Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

LA LUTTE DU PEUPLE DES CHAGOS

par Emmanuel Charles-Dominique sur www.inversalis-productions.eu
LA LUTTE DU PEUPLE DES CHAGOS

Dans l’Océan indien, les habitants de l’archipel des Chagos ont été expulsés de leur pays par les Britanniques dans des conditions iniques, afin d’y installer une très grande base militaire américaine.

C’était il y a 40 ans, et pendant toute cette période la communauté des Chagossiens n’a cessé de lutter, avec une détermination sans faille pour son droit au retour. Les plaintes contre le gouvernement britannique ont été nombreuses, quelques batailles juridiques ont été gagnées, certaines permettant même de reconnaître un droit au retour, mais aucune n’a été suivie d’effet. Un grand espoir est placé désormais dans l’examen prochain d’une plainte du Groupe Réfugiés Chagos (GRC) devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg. Dans les pays anglo-saxons, la cause des Chagossiens est soutenue par des personnalités de premier plan. Il est temps que les défenseurs des droits de l’homme des autres pays les rejoignent.

Le contexte

En plein océan indien, au sud des Maldives et à l’Est des Seychelles, se trouve l’archipel des Chagos, composé d’un ensemble d’îles de faible altitude, d’atolls et de récifs coralliens. Les terres émergées occupent une soixantaine de kilomètres carrés, dont la moitié sur l’île de Diego Garcia, les lagons intérieurs occupent 15 000 km2 tandis que la Zone Économique Exclusive (ZEE) attachée à l’archipel, donnant droit à l’exploitation des ressources marines est immense, de la taille de la France.

On estime que l’écosystème a une importance écologique mondiale, abritant une biodiversité corallienne très bien préservée et très étendue, la zone servant aussi à l’étude des changements climatiques.

L’archipel est depuis 1965 un territoire britannique, le BIOT (British Indian Ocean Territory), au statut de territoire d’outre-mer. Il a pris ce statut peu avant l’indépendance de l’Ile Maurice, à la suite de l’achat du territoire par la Grande-Bretagne.

Les Anglais préparaient alors, avec les américains, le projet d’installer une base militaire sur l’île principale, Diego Garcia. Les Américains posèrent comme condition absolue que cette île ainsi que toutes les îles avoisinantes soient entièrement vidées de leurs habitants. Ce qui fut fait.

C’est ainsi que les Chagossiens, peuple créole comptant de 1000 à 2000 personnes, habitant les îles depuis des générations, ont été expulsés méthodiquement, proprement déportés, à partir de 1971, avec un cynisme rare qui reste gravé dans les mémoires. On trompait les habitants en les amenant à l’île Maurice pour de prétendues démarches administratives, le retour étant interdit au prétexte que leur île avait été entre temps « fermée ». L’interdiction de retour est restée catégorique, sans exception, même pour des visites occasionnelles ou des cérémonies.

Jusqu’à aujourd’hui, 40 ans après, les Chagossiens se battent toujours et espèrent le retour dans leur pays natal. Leur constance est remarquable et leur combat exemplaire. Ces quarante années ont été une longue suite d’injustices et de déceptions. En voici quelques épisodes marquants. Les conditions de vie de la plupart des îliens à leur arrivée à l’Ile Maurice sont décrites comme déplorables dans un rapport de 1981. Ils sont sans toit ou dans des conditions de pauvreté alarmantes : alcoolisme, délits, analphabétisme… Suite à ce rapport, des mesures sont prises pour leur fournir une maison mais nombreux sont ceux qui doivent la vendre pour rembourser les dettes qu’ils ont contractés pour vivre… A plusieurs reprises, les Anglais versent des indemnisations aux îliens, mais une grande partie n’arrive pas aux destinataires.

Les Chagossiens mènent une longue bataille juridique soldée par une victoire majeure devant la Haute Cour de Justice d’Angleterre en 2000. Elle établit que les déportations avaient été illégales et que le « zèle des officiels à appliquer ces politiques de retrait était allé au delà de toute limite ». Le gouvernement ne fait pas appel. Le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères admet que les îliens doivent être autorisés à revenir dans toutes les îles sauf Diego Garcia. En 2002 on accorde aux Chagossiens la pleine citoyenneté britannique, et plusieurs partent s’établir près de Gatwick.

