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J'ai croisé le chemin d'une "fimel-mannikou"

Jean-Laurent ALCIDE
J'ai croisé le chemin d'une "fimel-mannikou"

   Selon l'organisation Wild life  qui s'occupe de la vie sauvage et des animaux non moins sauvages qui y vivent, l'espèce féline appelée "cougar" se serait malheureusement éteinte l'an dernier. Ce bel animal fragile a été trop chassé et il a du mal à se reproduire en captivité. Alors que nombre d'espèces doivent leur survie à l'existence de zoos un peu partout à travers le monde, tel n'est pas malheureusement le cas pour les cougars. D'aucuns diront que c'est la loi de la nature et que les espèces plus puissantes, notamment la nôtre, éliminent progressivement les plus faibles. Tonton Darwin est passé par là !

   Sauf qu'une sorte de petit miracle s'est produit, un miracle qu'aucun zoologiste patenté n'aurait pu prévoir ni même oser imaginer : l'espèce a migré du règne animal au règne humain par on ne sait quel mystérieux processus de mutation génétique, mais avec la particularité que cette dernière ne concerne que la gent féminine. Les "cougars" comme on les appellent, et qui sont en fait des "néo-cougars", sont des femmes âgées de 40 à 65 ans qui refusent d'accepter leur âge, qui luttent à coups de régimes féroces contre le cellulite et les ventres bedonnants, à coup de salles de sport et de kizomba pour diminuer le volume de leurs cuisses, à coups de maquillage et de rouge à lèvres contre l'inévitable décrépitude faciale et qui, pour certaines, font illusion auprès de créatures masculines qu'elles chassent et pourchassent. 
   Gina a 41 ans et débute tout juste sa carrière de cougar après une vie sentimentale agitée et plus ou moins catastrophique. On s'est rencontrés tout à fait par hasard dans la salle d'attente d'un dentiste au François où elle avait emmené son enfant. Sa vue m'avait d'abord arraché un sourire car elle arborait un jeans ultra-moulant comportant des trous au niveau des genoux et des cuisses, enfin des déchirures volontairement faites par les fabricants pour justement fabriquer une nouvelle mode. Normalement ce genre de vêtement est portée par les jeunettes de 18-25 ans, mais bon, on est une cougar ou on ne l'est pas. J'ai donc fait mon mako et cela dans mon meilleur français académique :
  "Vous avez bien de la chance d'être si jeune et de pouvoir vous vêtir ainsi..."
  "Oh, pas tant que ça ! J'aurai bientôt 29 ans..."
   Manti a'y ! comme disent nos cousins guadeloupéens et comme j'aurai l'occasion de le découvrir par la suite lorsqu'elle enlèverait son jeans et son soutif. Elle avait la quarantaine bien sonnée et avec une année de plus même. J'étais donc tombé sur une cougar et c'est moi qui avait 28 ans en réalité.  Comme j'en parlais à mon pote Mimile, un type qui est un vrai pince-sans-rire, et que je lui demandais, lui le créolophone parfait (chose qui est loin d'être mon cas), vu qu'il était né et avait grandi du côté de Volga-Plage, comment traduire "cougar" dans notre "zépon naturel", il arqua les sourcils, visiblement interloqué :
   "Y'a pas de mot pour ça en créole...Ben, dans notre manière de vivre, une femme ne coque pas avec un bougre plus jeune qu'elle, voilà ! Ca ne se fait pas..."

   "Et pourquoi ?"

   "Man pa sav mwen ! Ki sa ou ka mandé mwen la-a ? Bagay-la sé kon sa i yé, sé tout...De toute façon, si une femme ose faire ça, on l'appelle malpropre tout de suite."

   Je mesurais une fois de plus l'intolérance et la misogynie de notre bonne vieille société créole tant chantée et vantée par nos grands romanciers couronnés sur les berges de la Seine, mais société tellement critiquable par endroits. Il fallait cependant reconnaître que ce terme de "cougar" ne provenait pas de nous mais de la société occidentale et que pour une fois, on ne pouvait nous imputer une méchanceté à l'endroit du sexe (faussement) faible.

   "Mais si tu devais inventer un mot pour ça", insistai-je auprès d'un Mimile au bord de l'agacement car il venait de se rendre compte qu'il avait oublié son ticket de Kéno chez lui et qu'il devrait y retourner afin de le récupérer, sûr et certain qu'il avait gagné "un ti quèque chose quand même".

   "Ou koumansé ka boufi-mwen épi lo palé'w la, misié Jan-Loran ! Man pa papa kréyol-la, ébé Bondié...Bon, lè ou gadé, nou sé pé kriyé yo fimel-mannikou. Sa ou di ?"

   Gé-ni-al ! Su-per ! Mimile était bien le roi du créole. Bien meilleur en tout cas que tous ces pontes verbeux qui sévissent sur un certain campus situé en haut d'un certain morne. Fimel-mannikou ! Super expression ! Superbe traduction en tout cas pour "cougar" ! Sauf que lorsque je me rendis chez Gina pour notre partie de jambes en l'air hebdomadaire (sa voisine n'acceptant pas toujours de lui garder son enfant), le seul fait de me souvenir de ce mot me maintint à 6h30. Impossible de faire 6h15 comme d'hab' ! Patat chat ! C'est que ce mot était trop drôle, trop hilarant même et j'étais secoué par de brusques fous rires que je dissimulais sous la forme de quintes de toux.

   "Tu es souffrant ?" s'inquiéta ma fimel-mannikou de 41 ans d'une voix maternelle.

   "Ch'ais pas..."

   "C'est pas le zika au moins ?" fronça-t-elle l'arcade sourcillière tout en commençant quand même à déballer sa viande à demi-celluliteuse.

   D'ordinaire, la seule vue de ses appâts, mêmes quadragénaires, me mettait en appétit car c'était une grosse vicieuse sous ses airs de Sainte Nitouche, mais là, ce foutu mot de fimel-mannikou n'avait de cesse de me trotter dans l'esprit et de me couper le sifflet. Hé merde ! Fout lavi-a red ! comme disait Mimile. Je dus prétexter un mal de tête afin d'interrompre dignement notre coitus non pas interruptus mais même pas encore commensus. Gina courut me chercher un doliprane effervescent tout en me couvant de câlins partout sur le corps, mais je ne pus me résoudre à avaler un médicament alors que j'étais juste en proie à un fou rire inextinguible. J'allais tout de même pas me bousiller l'estomac pour une cougar, pardon an fimel-mannikou avec laquelle je n'envisageais évidemment aucun avenir.

   Alors, je fis semblant de péter une crise de colère :

   "Je vois que tu cliques "J'aime" sur tous les posts que ton ex met sur son mur Facebook alors que lui, jamais, il ne t'en met ou si peu. C'est quoi, ça ? Tu l'aimes encore après le sale coup qu'il t'a fait ? C'est ça, hein ?  C'est ça qui me fout en rogne, voilà !"

   Ma remarque était tout à fait vraie, mais elle n'entretenait toutefois aucun rapport avec l'obstination de mon membre viril à indiquer 6h30. Oui, ce mec, Gégé, un chauve aux oreilles décollées qui baisait comme un bonobo dans la station de radio qui l'employait, l'avait larguée comme une vieille chaussette et était parti vivre sur un autre continent (quelque part en Afrique, je crois), cela au vu et au su de tout le monde en plus. Mais dans cette île, plus un type est salaud avec une femme plus elle s'accroche à ses basques apparemment. Ma feinte indignation eut l'air de faire mouche car son sombre visage se rembrunit et elle se referma comme un "brigo" selon son habitude. Plus un mot. Rien. Silence total.

   "Bon, tout ça n'est pas ça, mais faut que je redescende sur Foyal, Gina" fis-je d'un ton doucereux en commençant à me rhabiller.

   En me redressant, je tombai nez à nez avec son jeans troué aux genoux de nana de 18-25 ans, accroché à une penderie, et là, patatras ! je ne pus retenir un éclat de rire homérique, dévastateur même. Là, je n'avais plus aucun alibi, je ne pouvais plus prétexter ni mal de tête ni rien. J'étais en train de me foutre de sa gueule carrément et ça se voyait comme le nez dans la figure. Madre de dios !

   "J'ai des coliques néphrétiques hilarantes...", inventai-je à l'ultime seconde tout en me tenant douloureusement les côtes.

   Gina était maintenant debout face à moi, assis sur le rebord du lit à présent, l'air furibard, me regardant du haut de ses 41 ans de jeune cougar et prête à me déchiqueter. Partagée entre le doute quand à la véracité de mes souffrances et l'impression que je la menais en bateau. Je compris que mon cas s'aggravait dangereusement et pris mes jambes à mon cou, ma chemise à la main de mon pantalon remonté aux genoux. Heureusement son immeublle n'avait que deux étages et j'ai pu gagner ma voiture garer dans la rue qui le bordait.

   Ouf ! Je l'avais échappé belle. Adieu fimel-mannikou !...

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