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HENRY MOUTOU SIDÀMBAROM. L’épopée non-violente d’un Guadeloupéen fils d’Indiens

Jean SAHAI
HENRY MOUTOU SIDÀMBAROM. L’épopée non-violente d’un Guadeloupéen fils d’Indiens

«Nous ne sommes même pas compris pour
 former la quatrième roue du char social.»
(Le Procès Politique, 1922)

Henry Sidambarom (du tamoul Chidam'baram, se prononce Sidàm'barom)

HENRY MOUTOU SIDÀMBAROM

Aujourd'hui 5 juillet marque le 58ème anniversaire de l'humaniste et activiste Henry Sidàm'barom, né le 5 juillet 1863 six ans avant l’Indien Gujarati Mohandas Gandhi, chez ses parents Joseph Sidambarom et Dame Allamelou sa compagne, à La Capesterre, en Guadeloupe.

On lui doit, après un dur combat juridique non-violent de plusieurs années l'opposant au gouvernement français, la reconnaissance de la citoyenneté et des droits civiques des descendants de travailleurs d'origine indienne de la Guadeloupe.

Plus d’un demi-siècle après l’abolition de l’esclavage, les personnes d’ascendance indienne dans les terres à sucre françaises subissaient la condition de Damnés de la Terre. Contrairement au reste du peuple blanc, noir et métissé de la société d’habitation, la très grande majorité des travailleurs d’origine indienne, exploités et traités de coolies (travailleurs de condition servile), ne jouissait pas des avantages de la nationalité française. Cantonnés aux champs, ils n’étaient pas admis à voter. Ils ne bénéficiaient pas de l’instruction des enfants, ou de la formation civique au service militaire. Cet ostracisme, autre racisme, poussera un fils d’Indiens à mener, un combat historique important, encore insuffisamment connu, au nom de la justice et de l’égalité.

Joseph Sidambarom, son père, était né en 1840 à Kombakonam au Tamil-Nâdou, en Inde du sud, dixième garçon d’une famille de la caste dite des «Poullé». Âgé de 14 ans environ, donc jeune comme la grande majorité des engagés (on ne le sait pas assez !), avec à son actif des tentatives de fugues avortées pour fuir les tracas de la vie de famille, embarque sur le voilier L’Aurélie, avec deux de ses dix frères. L’un débarquera à la Réunion, l’autre à l’île Maurice, et Henry, le 24 décembre 1854, après 6 mois de traversée, en Guadeloupe.

Joseph est enregistré comme immigrant sans contrat, il fait cinq années de travail sur l’habitation «Grand Rivière» de M. Marc Bonaffé à La Capesterre de Guadeloupe, devient libre colon, et acquiert l’habitation «Source Pérou», où il cultive la canne à sucre et bâtit sa maison. 

Avec sa compagne, descendante tamoule du nom d’Allamelou, il aura un fils, Henry. En 1867, il acquiert une propriété à Cambrefort et s’y installe. Le 15 décembre 1865, il reconnaît Henry qui a deux ans et demi comme fils: il s’appellera désormais Henry Moutou Sidambarom.

La Capesterre, commune cannière active, tout comme à Basse-Pointe en Martinique, où naquit Aimé Césaire, compte un pourcentage conséquent de travailleurs d’origine indienne, exploités sur des habitations dont certaines existent encore: Bois-Debout, Bonaffé, Longueteau, Marquisat…

Ainsi débutera, le mardi 23 février 1904, la dure épopée qui deviendra le «Procès Politique d’Henry Sidambarom».

C’est en effet un problème politique que pose la question de la citoyenneté des travailleurs originaires de l’Inde. Nés en Guadeloupe, occupant parfois des fonctions d’un niveau respectable, l’autorité leur nie le Droit du Sol, car selon la convention de 1881 qui autorisait les Français à recruter des «coolies» en territoire d’occupation britannique, «les Indiens et leurs descendants sont sujets britanniques».

Suite au jugement du tribunal de paix de Basse-Terre le 27 juillet, le Gouverneur Jocelyn Robert ordonna donc aux maires de l’île de radier les Indiens de la liste de recrutement au service militaire. Le maire de Capesterre reçoit aussi de la Cour d’Appel l’ordre de «radier les Hindous et descendants d’Hindous» de la liste électorale.

