté à Nantes. D’une colonie à un ancien port négrier, M. Gaudeul est vraiment dans le sens de l’histoire ! Bon vent et Au suivant.
PARTIE I : LES DEFAITES ET RECULS
En 1984, Antoine Comte, ténor du barreau de Paris, écrivit une livre intitulé « La défaite ». Avocat des « Irlandais de Vincennes », il constatait que la gauche mitterrandienne (« l’Union de la gauche ») avait cédé aux discours sécuritaire et renoncé au combat pour la défense des libertés publiques et encore plus pour leur avancée.
Aujourd’hui, 17 ans après, la gauche française accumule les renoncements et les défaites. L’idéologie de l’extrême droite a envahi l’espace politique et la gauche, loin de la battre, ne cesse de reculer. Plus la crise économique se déploie, plus l’individualisme prend le pas sur l’intérêt général. Le discours sécuritaire et répressif devient central, que ce soit au nom de la lutte contre la délinquance, contre la violence ou le terrorisme. On cultive l’amalgame en tout et sur tout. Les islamistes, les islamo-gauchistes, les terroristes et bien entendu les musulmans qui ne veulent pas s’intégrer et mettre au pas des quartiers entiers. Critiquer Israël est un acte antisémite. Remettre en cause le modèle économique néo-libéral ou la domination de la planète par un occident arrogant vous transforment en alliant des régimes autoritaires sinon devenir un allié potentiel des chinois et des russes.
Il existe une dangereuse convergence de diverses forces politiques pour la promotion de ce discours de l’égoïsme, de la loi du plus fort, d’un système inégalitaire.
Cette situation française nous intéresse malheureusement. D’une part car nous dépendons de la France et qu’elle nous dirige. La montée d’un extrême-droite ne peut qu’avoir des effets délétères en Martinique. D’autre part, ces effets sont de plus en plus visibles et préoccupants sur notre propre situation politique.
On avait déjà vu Marie Jeanne aller voter Macron au prétexte qu’il fallait barrer Le Pen. Pour la présente élection, il s’affiche avec le premier maire macronien de Martinique qui ne s’est jamais renié ainsi que celui de Sainte Anne dont les liens avec le Front National ont été dénoncés en son temps. De même, un ancien dirigeant du Front National rallie une liste se disant de gauche sans que cela n’émeuve quiconque et surtout pas les dirigeants de ce parti, fondé par l’auteur du « Discours sur le colonialisme ».
Il n’y aurait plus de gauche, il n’y aurait plus de droite, discours faisant le lit de l’extrême droite. Cette perte de repères se retrouve aussi dans ces listes se qualifiant du « centre » (autre triangle des Bermudes) où se mêlent tout le monde au nom d’une fausse unité ne visant qu’à l’obtention de hochets coloniaux et au statu quo politique.
La perte des repères et des principes fait que nous assistons à des situations politiques assez effarantes.
Récemment, le monde politique français nous en a offert quelques exemples.
En France, des syndicats policiers dont les liens avec l’extrême droite sont patents appellent, en exploitant honteusement la mort d’un policier dans une opération anti-drogue, à une manifestation devant l’Assemblée Nationale. Cette manifestation a lieu dans un contexte où, il y a quelques semaines, quelques centaines de militaires ont lancé un quasi-appel à une intervention de l’armée dans le débat politique. Ces syndicats policiers ont pris comme cible les thèmes habituels de l’extrême droite : les politiciens laxistes, la justice qui ne condamne pas assez, etc… Comme en 1934, c’est devant (et contre) l’Assemblée Nationale qu’ils décident de manifester.
Le ministre de l’Intérieur y annonce sa participation, fait sans précédent en 5 républiques ! Un ministre qui vient manifester contre la représentation nationale au nom de revendications extrémistes et pour partie anticonstitutionnelles. Il faut dire que ce ministre, présumé innocent de deux accusations de viols, a été nommé par Macron pour faire du Sarkozy et (objectif actuel de la macronie en vue des prochaines présidentielles) capter des voix à droite et à l’extrême droite. Récemment, ce même ministre n’a pas craint en plein débat avec Marine Le Pen de dire celle-ci « trop molle » dans la lutte contre l’immigration clandestine !
Bien entendu, ce qui est somme toute normale, l’extrême droite et la droite annonce aussi participer à cette manifestation factieuse. La situation est déjà politiquement à risque.
Mais, voici que la gauche française en rajoute en décidant de suivre le mouvement. Le candidat communiste Roussel et le secrétaire socialiste Faure rallient Lepen, la droite et le parti présidentiel en soutien aux revendications des syndicats policiers extrémistes. Pire, Faure annonce que son parti souhaite que la police (corps de fonctionnaire de l’état) ait « un droit de regard » sur la justice (autorité indépendante selon la constitution française). C’est une hérésie qui va à l’encontre de toutes les idées bâties sur la séparation des pouvoirs par la gauche française depuis le milieu du XIXème siècle. En un revers de main, le premier secrétaire socialiste remet en cause le principe de l’indépendance de la justice.
Dans ce cadre, l’actuel ministre de la Justice présente un projet de loi aux députés où des principes législatifs datant des lendemains de la seconde guerre mondiale sont remis en cause. Pire, au fur à mesure des débats, sous la pression des syndicats policiers d’extrême droite, de nouveaux amendements sont rajoutés toujours dans l’objectif de renforcer la répression : suppression du « rappel à la loi », suppression des remises de peines de droit pour les prisonniers au bénéfice de remise à la tête du client, augmentation de la peine de sureté pour les agresseurs de policiers, extension aux mêmes agresseurs de l’impossibilité de libération conditionnelle etc…
Raphaël CONSTANT
Avocat et Militant
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