Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

La déclaration Balfour : étude de la duplicité britannique

Avi Shlaim ("Middele-East Eye")
La déclaration Balfour : étude de la duplicité britannique

Ce document qui a changé le cours de l’histoire aura cent ans jeudi prochain, mais la Grande-Bretagne ne reconnaît toujours pas le refus israélien du droit palestinien à l’autodétermination nationale – et sa propre complicité

La déclaration Balfour, publiée le 2 novembre 1917, est un court texte qui a changé le cours de l’histoire. Elle a engagé le gouvernement britannique à soutenir la création d’un foyer national pour le peuple juif en Palestine, à condition que rien ne fût fait « pour porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existantes en Palestine ».

À cette époque, les juifs ne constituaient que 10 % de la population de la Palestine : 60 000 juifs pour un peu plus de 600 000 Arabes. Pourtant, la Grande-Bretagne a choisi de reconnaître le droit à l’autodétermination nationale de la minuscule minorité et de le refuser catégoriquement à la majorité incontestée. Comme le décrivait l’auteur juif Arthur Koestler, c’était là une nation qui promettait à une autre nation la terre d’une troisième nation.

Certains récits contemporains ont présenté la déclaration Balfour comme un geste désintéressé et même comme un noble projet chrétien visant à aider un peuple ancien à reconstituer sa vie nationale dans sa patrie ancestrale. Ces discours émanent du romantisme biblique de certains responsables britanniques et de leur sympathie pour le sort des juifs d’Europe de l’Est.

Les études qui ont suivi laissent entendre que la motivation principale de la publication de cette déclaration relevait d’un calcul froid servant les intérêts impériaux britanniques. On croyait, finalement à tort, que les intérêts de la Grande-Bretagne auraient été mieux servis par une alliance avec le mouvement sioniste en Palestine.

La Palestine contrôlait les lignes de communication de l’Empire britannique vers l’Extrême-Orient. La France, principal allié de la Grande-Bretagne dans la guerre contre l’Allemagne, était également un rival dans la course à l’influence en Palestine.

En vertu des accords secrets de Sykes-Picot de 1916, les deux pays ont divisé le Moyen-Orient en zones d’influence mais sont parvenus à un compromis au sujet d’une administration internationale de la Palestine. En aidant les sionistes à prendre le contrôle de la Palestine, les Britanniques espéraient s’assurer une présence dominante dans la région et exclure les Français. Pour décrire les Britanniques, les Français parlaient de la « perfide Albion ». La déclaration Balfour était un excellent exemple de cette sempiternelle perfidie.

Les principales victimes de Balfour

Les principales victimes de la déclaration Balfour ne furent toutefois pas les Français, mais les Arabes de Palestine. La déclaration était un document colonial européen classique bricolé par un petit groupe d’hommes avec une mentalité complètement colonialiste. Elle a été formulée au mépris total des droits politiques de la majorité de la population indigène.

Le secrétaire aux Affaires étrangères Arthur Balfour n’a fait aucun effort pour dissimuler son mépris pour les Arabes.

« Que le sionisme soit juste ou injuste, bon ou mauvais, il est enraciné dans des traditions séculaires, dans des besoins présents et des espoirs futurs d’une importance bien plus profonde que les désirs et préjugés des 700 000 Arabes qui habitent aujourd’hui cette vieille terre », a-t-il écrit en 1922. Il pourrait difficilement y avoir d’illustration plus frappante de ce qu’Edward Saïd appelait l’« épistémologie morale de l’impérialisme ».

Balfour n’était qu’un aristocrate anglais languissant. Le véritable moteur de la déclaration n’était pas Balfour, mais David Lloyd George, l’impétueux radical gallois qui était à la tête du gouvernement. En politique étrangère, Lloyd George était un impérialiste britannique démodé et un professionnel de l’accaparement de terres. Néanmoins, son soutien pour le sionisme ne reposait pas sur une évaluation judicieuse des intérêts britanniques, mais sur l’ignorance : il admirait les juifs, mais il les craignait également et il ne comprenait pas que les sionistes constituaient une minorité au sein d’une minorité.

David Lloyd George (2e en partant de la gauche) et Winston Churchill (2e en partant de la droite) en 1910 (AFP)

En alignant la Grande-Bretagne sur le mouvement sioniste, il a agi en suivant la perception erronée – et antisémite – que les juifs étaient extraordinairement influents et qu’ils contrôlaient les rouages de l’histoire. En réalité, le peuple juif était impuissant, sans autre influence que celle que leur conférait le mythe du pouvoir clandestin.

En bref, le soutien de la Grande-Bretagne pour le sionisme en temps de guerre était ancré dans une attitude colonialiste arrogante vis-à-vis des Arabes et une idée fausse de la puissance mondiale des juifs.

Une double obligation

La Grande-Bretagne a aggravé son erreur originelle en inscrivant les termes de la déclaration Balfour dans le mandat de la Société des Nations pour la Palestine. Ce qui n’avait été qu’une simple promesse d’une grande puissance à un allié mineur est alors devenu un instrument international juridiquement contraignant.

La vraie question à poser est la suivante : cette politique immorale a-t-elle produit pour la Grande-Bretagne des récompenses concrètes ?