Le sénateur de la Guadeloupe Alexandre Isaac réagit. Il publie dans la presse de l’île un article intitulé «Les Indiens sont-ils français?».

Le 26 septembre 1905, Etienne Clémentel, ministre des colonies du gouvernement Rouvier, adresse de Paris ces mots à Adolphe Cicéron, sénateur de la Guadeloupe:

Je dois vous informer que la question de nationalité des fils d’immigrants hindous  fait  en ce moment  l’objet d’une  étude de mon Département et du Département de la Justice en vue de la reprise de l’immigration anglo-indienne dans nos trois vieilles colonies. La question d’Etat soulevée par M. Sidambarom est donc des plus délicates à résoudre et elle intéresse également tous ceux qui ont la même origine que lui.

Sidambarom décide de porter sa contestation en haut lieu : il interpellera le gouvernement français. L’homme manie la syntaxe et le vocabulaire juridique en professionnel du Droit ! Cherchant le règlement politique plutôt que des arrêts de justice, il écrit aux députés, sénateurs et ministres, exprimant avec fermeté ses convictions:

Nous sommes nés à la Guadeloupe […] mais pourquoi nous considérer à notre tour comme sujets français et non comme citoyens français, au même titre que n’importe qui ayant pris naissance à la Guadeloupe?[...] Vous ne pouvez chasser toute une race d’hommes méprisés à tort que vous considérez comme des ilotes dans votre société, mais qui contribuent pour une part égale aux charges de la colonie[...] Dont à la Guadeloupe, les fils comme les pères ont donné et continuent encore à donner du meilleur de leurs entrailles à  la production du pays [...] Et au lieu de leur tendre la main[...] vous leur signifiez, parce qu’ils n’ont pas qualité de participer également à la puissance publique, parce qu’Indiens, qu’ils sont Français d’office. Nous sommes ici comme en France. La meilleure preuve de notre qualité de Français est définie par la loi.

La citoyenneté française et les droits civiques afférents des travailleurs d’ascendance indienne seront reconnus dès l’année suivante, en 1924, à toutes les personnes d’ascendance indienne des territoires de l’Outre-Mer français. 

L'arrêté mettant fin à la situation des serfs. dits coolies, fut signé par le premier ministre Raymond Poincaré en avril 1923, soit 75 ans après l'abolition de l'esclavage (1848) !..

Henry Sidambarom entreprend de rassembler et publier un vaste recueil des chroniques des tribunaux, des arrêtés, des décrets, des jugements et de l’ensemble de sa correspondance avec les gouverneurs, ministres, députés, sénateurs, qui ont jalonné son combat, sur la période allant de 1919 à 1922.

Il intitule l’ouvrage le «Procès Politique  et le dédie

aux hommes de ma race nés aux Colonies Françaises […] moins dans l’intention de faire parler de ma personnalité que dans le but d’édifier le peuple de la Guadeloupe à propos de nos droits électoraux où la question de race a été agitée contre nous.

Cette reconnaissance fut élargie en 1924 à tout l'outremer français.

On lit ceci dans "La Guadeloupe physique, économique, agricole, commerciale, financière, politique et sociale, 1492-1900", par Oruno D. Lara, Ed. L’Harmattan, 1er janv. 1999, p. 321 :

"Signalons en passant l’élection de M. Henry Sidàmbarom, conseiller municipal de Pointe-à-Pitre, du 14 juin... Sidàmbarom, fils d’émigrants indiens, d’une instruction remarquable, cultivant les plus beaux sentiments démocratiques, représentait implicitement, au sein de l’Assemblée municipale, l’heureuse réhabilitation de sa race. Il fit œuvre utile à l’Hôtel de Ville de la Pointe-à-Pitre.

Le journal La Vérité du 11 décembre 1898 annonçait le dépôt par ce Conseiller, à la séance du 18 novembre, d’un rapport au nom de la Commission financière du Budget ordinaire de 1899, adopté à l’unanimité."

 

In memoriam.

 

Jean S. Sahaï.

 

Buste érigé rue Sainte-Luce,

dans la ville de Capesterre Belle-Eau.

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