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La mémoire et la vérité doivent-elles être bâillonnées ? A propos de l’ouvrage de Corinne Mencé-Caster

Térèz Léotin
La mémoire et la vérité  doivent-elles être bâillonnées ? A propos de l’ouvrage de Corinne Mencé-Caster

Mémoire et Vérité : Une vierge apparaît, en 1948, sur une des plages des côtes de la Martinique. À défaut d’être de chair, elle est de chaux. C’est la Madone que le peuple bon enfant qui croit au Père Noël comme il croit au miracle, va aduler. L’avion le Latécoère chargé de récolter le butin amassé par quête, va disparaître en mer corps et bien. Fin du rêve qui n’est autre qu’un odieux scandale.

De 1972 à 1993 en Martinique et Guadeloupe il faut lutter contre le charançon du bananier. On utilisera alors, et à outrance,  la chlordécone « une espèce de molécule remède » qui hélas va se révéler pire que le  mal. Pour laisser la polémique tranquille, on en parlera très peu, on évitera d’ailleurs de le faire. En 2018, l’hécatombe continue toujours, et avec Basile, un des bienheureux de cette affaire, la vie continue cahin-caha, lorsqu’elle le peut.  Scandale étouffé, mémoire bâillonnée.

Racines perdues  Il y avait autrefois au Saint-Esprit un collège,  il avait connu comme élève Joseph Zobel lequel  en parle, d’ailleurs  dans « La rue Case nègres ». Toute proportion gardée, nous l’opposerons à Notre Dame de Paris, construite à partir de 1163, qui défie encore le temps et pour longtemps, alors qu’en revanche, toute honte bue, on démolira le collège construit vers les années 1900 pour en faire un parking, dans  l’indifférence générale, et céder ainsi aux attentes du modernisme. Fin de l’histoire. Un peuple sans mémoire est sans racine.

La pointe  de nos souvenirs Nous avons une école élémentaire dite école de la pointe Lynch qui nous nargue au Robert, sans que les élèves ne sachent qui était ce Lynch qui a tout aussi tristement laissé son nom au verbe lyncher. Nous n’avons pas d’Histoire, nous n’avons pas de Mémoire, on ne nous laisse que certains souvenirs.

Si je fais allusion à ces faits qui paraissent si anodins c’est parce que pour beaucoup d’entre nous, parler dérange. Dire c’est parler sans raison  aucune,  alimenter des petits cancans, et on laisse entendre que nous aimons faire « des histoires », des polémiques, pour un oui, pour un non.

Nous n’aurions donc ni Histoire, ni Mémoire, nous n’aurions que nos « scandales » à taire pour montrer la bonne apparence, la belle image. Or disait déjà un grand grec en son temps : se taire c’est devenir complice.

Pourquoi se taire ? Se taire c’est refouler une douleur, c’est oublier, et oublier c’est laisser s’installer l’indifférence. 

La mémoire et la vérité  doivent-elles être bâillonnées ?

Savoir combattre les silences, braver les omertas, CMC, et  elle a bien raison, les affronte et raconte dans son roman la vie d’enfer qu’elle a connu à l’Université Franco-Caraïbe (l’UFC).  « Tout a commencé nous dit notre courageuse narratrice, un certain 24 janvier 2013. Elle y a été présidente à un moment où on ne l’attendait pas, ce qui fut pour elle « comme un changement de millénaire ». Elle part du principe que « rien n’arrive par hasard et que tout ce qui nous tombe dessus doit être réinterprété, pour y trouver un sens. Elle ne cachera donc rien qui en vaille la peine.»

Cette nouvelle Présidente est une femme que l’on croit fragile. On la croit fragile parce qu’elle est jeune, et qu’on la voit frêle, direz-vous naïvement. NON. On la pense fragile parce qu’on la perçoit surtout femme.

Elle a succédé aussi à Josy Alaméda une des deux femmes qui ont dû subir bien trop sagement peut-être l’emprise, la main-mise du Responsable de laboratoire aux recherches douteuses infructueuses dans bien des domaines, un certain Félix Talisman.