Pour être plus précis, la Grande-Bretagne en tant que force mandataire a assumé une double obligation : aider les juifs à construire un foyer national dans l’ensemble de la Palestine mandataire et, dans le même temps, protéger les droits civils et religieux des Arabes. La Grande-Bretagne a rempli la première obligation, mais n’a pas honoré la seconde, aussi simple fût-elle.

Il est presque indubitable que la Grande-Bretagne s’est rendue coupable de duplicité et de double jeu. La vraie question à poser est donc la suivante : cette politique immorale a-t-elle produit pour la Grande-Bretagne des récompenses concrètes ? Ma propre réponse à cette question est négative.

La déclaration Balfour a été un fardeau pour la Grande-Bretagne du début du mandat jusqu’à sa fin peu glorieuse en mai 1948.

Les sionistes ont affirmé que tout ce que la Grande-Bretagne a fait pour eux dans l’entre-deux-guerres n’était pas à la hauteur de la promesse originelle. Ils ont fait valoir que la déclaration impliquait un soutien en faveur d’un État juif indépendant ; les responsables britanniques ont rétorqué qu’ils n’avaient promis qu’un foyer national, ce qui n’est pas la même chose qu’un État. Dans le même temps, la Grande-Bretagne s’est attiré les foudres non seulement des Palestiniens, mais aussi des millions d’Arabes et de musulmans du monde entier.

Réfugiés palestiniens quittant la Galilée, en octobre/novembre 1948 (Wikimedia)

Elizabeth Monroe, dans son classique Britain’s Moment in the Middle East, délivre un jugement équilibré sur cet épisode. « En prenant uniquement en compte les intérêts britanniques, c’est l’une des plus grandes erreurs de notre histoire impériale », a-t-elle écrit.

Avec le recul, la déclaration Balfour ressemble à une bourde stratégique colossale.

Au final, elle a permis la prise de la Palestine par les sionistes, une prise de contrôle qui se poursuit jusqu’aujourd’hui sous la forme d’une expansion coloniale illégale mais implacable en Cisjordanie aux dépens des Palestiniens.

Un esprit enraciné

Compte tenu de cet historique, on pourrait s’attendre à ce que les dirigeants britanniques aient honte et désapprouvent cet héritage toxique de leur passé colonialiste. Mais les trois derniers Premiers ministres britanniques des deux principaux partis politiques – Tony Blair, Gordon Brown et David Cameron – ont tous manifesté un soutien ferme pour Israël et une totale indifférence envers les droits des Palestiniens.

Theresa May, la Première ministre actuelle, fait partie des dirigeants européens les plus pro-israéliens. Dans un discours de décembre 2016 prononcé devant les Conservative Friends of Israel (« Amis conservateurs d’Israël »), qui comprennent plus de 80 % des députés conservateurs et l’ensemble du cabinet, elle a salué Israël, évoquant « un pays remarquable » et « un phare de la tolérance ».

Remuant le couteau dans la plaie palestinienne, elle a décrit la déclaration Balfour comme « l’une des lettres les plus importantes de l’histoire » et promis de célébrer son anniversaire.

La Première ministre britannique Theresa May et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors de leur rencontre à l’intérieur du 10 Downing Street, en février 2017 (AFP)

Une pétition appelant le gouvernement à présenter des excuses pour la déclaration Balfour a été signée par 13 637 personnes, dont l’auteur de cet article. Le gouvernement a répondu comme suit :

La déclaration Balfour est une déclaration historique pour laquelle le Gouvernement de Sa Majesté n’a pas l’intention de s’excuser. Nous sommes fiers de notre rôle dans la création de l’État d’Israël.

La déclaration a été écrite dans un monde régi par des puissances impériales concurrentes, au milieu de la Première Guerre mondiale et au crépuscule de l’Empire ottoman. Dans ce contexte, la création d’une patrie pour le peuple juif sur la terre avec laquelle ils avaient des liens historiques et religieux aussi solides était la chose juste et morale à faire, en particulier dans le contexte de plusieurs siècles de persécution.

Beaucoup de choses se sont produites depuis 1917. Nous reconnaissons que la déclaration aurait dû demander la protection des droits politiques des communautés non juives en Palestine, en particulier de leur droit à l’autodétermination. Cependant, l’important est désormais de nous tourner vers l’avenir et d’établir la sécurité et la justice à la fois pour les Israéliens et pour les Palestiniens à travers une paix durable.

Il semblerait que, même si un siècle s’est écoulé, l’esprit colonial soit encore profondément enraciné chez l’élite politique britannique. Les dirigeants britanniques contemporains, comme leurs prédécesseurs au cours de la Première Guerre mondiale, désignent toujours les Arabes comme « les communautés non juives de Palestine ».

Certes, le gouvernement reconnaît que la déclaration aurait dû protéger les droits politiques des Arabes de Palestine. Mais il ne reconnaît pas le refus obstiné du droit palestinien à l’autodétermination nationale par Israël, et la complicité britannique dans ce déni continu. Les dirigeants britanniques, comme les Bourbons en France, n’ont visiblement rien appris et rien oublié au cours des cent dernières années.

- Avi Shlaim est professeur émérite de relations internationales à l’Université d’Oxford. Il est l’auteur de Le mur de fer : Israël et le monde arabe (2008) et de Israel and Palestine: Reappraisals, Revisions, Refutations (2009).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le secrétaire britannique aux Affaires étrangères Arthur James Balfour et sa lettre de 1917 (Wikicommons).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.