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Jeanne Duval, la brocanteuse d'identités

Jeanne Duval, la brocanteuse d'identités

   Etait-elle haïtienne, mauricienne ou bourbonnaise (réunionnaise) ? A moins qu'elle ne fût Gitane ou Mauresque. Jeanne Duval qui entretint, quinze années durant, une relation houleuse avec Baudelaire, demeure jusqu'à ce jour une énigme quant à son origine.

   Des ouvrages convaincants ont fait de celle qui fut l'égérie du poète une Mulâtresse native de la ville de Jacmel, en Haïti. D'autres, tout aussi convaincants, la décrivent comme une Malabaraise (Indienne du Sud), native tantôt de l'île de France (ancien nom de l'île Maurice) tantôt de l'île Bourbon (ancien nom de La Réunion). En fait, Jeanne n'a jamais révélé à quiconque son lieu de naissance, même pas à celui dont elle a, épisodiquement, partagé la vie, à savoir Baudelaire qu'elle fascinait. Entre disputes violentes et réconciliations homériques, tromperies de part et d'autre, quête de l'amour absolu, Charles et Jeanne ont marqué de leur empreinte les milieux artistiques parisiens de la première moitié du 19è siècle, hantant ces cafés où tous deux se lièrent avec des peintres comme Monet et Delacroix, des poètes comme Lamartine et Théophile Gautier ou encore le fameux Nadar, présenté comme l'inventeur de la photographie à laquelle était, à l'époque, refusé le statut d'art.

   Raphaël Confiant tente dans ce livre de percer le mystère d'une Jeanne, "femme de couleur" selon l'expression de l'époque, qui parvint à imposer sa présence dans un monde non seulement d'hommes, mais la concernant, d'hommes blancs. Elle qui n'était ni écrivaine ni peintre ni philosophe ni riche héritière mais seulement cantonnée à des rôles de soubrette ou de sorcière africaine dans des théâtres miteux du Faubourg Saint-Denis. Quel rôle a-t-elle joué dans l'activité poétique de Baudelaire ? Comment parvint-elle à tenir ce dernier si longtemps (presque deux décennies) sous son emprise alors que la mère du poète et son beau-père, le général Aupick, hostiles à leur relation, finirent par lui couper les vivres, chose qui l'obligea à changer pas moins d'une trentaine de fois de domicile pour fuir ses créanciers ? 

   Brocanteuses d'identités, telle apparaît Jeanne Duval. Acceptant ou refusant selon son gré toutes celles qu'on lui attribuait, n'en rejetant aucune et comme se riant des assignations identitaires. Et disparaissant sans laisser de traces une fois que la rupture entre Baudelaire et elle fut consumée ! Muse ténébreuse à qui l'inventeur de la poésie moderne en langue française voua une passion sans doute déraisonnable ou plus exactement irraisonnée, mais sans laquelle il n'y a pas de doute, il ne serait jamais devenu le plus éminent d'entre ses pairs.

   Trajectoire ni tragique ni comique. Seulement mélancolique, activement mélancolique...

