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Kettly Mars: «La littérature nous apprend à être des hommes!»

Kettly Mars: «La littérature nous apprend à être des hommes!»

Avec son nouveau roman Je suis vivant - son septième ouvrage de fiction -, la romancière haïtienne Kettly Mars continue de sonder l’âme de sa société à la dérive. Elle le fait cette fois à travers les chamboulements provoqués au sein d’une famille bourgeoise de Port-au-Prince par le retour au bercail d’un fils prodigue, atteint d’un mal psychique. Entretien.

RFI : Je suis vivant est votre septième roman et le deuxième depuis le séisme. Est-ce que c’est facile de reprendre la plume après avoir vécu une expérience aussi cataclysmique ?

Kettly Mars : Ce n’est pas facile. D’autant que, parce qu’on a une visibilité, on est sollicité de toutes parts, précisément pour parler de ce cataclysme. Moi, tout de suite après le séisme, je m’étais dit que je ne voulais pas en parler. Nous vivions à combustion lente et sortir tout cela, m’aurait fait trop mal. Mais, très vite, j’ai aussi compris qu’il fallait que cette souffrance sorte et l’écriture était cet exutoire dont j’avais besoin. Donc, malgré ma décision de départ, j’ai puisé dans le drame humanitaire de mon pays l’inspiration pour mon premier roman après le séisme. Aux frontières de la soif (Mercure de France, 2013) était un roman politique dans la mesure où il raconte les conditions de vie ou plutôt de survie des victimes du cataclysme. Et ce deuxième, Je suis vivant, même s’il ne parle pas directement du séisme et de ses conséquences, l’histoire s’inscrit dans la suite chronologique de l’événement. On est dans l’après-séisme. Comment vivre après une expérience d’une telle ampleur et radicalité ?

Dans le roman, cette radicalité a pour nom la folie ou l’autisme dont votre personnage principal est atteint. Tout l’enjeu du récit consiste à savoir s’il peut dépasser sa condition psychique et réintégrer sa famille. Alexandre est-il un personnage totalement imaginaire ?

Cette histoire m’a été inspirée par des faits réels. Je me suis appuyée sur l’expérience d’une famille que j’ai connue de près et qui a vécu des faits similaires, soit le retour au bercail d’un fils prodigue en quelque sorte. Tout comme les Bernier, ils n’ont eu que 48 heures pour s’organiser pour reprendre cet enfant parti depuis une quarantaine d’années. Ils ne le connaissaient plus vraiment. Imaginez le sentiment qui a traversé cette famille, quasiment assommée par ce retour imprévu. Les questions qu’ils se posaient : Comment vit-on avec un aliéné mental ? Comment s’en occuper ? Quelle sera la relation ? Et puis, avoir un malade mental dans une famille, c’est un grand drame, dans toutes les sociétés d’ailleurs. Chez les Bernier, on ne parlait pas beaucoup d’Alexandre. Il est là quelque part dans leur souvenir, dans leur mémoire et leur affection. Mais son absence est aussi une douleur qu’on ne peut oublier, même s’il vit dans le même pays qu’eux, mais tellement loin d’eux ! Le retour du malade est une catastrophe. Tous se demandent comment ils vont gérer les émotions que ce retour va infailliblement susciter. C’est cette question qui traverse tout le roman.

Tous les personnages se posent la question, mais c’est la mère, Eliane, qui la pose avec la plus grande acuité...

Eliane, c’est la voix qui s’élève au-dessus de toutes les autres. Elle s’impose grâce à l’autorité de son âge, son amour, mais aussi la profondeur de ses blessures en tant que mère. Mais Eliane est un personnage fort, celui qui donne le « la ». Elle est le chef d’orchestre de la famille qu’on suit toujours et qui, malgré son grand âge, a été la première à réagir et à prendre les bonnes décisions, devant la situation qui s’est présentée à la famille de façon tout à fait inattendue.

Elle n’est pas le seul point de vue que vous adoptez. En fait, ce qui est très intéressant dans ce roman, c’est l’alternance des points de vue.

Mon défi narratif était de raconter l’histoire à travers les différents points de vue, sans l’enfermer dans une expérience subjective. Tous les personnages parlent à la première personne. Même le personnel de maison. Nous sommes dans une famille bourgeoise où les rapports avec les domestiques constituent un aspect important de la vie sociale. Pour Alexandre, ceux-ci constituent une compagnie privilégiée. Ils ne le jugent pas, ils l’acceptent tel qu’il est et, ce faisant, l’aident à s’intégrer dans son nouvel environnement. Parmi ces gens extérieurs au cocon familial, il y a Nora, la jeune fille des bidonvilles dont la sœur d’Alexandre s’est amourachée. Le regard sans complexes et sans culpabilités qu’elle porte sur Alexandre est riche en enseignements pour les proches de ce dernier. Elle les aide à normaliser leurs relations avec le revenant.