Combien étonnante  sera la surprise, lorsque la frêle petite personne, cette femme irréelle, deviendra l’œil cruel de la transparence, au grand dam du dénommé chercheur et de ses griffeurs. Il va s’organiser « toute une résistance, sous l’égide d’une présidente insoumise, qui finira par venir à bout de ce gourou. »

Elle devra donc affronter les polémiques, subir les abjections dans une affaire tellement grosse que l’on préfère ne pas y croire, ne pas la voir comme font  toutes les autruches qui se sont mises en parade, la tête loin des dossiers brulants, tout autour de ce monsieur Talisman de malheur.

L’homme avec ses complices « enterre,  tout ce que CMC déterre ». ll n’a pas de scrupules. Il n’a qu’une loi, la sienne. Il se prend pour le centre de gravité de l’Université.  Il « relève plus de l’homme d’affaires que du professeur d’université à proprement parler. Dans un Rapport du Grand Vérificateur des Comptes, au fil des quelques trente pages consacrées à la gestion de son laboratoire  CARIBMIA, » le triste individu  figure en très bonne place. Ce Rapport que le président sortant remet à la nouvelle Présidente, le lendemain même de son élection est un cadeau de bienvenue empoisonné.

Voici esquissé en deux mots « Le Talisman de la présidente », l’ouvrage qui  vient de paraître aux Éditions ÉCRITURE, un roman de Corinne Mencé-Caster laquelle, nous fait voir les affres du grand scandale que CMC raconte, et que l’on cherche à dissimuler à tous prix, même au prix du démantèlement de l’Université Franco-Caraïbe (UFC).

Pour la narratrice CMC, qui le vit de l’intérieur, elle est coupable d’avoir fouiné, il ne faut surtout pas oublier toutes les humiliations subies «  ils me donnaient six mois avant de m’abattre, les années ont passé, les mémoires ont oublié mais pas moi. »

Il s’agit pour l’héroïne  de démontrer ici, avec beaucoup de lucidité du reste, et autant de perspicacité, qu’elle n’est pas de celles qui laissent les gouffres de l’oubli, si pressés de tout détruire, engloutir nos mémoires.

Elle a pour Grande Maison, la Raison, et n’est inféodée qu’à son honnêteté. Sa mission elle devra l’imposer pour réagir face aux ambitieux, au comportement surprenant d’un Félix Talisman détournant tout à son gré, parlant d’intrusion inacceptable dans ses affaires.

Imaginez donc, si nous n’avions les iconographies représentant la Marie-Séraphique, ce navire négrier,  bien fou qui pourrait répéter que des êtres humains ont pu être entassés à fond de cales par d’autres êtres humains.  Nous pourrions aller jusqu’à nier ces vérités historiques. 

Pour ne pas confondre ses propos avec des ragots colportés CMC donne des preuves, qui sont les traces laissées dans le sillage des machinations abjectes.

Il faut parler et elle parle. Non ! Elle écrit. Car personne ne l’empêchera « de témoigner de ce qu’elle a vu de ses yeux vus ». Elle l’écrit pour que ne soit pas enfoui ce fumier  malodorant qui devra cependant  nourrir les mémoires de ceux qui ne veulent pas admettre qu’il y a eu des « malversations intentionnelles », des complicités, des silences suspects, « une grande opacité » au cœur même de la gestion publique. 

« Tous les quinze ans, un rapport du Grand Vérificateur des Comptes est expédié à une présidente-femme ! Et ceux adressés aux présidents-hommes, personne n’en a parlé ? »Il  est accablant pour le CARIBMIA.  