En 2004, pourtant, le gouvernement britannique porte un coup d’arrêt en invalidant la décision de la Haute Cour, moyennant deux décisions qui lui permettent de passer outre le parlement. Il s’en suit une bataille juridique, la Haute Cour jugeant la mesure du gouvernement illégale et même « répugnante ». L’appel le confirme : « la liberté de retour dans son pays natal, même s’il est pauvre et que la vie y est difficile, est l’une des libertés fondamentales que l’on reconnaît aux êtres humains ».

Le GRC fait alors appel en 2008 auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme. Le gouvernement britannique décide – jusqu’à présent – de ne pas résister à l’appel déposé par le Groupe Réfugiés Chagos. Du coup, le rapatriement des Chagossiens apparaît comme une réalité proche.

La cause des Chagossiens a reçu l’appui de personnalités importantes en Angleterre et aux Etats-Unis, mais très peu en dehors de ces pays. J. M. G. Le Clézio, Prix Nobel de littérature 2008, écrit ainsi à Barack Obama : »Je souhaite attirer votre attention sur une injustice qui dure depuis quarante ans. Je veux parler de la déportation du peuple chagossien ». Ben Fogle, présentateur vedette de la BBC, prend aussi position pour les Chagossiens. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, interpelle le gouvernement des Etats-Unis pour que les Iles Chagos soient rendues à l’Ile Maurice. Les grandes ONG environnementalistes Nature Conservancy ou Greenpeace suivent attentivement les épisodes juridiques et l’actualité de ce dossier, à forte composante environnementale mais où tout se mêle, impérialisme, environnement, intérêts économiques, conservation, militarisme, humanitaire, droits de l’homme…

La dimension écologique vient s’ajouter récemment à cette situation déjà complexe. A partir de 2008, le gouvernement britannique crée un consortium appelé Chagos Environment Network (CEN) qui regroupe les plus grandes institutions britanniques chargées de la protection (conservation) de la nature. L’institution est chargée d’étudier les besoins de protection de l’écosystème des Chagos et envisage de créer des aires protégées. Une consultation est organisée auprès des grandes ONG et du public sur la nécessité d’une conservation accrue des récifs coralliens, d’un point de vue uniquement écologique (270 000 réponses). Cela permet au gouvernement d’attribuer, le 1er avril 2010, de manière inattendue, le statut d’Aire Marine Protégée (AMP ou MPA en anglais) à l’ensemble de l’archipel des Iles Chagos. L’AMP ainsi définie, la plus grande du monde, est de type « no-take », c’est-à-dire « réserve intégrale » avec un impact humain qui doit être extrêmement limité. On notera immédiatement la contradiction du maintien de la base militaire dans cette nouvelle entité (armements hautement polluants, etc.). La légitimité de cette AMP sera bientôt contestée devant le Tribunal International du Droit de la Mer.

Les ONG de conservation affirment à la fois leur soutien aux mesures de protection intégrales tout en affirmant leur respect du droit des Chagossiens ainsi que la revendication territoriale de Maurice. On peut craindre que le pot de terre des droits des Chagossiens se trouve encore fragilisé devant le pot de fer de l’ensemble des intérêts auxquels s’ajoute la protection de la nature.

Cette crainte est confirmée par une révélation scandaleuse, faite par Wikileaks, dans un câble de mai 2009 venant de l’ambassade des Etats-Unis à Londres. Extraits : d’après un officiel britannique, « ce parc marin, le plus grand du monde, n’affecterait en aucune manière l’utilisation par le gouvernement US du BIOT, incluant Diego Garcia, à des fins militaires […] les anciens habitants devraient avoir des difficultés, sinon l’impossibilité, de continuer à demander leur réinstallation dans les îles si l’ensemble de l’archipel des Chagos devenait une réserve marine ». L’ensemble des obstacles opposés au respect des droits de retour des Chagossiens est une récapitulation des instruments de domination : colonialisme, impérialisme, militarisme, diplomatie s’appuyant sur des mesures de protection de la nature, tout y est.

Au mois d’avril 2011, une plainte des Chagossiens doit être examinée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est une étape déterminante pour eux. Il serait opportun que les associations de défense des droits de l’homme soient informées rapidement de ce dossier pour faire face à une possible actualité, pour prendre position et affirmer la solidarité des altermondialistes.

Emmanuel Charles-Dominique

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages