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La dérive identitariste

Jean BERNABE
La dérive identitariste

La question de l’identité n’a jamais été aussi cruciale qu’en ce moment de montée de l’identitarisme, idéologie particulièrement nocive à l’échelle de la planète. On a affaire à ce que je qualifie de dérive cognitive, la cognition étant l’ensemble des mécanismes à travers lesquels l’être humain fait fonctionner son esprit, en rapport avec le langage. Certains sont gérés correctement, d’autres sont biaisés, ce qui produit des conséquences délétères.

La définition rationnelle de l’identité correspond à ce qui ne change pas, autrement dit à l’immutabilité. L’être humain, comme toute entité, tout en étant soi-même est distinct d’autrui : cela s’appelle la spécificité. Cette spécificité est évolutive puisque de la naissance à la vieillesse, nous changeons. Mais, malgré ces changements, chacun d’entre nous reste le même, marque d’une invariance. L’identité est un attribut concernant seulement l’individu, qui en tant que personne, détient un cerveau, organe exclusivement individuel. Il ne faut pas confondre l’identité et l’état-civil, qui correspond à la « spécificité », caractéristique pouvant concerner toute réalité. Une voiture peut être identifiée par un numéro, tout comme une personne par une carte dite d’identité, portant aussi un numéro. Mais une carte dite d’identité est en réalité une carte indicatrice de la spécificité d’un individu, indispensable pour ne pas confondre les gens. De même, mon nom et mon prénom ne sont pas la marque de mon identité, mais de ma spécificité exprimée socialement par mon état-civil utilisant des identifiants. De nature unique, inaliénable, inviolable, irréductible, absolue, l’identité n’est jamais menacée.

Les identitaristes pensent que leur pays est immuable, ce qui est contraire aux enseignements de l’Histoire. Si les peuples étaient détenteurs d’une identité, en quoi les identitaristes devraient-ils être jugés coupables et condamnables de protéger celle-ci contre d’autres jugées intrusives et dangereuses ?  D’un autre côté, pourquoi ceux-là mêmes qui proclament l’existence d’une identité française sont-ils aussi ceux qui craignent le plus de voir leur pays dénaturé, défiguré, alors qu’ils la jugent immuable ? Assurément, les identitaristes se trompent sur la nature de l’identité, mais ils ne sont pas les seuls, car leurs adversaires se trompent aussi, leur réaction étant surtout moralisatrice et pas rationnelle.  La cause de la dérive en question résulte d’une opération cognitive reliée à divers mécanismes dont la métaphore, conformément aux travaux de Lakoff et Johnson, fondateurs de la linguistique cognitive. Il s’agit du transfert d’une réalité quelconque d’une domaine-source à un domaine-cible. Il existe des métaphores positives et fécondes et des métaphores négatives et délétères. Si je parle d’identité collective, je suis dans une métaphore, parce que l’intelligence ne peut être que personnelle. Mais cette métaphore est positive parce qu’en se rassemblant pour échanger on devient plus efficace. Par contre, si je transfère la notion d’identité de l’individu (domaine-source) au groupe (domaine-cible), cette métaphore est dangereuse, parce que seule la personne est concernée par cet attribut. En effet, un groupe est composé de plusieurs personnes, mais il ne possède pas en tant que tel un seul et même cerveau. Le transfert impropre de l’individu au groupe produit différents maux exprimés par autant de mots en -isme : identitarisme, communautarisme, égocentrisme, ethnocentrisme, anthropocentrisme, racisme, nationalisme (étroit), souverainisme, fixisme, conservatisme, totalitarisme, despotisme, absolutisme, intégrisme, sectarisme, radicalisme, prosélytisme, voire terrorisme.

L’identité ne pouvant aucunement être attribuée de l’extérieur, se définit en effet comme étant un attribut naturel et intrinsèque de l’individu en tant que personne vivante douée d’une conscience. Le rapport symbolique des humains à la Terre est essentiel et nous permet de poser la problématique de l’habiter. Les humains se veulent autochtones, autrement dit issus du terroir où ils sont installés. Ils oublient souvent que le territoire où ils habitent résulte la plupart du temps de conquêtes guerrières de leurs ancêtres. La formation des peuples découle du peuplement de la planète. L’histoire d’Homo sapiens est une succession de migrations et les seuls humains qui soient autochtones (issus du sol) sont les tous premiers groupes qui ont émergé en Afrique, berceau de l’Humanité. En dehors de ceux-là, se vouloir autochtone relève de l’Imaginaire et entretient la dérive identitariste. Cela pose la question essentielle du double niveau et de la double orientation de l’appartenance : Ma maison est ma propriété, elle m’appartient et nul ne peut y installer sans ma permission. Mais est-ce que j’appartiens à mon pays ou bien est-ce mon pays qui m’appartient ? Dans le premier cas, je travaille à l’épanouissement de mon pays, sans me prendre pour son propriétaire. Par contre, dans le deuxième cas, je considère mon pays comme ma propriété et la voie est ouverte à la xénophobie qui est le rejet systématique de l’étranger.        

Selon le philosophe allemand Heidegger, l’homme a pour horizon inéluctable la mort, ce qui rend particulièrement cruciale la notion d’identité, sur laquelle se focalisent les humains angoissés par cette idée. Les religions monothéistes repoussent cet horizon en promettant, sur le modèle christique, une résurrection après la mort. La notion d’identité, telle qu’analysée dans cet essai, se rattache à la réalité divine. Il s’avère alors que quand la Bible affirme que Dieu a créé l’Homme à son image, ce qui est concerné par cette image est non pas la spécificité évolutive des humains (marquée soit par le Bien, comme les êtres sanctifiés, soit par le mal, comme en témoignent par exemple les criminels de guerre), mais par l’identité dans son invariance. Il n’y a pas une identité religieuse mais des spécificités religieuses illustrées par les clivages affectant le christianisme réparti entre catholiques, orthodoxes ou protestants, et l’islam où s’opposent sunnites et chiites. Au lieu d’être ce qui est censé relier les humains entre eux et ces derniers à leur divinité, la religion, contrairement à son socle étymologique, fonctionne paradoxalement comme une machine à diviser et un motif permanent de guerre. La responsabilité en incombe à l’identitarisme religieux, lequel a pour débouché immédiat l’intégrisme, transition obligée vers le totalitarisme théocratique, voire le terrorisme. Comment ne pas admettre que vivre dans une totale inconscience de cette conception biaisée de l’identité est mortifère ?

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