CMC observe de manière positive, et sans rancune «  Je me dis, affirme-t-elle,  qu’il faut, quoi qu’il en soit, quel que soit le champ de ruines que l’on découvre à ses pieds, accepter de redonner une chance, pour recréer des situations plus favorables, … pour forger d’autres destins, plus grandioses, moins pétris d’égocentrisme et de petites  rancœurs en latence. Ce rapport a changé ma vie… il a délimité une frontière nette, entre ceux qui essaient d’être honnêtes et ceux qui s’abandonnent sans scrupules à la malhonnêteté, entre ceux qui refusent de se laisser acheter et ceux qui se vendent. »

La Dame CMC ne cautionne pas ces égarements, pour ne pas devenir complice de pratiques illicites. Elle réclame la lumière sur le dossier sulfureux du CARIBMIA sur lequel le sieur Talisman qui en a la charge a tissé sa toile. Il a une « propension à confondre ses comptes personnels et ceux du laboratoire. »

Deux camps, deux gangs. L’homme croit qu’on a  affaire à une Présidence bifide.  Qui est pilote à bord ? Serait-ce ce monsieur Talisman qui détient les pouvoirs ? Qui insulte, invective jusqu’aux ministres de l’Autre-bord et leurs institutions. L’université semble folklorique et répondre à un  nom de mépris donné ça et là, à certaines autres institutions : l’Université du Club med. Comprendre : Ou pa ka aprann an med, la.

Toutes les occasions sont bonnes pour sauver le soldat Talisman qui a des ramifications protectrices partout. Pour Talisman qui n’argumente rien la manipulatrice se dénomme CMC. Ses comparses adhèrent.

 « Asseyez vous sur le droit, madame » dit un ministre ulcéré à CMC. D’une certaine manière il participe au complot à grande échelle, à la machination qui engageait cependant la responsabilité de l’état. Toutes les portes se ferment, car l’arbre élevé attire le vent. C’est ainsi que va se déclencher  « une guerre nucléaire » qui éclate au sein du bastion fragilisé qu’est devenu l’UFC. L’homme aux mille facettes, Félix Talisman sait surtout rendre coupable un innocent, et déculpabiliser le coupable de détournement d’argent qu’il est. Il se trouve sur sa plantation à l’UFC. Son habitation : Votre chef vous a dit, mais moi je vous dis » clame-t-il.

Mise en quarantaine dans une université qui n’a plus ses vêtements de lumière, CMC cette Sentinelle de la Dignité, se sent étriquée, « comme immunisée contre le mal que l’homme fait à l’homme ».

Tout au long du roman, Félix Talisman, lui  « a été et restera un magouilleur ou encore le grand marionnettiste qui aura su comment tirer toutes les ficelles secrètes des diverses présidences de l’Université Franco-Caribéenne…. On n’a pas besoin d’être mille, ni dix mille, ni cent mille, poursuit CMC, quand on a des cœurs vaillants qui ne calculent pas avant de s’engager, qui ne cherchent pas à savoir si leur carrière en prendra ou non un coup, ou s’ils se feront mal voir des autorités ».

Nous avons trop tendance à oublier ceux qui nous ont construits pour aller admirer ceux qui nous ont détruits, et ce roman nous rappelle à l’ordre.

Alors tant que l’oubli et sa complice l’indifférence seront combattus, l’homme pourra espérer de son prochain, des jours meilleurs.

Je vous recommande « Le Talisman de la présidente ». Ce roman dépeint sans complaisance le « boucan » qu’a rencontré l’héroïne face à un pompier-pyromane.

Térèz Léotin

Commentaires

Cyril Charpentier | 07/01/2018 - 21:17 :
Comble de l'horreur et de l'irresponsabilité typiquement martiniquaises l'ancien collège du St-Esprit avait été transformé en un assez intéressant "Musée des Arts et Traditions populaires" évoquant les conditions de vie des gens des années1910-1950:liquidé lui aussi en même temps que le bâtiment dans l'indifférence générale. Mé tout moun ka palé di "patrimoine".Allez comprendre!!!
Véyative | 08/01/2018 - 20:46 :
J'ai une profonde admiration pour cette femme .Mais j'éprouve aussi une profonde tristesse de tout ce qu'elle a du subir et même un peu de honte de n'avoir été que simple spectatrice de cette affaire scandaleuse.

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