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FESTIVAL INTERNATIONAL DE LA PAROLE DE TRÉVOUX

Khal Torabully
FESTIVAL INTERNATIONAL DE LA PAROLE DE TRÉVOUX

S’est tenu à Trévoux, célèbre ville du dictionnaire éponyme, le premier Festival international de la Parole (FIP) de Trévoux. Si j’ai eu le plaisir d’en avoir été le concepteur, je livrerai ici quelques mots pour dire comment j’ai vécu ce festival inédit, en tant que poète et sémiologue.

Le dictionnaire de Trévoux

Je pense qu’il est important de souligner que ce festival s’encadrait bien dans la ville de Trévoux, à 30 kilomètres de Lyon. En effet, cette ville a publié le célèbre dictionnaire en 1704, en première édition, et en contrepoint à celui de l’Académie française, d’abord suivant la volonté des jésuites de fustiger «le poison de l’hérésie». Il y a eu d’autres éditions de cet ouvrage qui se lisait dans les auberges, comme on lirait un conte, et qui a fini par s’autonomiser, au point de receler de nombreuses ruses qui contournaient la censure de l’époque, à tel point que je le qualifierais volontiers de «dictionnaire frondeur». J’ajoute aussi, avant d’y revenir plus longtemps, qu’il fut le premier à inclure des citations littéraires et poétiques dans ses pages, d’auteurs célèbres ou anonymes, ce qui le rend attachant. Avant de parler plus précisément du festival, je suis de ceux qui récusent l’opinion de Voltaire qui réduisait cet ouvrage à n’être qu’un «dictionnaire de jésuites». Pour moi, c’est un dictionnaire créatif, inventif, à l’écoute de son temps, même s’il subissait l’empreinte inexorable de celui-ci. Ayant rédigé un «plaisant dictionnaire»1 il y a quelques années, je voyais dans le dictionnaire trévoltien des échos rabelaisiens que Madame Isabelle Turcan2, lors de notre première activité, mit en avant avec beaucoup de passion et d’érudition.

Pourquoi un festival de la parole et non de poésie?

Si cette première édition est essentiellement faite de poésie, son axe philosophique est bien celui de la parole, qui dans son étymologie, palabra, connote deux choses: c’est le rapport de la langue avec la vérité et la faculté de palabrer, qui en dépit de son acception généralisée, ne signifie pas perte de temps, querelles ou conflit seulement, mais aussi la possibilité d’échanger pour régler un problème, explorer une vérité. En cela, la parole est différente du discours, qui, reste davantage de l’ordre de la fabrication que du surgissement. On parle souvent du discours politique, économique, social… Notons, qu’en espagnol, palabra signifie parole et mot, du latin parabola… Les Africains l’ont emprunté à l’espagnol, comme pratique sociale pour régler un contentieux, d’où la symbolique de l’arbre/case à palabres. Le lien entre mot et parole est bien là, et le festival s’en est prémuni.

Aussi, dans l’acte fondateur de ce festival, même si la poésie participe de cet axe fondamental, il s’agit aussi de porter une parole poétique, musicale, culturelle, sociale… afin de recréer du lien entre les citoyens, autour de la musicalité du verbe, de la Beauté, et aussi, des enjeux et questions actuels, sans exclure aucune forme de parole, orale ou écrite.

Parole dans la rue, festival déambulatoire ce 11 septembre

Aussi, notre premier festival a pris pour optique la nécessité de sortir la parole poétique hors des murs, de faire résonner la voix humaine sur les pavés de l’ancienne principauté de la Dombes. Les amis de Poetas del mundo ont été les premiers ambassadeurs de ce festival. Son fondateur, le chilien Luis Arias Manzo, est venu, avec Maguy Gomez Sepulvada (Colombie), Ximena Gautier Greve (Chili) et Bertha Luisa Cano Medina (Mexique). Patrick Duque-Estrada (France), Thierry Lambert, (France), le flûtiste Daniel Calde, étaient aussi de la partie, de même que Benoît Cancoin, contre-bassiste trévoltien, médaille d’or de sa spécialité, habitué à des exercices expérimentaux avec la poésie. Le maire, Marc Péchoux et Marie-Jeanne Béguet, vice-Présidente de la Communauté des Communes, ont pris le pari de soutenir cette première édition, car elle s’inscrivait en droite ligne dans la tradition culturelle et langagière de Trévoux et de sa région. Le Festival débuta réellement le vendredi 11 septembre, dans un restaurant, les Belles Rives, qui abrita une soirée Cabaret Poétique, mêlant paroles, musique et danse3. Beaux moments de lectures, d’improvisations autour du bon pain de la parole et d’un bon tajine…