Commentaires

tiburce | 31/08/2021 - 14:29 :
J'achève de lire le récent ouvrage de Jean Teulé "Crénom, Baudelaire !" dans lequel Jeanne Duval tient une place essentielle. Ca donne envie de connaître davantage le personnage. Dès que possible, je lirai donc le livre présenté. Où le vend-on ?
Frédéric C. | 08/09/2021 - 10:11 :
Ce serait intéressant de savoir si Beaudelaire fut (à côté de son activité poétique) un antiraciste voire un anticolonialiste, alors que la "Patrie des Droits de l'Homme" (kra kra!) s'était élancée dans la conquête de son 2è Empire colonial. Qu'un Européen ait une "muse de couleur" ne prouve rien en la matière, comme l'atteste par exemple, parmi tant d'autres, le sinistre ex-ministre français "de l'Identité nationale, de l'intégration et de l'Immigration" (Éric Besson), marié ou vivant avec deux maghrébines... L'idée d'un tel ministère ayant été pompée sur le programme du FN de JM Le Pen. Comme disait R.Liensol dans un de ses rôles, des Blancs éventuellement mélanophobes peuvent être attirés par un "petit cul 'exotique'"... Certes, cela semble nous éloigner de l'inspiration littéraire, mais pas tant que ça. En la forme, littérature et engagement politique explicite ne sont pas contradictoires en soi, comme l'illustrent les exemples de Césaire, Glissant, Sartre, L.F.Céline, S.Rupaire, B.Juminer et quelques autres. En outre, le jeu présenté ici sur l'identité est probablement intéressant, à une époque de retour massif au fantasme de l'identité-racine, dont le déchaînement politique fait beaucoup de mal sur toute la planète.
Tokyo 2021 | 08/09/2021 - 11:00 :
Dons si je comprends bien ,si on ne trouve aucun texte EXPLICITE de Baudelaire condamnant le racisme ,on devrait le considérer comme définitivement raciste?
Frédéric C. | 08/09/2021 - 12:05 :
Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je m'interroge, c'est tout. On a encore le droit ?... Merci... Politiquement il semble avoir été plutôt conservateur. Mais après tout, le Chevalier de St-Georges était très apprécié de la reine Marie-Antoinette. Les choses sont rarement simples en la matière.
Tokyo 2021 | 08/09/2021 - 12:34 :
"le Chevalier de St-Georges était très apprécié de la reine Marie-Antoinette" :pas forcément anormal!!: la culture (ou l'appartenance culturelle) prime la race .On devrait avoir compris ça depuis longtemps.
Frédéric C. | 09/09/2021 - 12:53 :
Oui, bien sûr, cette primauté de la culture sur la "race" est évidente, mais c'est relativement récent (pas pour tout le monde en France ni même aux Antilles, mais bref!). Et il faut se replacer dans le contexte français de l'époque, et même de plus tard. La Monarchie était esclavagiste et raciste (cf Code Noir + les classifications des afrodescendants antillais en fonction de leur "taux" de sang noir: mulâtres, chabin, quarteron, câpres, etc.). A la Cour de France de l'époque c'était rarissime qu'un "coloured people" soit admis, surtout brillant. D'autant que le plus souvent, en France, plus un Blanc est conservateur plus il est raciste (Ciotti, Guaino, Guéant, Le Pen, Mégret, Zemmour...). Ce n'est pas un hasard si St-Georges (en tant que compositeur), le Général Dumas (père d'A.Dumas père), Abraham Hannibal et tant d'autres ont été laissés dans l'ombre. Ni si Gaston Monnerville, ancien résistant, homme brillant, n'a pas été élu 2è Pdt de la 4è République...).
tiburce | 11/09/2021 - 11:37 :
Baudelaire était un bourgeois, révolté contre la bourgeoisie, mais bourgeois. Alors que la poésie bourgeoise se dédiait au Beau et au Bien, il décida de consacrer la sienne au Mal. Pour cela, il rechercha l'étrangeté : dandysme extravagant, SDF, toxicomanie, liaison tapageuse avec une femme de couleur. Il s'agissait pour lui de s'écarter des règles de son milieu afin de produire du nouveau. Mais rongé par le remords, il resta lié à son milieu. Il pensa postuler à l'Académie française. Il sollicitait sans cesse sa mère pour payer ses dettes et ses drogues. Quant à la liaison avec Jeanne, elle doit beaucoup à son exotisme et au fait que ce n'était pas convenable. Il y trouvait dépaysement et culpabilité, ce qui s'est traduit par un attachement durable, quoique tourmenté.
Frédéric C. | 11/09/2021 - 15:49 :
Tiburce: sur l'"exotisme" (plus précisément l'"exotisme colonial", dixit R.Ménil) j'ai posé la question à l'auteur. Il semble que ce soit beaucoup plus complexe que votre description. Certains Européens fonctionnent certes avec ce type d'"ingrédients", mais en l'espèce ça ne semble pas le cas. Ni le seul goût de l'anticonformisme...

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