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"Imaginaire" et "Imagination : prière ne pas confondre

"Imaginaire" et "Imagination : prière ne pas confondre

   Les urbanistes, aménageurs du territoire et autres ingénieurs ne le savent peut-être pas, mais quand ils installent des feux de circulation (appelés à tort "feux rouges" par le grand public), ils sont en plein dans l'imaginaire. En effet, au nom de quoi le rouge voudrait dire "arrêtez-vous !", le vert "passez !" et l'orange "ralentissez !" ? Est-ce que c'est couleurs sont porteuses d'une signification intrinsèque ? Non puisque selon les pays, elles ont des significations différentes. Si on prend, autre exemple, celles du deuil, c'est le noir qui prédomine en Occident alors que c'est le blanc dans les pays asiatiques et musulmans. Prenons les couleurs associées aux enfants : y a-t-il une raison objective que le bleu soit associé aux garçons et le rose aux filles ? y a-t-il une raison que les vêtements roses soient interdits aux garçons et aux hommes ? Aucunement. D'ailleurs, en Chine, lorsqu'une personne décède au-delà de 90 ans, on lui met des vêtements...roses.

   Cela signifie que notre mode d'accès à la réalité__à toute la réalité, pas seulement aux couleurs__est conditionné par l'imaginaire lequel est double : l'imaginaire collectif qui nous est imposé d'emblée, dès notre venue au monde, et l'imaginaire individuel, celui que nous construisons au fur et à mesure de notre vie. Ainsi dans une Martinique encore colonisée mentalement, l'imaginaire collectif nous impose que le cheveu lisse est mieux que le cheveu crépu, mais telle ou telle femme peut parfaitement se débarrasser de cet imaginaire en valorisant ses cheveux "nappy" ou crépus. Dans les deux cas, on reste dans l'imaginaire. 
   Il n'y a pas d'accès direct à la réalité.
   C'est pourquoi le culte du "concret", souvent mis en avant par nos politiciens, en opposition à l'imaginaire ou plutôt à ce qu'ils croient être l'imaginaire, est une pure sottise. Cela donne : "Je ne suis pas dans l'imaginaire, moi, je suis dans le concret : j'ai construit 3kms de route entre Fond Zombi et Savane Maringouin." Sauf que notre écharpé en bleu-blanc-rouge est dans...l'imaginaire routier. Il s'imagine que développer un pays revient à y étaler le maximum de bitume et de béton et pire, il ne sait même pas que ce qu'il appelle "développement" sur un ton pompeux relève aussi de l'imaginaire. En effet, est-ce que le développement c'est New-York, Tokyo ou Paris ou est-ce que c'est telle ou telle communauté villageoise de l'Atlas, de la vallée de l'Indus, de Polynésie ou de l'Amérique du sud ? 
   Le banquier de Wall-Street se sent bien dans sa peau et est content et fier de lui. Oui, mais l'Indien Nambikwara, étudié par Claude Lévi-Strauss, qui vit au fin fond de l'Amazonie brésilienne, a exactement le même sentiment. 
   Au fait, à quoi cela sert-il d'acheter une voiture qui indique 250kms au compteur comme vitesse maximale alors que dans la minuscule Martinique, il n'y a nulle part où l'on peut rouler à plus de 150kms et cela même s'il n'y avait pas de radars ? Nous achetons donc ces véhicules dispendieux parce qu'imaginairement, ils renvoient à la force, la puissance ou la réussite sociale. Et certains bien conscients de l'inutilité d'un tel achat, s'inventent des explications : "En cas d'accident, on est plus en sécurité et bla-bla-bla...". Comme si toutes les personnes qui meurent dans les accidents de la route en Martinique roulaient en 4L, Twingo, Picanto ou Mini Austin !
   Nous aurions donc souhaité que nos politiciens de tout bords arrêtent de débiter des âneries à propos de l'imaginaire et surtout cessent de confondre "imaginaire" et "imagination". L'imagination est la faculté ou la capacité de créer, d'inventer, des histoires, des scénarios, des formes ou des combinaisons de sons. En général, les écrivains, les peintres, les musiciens, les sculpteurs, les cinéastes, les photographes sont dotés de plus d'imagination que la moyenne des gens lesquels peuvent en faire preuve à certains moments. Mais on peut très bien vivre toute sa vie sans jamais faire preuve d'imagination, vivre donc de manière routinière, "normale" si l'on peut dire. C'est le cas de la majorité des gens.
   Par contre, nul ne peut vivre sans imaginaire car c'est notre premier et principal mode d'accès à la réalité qui nous entoure. C'est même d'ailleurs ce qui nous distinguent des animaux puisque chez ces derniers, le mode d'accès à la réalité est l'instinct.
   On peut donc parfaitement rejeter tel ou tel projet fondé sur l'imaginaire, mais pas sur la base d'une confusion entre "imaginaire" et "imagination". Essayons de relever le niveau, ça ne fera de mal à personne. Tout kouyon mò Sen-Piè ! comme l'affirme un célèbre dicton...

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