«Je suis vivant», de Kettly Mars, paru aux Editions Mercure de France. Editions Mercure de France

Vous êtes arrivée à l’écriture tardivement, au début de la trentaine. Comment est née l’envie d’écrire ?

Je dis toujours qu’après avoir mis au monde des enfants, écrire est la plus belle satisfaction qui me soit donnée dans ma vie. Pourquoi suis-je venue tardivement à l’écriture ? Ma réponse vous paraîtra banale. Arrivée à la trentaine, brusquement, j’ai senti que tout ce qui constituait ma vie, tout ce dont je me suis satisfaite jusque-là, avait perdu du sens. Il me fallait autre chose. Et cette autre chose, c’est dans l’écriture que je l’ai trouvée. J’ai mordu et je n’ai jamais lâché depuis. Mais, vous savez, écrire est une ascèse, il faut beaucoup lire, beaucoup travailler, pour gagner un peu d’assurance, un peu de maîtrise. Rien n’est pour autant jamais acquis pour de bon.

La politique est très présente dans vos romans…

La politique m’a rattrapée ! A l’origine, ce qui m’intéressait, c’était la poésie. Puis, quand je suis passée au roman, je me suis d’abord intéressée à la vie psychologique de mes personnages et à la complexité de l’âme humaine. Mais on ne peut pas écrire dans un pays comme Haïti sans ressentir à chaque instant le besoin, sinon de dénoncer mais de décrire, le mal-vivre, d’être ce miroir qui reflète la dérive de toute une société. Ecrire permet de comprendre et de faire comprendre.

Vous-même, vous n’avez pas été tentée par la politique ?

Non, la politique ne me tente pas. On ne s’improvise pas homme ou femme politique. C’est une question que l’on m’a souvent posée et pas seulement à moi, mais à beaucoup d’écrivains de ma génération. Certains d’entre nous se sont lancés dans la vie politique, mais ils se sont révélés totalement incompétents. Ce n’est pas parce qu’on a une certaine notoriété littéraire, intellectuelle qu’on est apte à être bon politique !

Pourquoi Haïti n’avance pas ? Les causes sont-elles politiques ?

Nous avons un problème de leadership. Le président Martelly, même s’il fait beaucoup d’efforts, n’est pas la personne expérimentée dont le pays avait besoin dans ces moments difficiles. Comme il n’avait pas d’expérience politique, le président a été incapable de donner à notre pays une nouvelle impulsion. Haïti manque de grands hommes politiques qui peuvent s’entendre et former des coalitions d’idées et de visions. Il y a un trop-plein de candidatures pour les prochaines élections, mais c’est le règne de chacun pour soi ! Les intérêts et les ambitions personnelles priment sur le bien collectif.

Cinq ans après le séisme, comment va Haïti ?

Mon pays, on va dire qu’il va bien. Au moment où je vous parle, tous les gens qui vivaient sous des tentes ont été relogés, même s’ils continuent de connaître beaucoup de difficultés et doivent se battre pour s’en sortir. Personnellement, je me désole de voir le pays faire du sur place. L’année 2015 sera une année perdue en termes de développement. Nous sommes dans une année électorale, donc une année houleuse en perspective. D’autant plus houleuse qu’il n’y a pas eu d’élections depuis quatre ans. Il y aura les municipales, les législatives et la présidentielle. On ne peut pas trop prévoir ce qui va en sortir, mais il est difficile d’être optimiste.

Est-ce que le séisme vous a changée en tant qu’écrivain ?

En tant que personne d’abord. Perdre des amis d’un seul coup, savoir que les gens mouraient d’une mort lente sous les décombres et que vous n’y pouvez rien, cela vous marque pour la vie, que vous soyez écrivain ou pas. Oui, ma vision de la vie, de sa fragilité, de sa brièveté, de ses beautés aussi a changé. Il y un avant et un après 2010. C’est vrai pour toute ma génération, et particulièrement pour les artistes et les écrivains.

A quoi sert la littérature ?

Elle nous rappelle à être des hommes. Chaque fois je referme un livre que j’ai aimé lire, j’ai l’impression d’avoir un peu grandi.

*Je suis vivant, par Kettly Mars. Ed. Mercure de France, 2015, 178 pages, 15,80 euros.

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