Le samedi 12, marché et médiathèque

Installée dans le kiosque de la place du marché, la manifestation débuta, en dépit d’une météo incertaine. Le public, surpris, s’arrêtait, au milieu d’une emplette, pour écouter ces poètes qui lisaient au cœur de leur cité, en français et en espagnol, essentiellement. J’avais parlé au maire de la manifestation Parole dans la rue, que j’avais organisée à Port-Louis, il y a déjà une dizaine d’années, dans les rues de la capitale mauricienne, et devant la maison créole que Baudelaire avait habitée lors de son voyage à mon île natale. Nombre de poètes mauriciens, dont Sedley Assonne, y avaient participé. Luis Arias Manzo, militant contre la dictature militaire chilienne, rappela le double 11-Septembre, qui bouleversa tant de sociétés: le coup d’État militaire de Pinochet au Chili, et les événements du WTC aux États-Unis. Il évoqua la nécessité de parler des guerres, des manipulations, des menaces contre l’humain, pour rappeler que la planète est en train de rendre l’âme: «Cette année, au Chili, pays de la biodiversité, les régions pluvieuses connaissent la sécheresse, et c’est inédit!». Les champs de maïs en contrebas, le long de la Saône, semblaient lui donner raison… Puis, ce fut la médiathèque, qui, sous une pluie battante, abrita une rencontre plus intimiste, avec Benoît Cancoin à la contrebasse, et Ulkur As, qui nous fit entendre son poème mis en musique en Turquie. Moment d’émotion quand elle nous dit son poème, le tout premier en public. Encore une fois, je constatai que les personnes accueillant cette parole avaient en commun le besoin de parler de la situation actuelle du monde, de la menace sur l’écologie, le partage, la solidarité, les réfugiés, le besoin de paix, de respect… Cela était clairement dit lors de notre échange à la médiathèque, indiquant que ce type d’activités est une réelle nécessité par un temps aussi troublé, où des images, des actes, des discours violents et anxiogènes circulent en discours de division, de haine, de déshumanisation. La parole, je l’avais dit, est l’antidote du discours, qui dit une chose et tout son contraire…

La Passerelle de la Parole de Trévoux

Le soir, nous avons failli annuler la manifestation à la Passerelle qui relie Trévoux à l’autre berge de la Saône. Cause: pluie battante… Mais la nature a aussi son mot à dire. Quinze minutes avant la manifestation, nous pûmes voir un soleil couchant attrayant se profiler derrière les collines… Nous tenions à traverser cette passerelle car la symbolique y était forte. Au milieu de celle-ci, jadis, une frontière était dessinée, avec paiement douanier. On quittait la principauté des Dombes et la ville de Trévoux, son chef-lieu, par cette construction en pierre au-dessus des eaux où les barges transportaient hommes, bétail et marchandises. L’idée était de faire traverser cette frontière symbolique par la parole, pour rappeler qu’elle relie les hommes, qu’elle passe les frontières, et qu’elle est nécessaire pour l’entente entre les peuples. Message simple, humain, fraternel.
Aussi, nous éclairant de lumignons et de bougies, au son de la flûte de Daniel Calde, comme pour Parole dans la rue à Port-Louis, nous avons, accompagnés des compagnons de la parole, dit des textes, avant de clamer à haute voix, marchant vers la frontière: «Où est cette parole? Donde esta la palabra? Aina hazal kalam? Dove questa parola? Kot sa parol la?» en nous avançant au centre de la Passerelle de Trévoux, qui marque la frontière de la ville. Nous sentions tous une communion avec les éléments, l’humain, l’histoire…

Cette frontière franchie, nous avons dit d’autres textes dans une communion du mot: oui, la parole unit, rend plus forts. Puis, nous avons retraversé la Passerelle dans le sens inverse, en disant, à haute voix: «Oui, nous avons retrouvé la parole», dans un joyeux tintamarre, rompant le silence de la nuit trévoltienne… Au fond de chacun, une lumière chaleureuse, belle, pleine… Au dire des participants qui ont partagé ce fabuleux moment, l’instant sera gravé en lettres d’or dans les mémoires de toutes et tous…

Au terme de ce Festival de la Parole de Trévoux, je suis encore plus convaincu que ce type d’exercice est nécessaire. Nos amis du Chili, de Colombie, du Mexique et d’ailleurs nous l’ont amplement confirmé. Nous pensons déjà à la prochaine édition… Ici, pour clore ces lignes, je m’adresse tout particulièrement à mes amis mauriciens et à ceux de l’océan Indien, pour que de telles manifestations puissent avoir lieu dans cette région, où tellement de langues et d’imaginaires sont de passerelles d’avenir. J’ai vécu à Trévoux, une expérience littéraire et humaine inoubliable… Je l’avais déjà expérimentée dans cette ville de la gouaille qu’est Port-Louis… Et si l’écho se poursuivait au-delà de la Passerelle de la Cité des Dombes?

Notes

  1. Le Pouvoir des Mots sur le Mouvoir des Peaux, La Passe du vent.
     
  2. Isabelle Turcan
     
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