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« Facebook nous pousse à une forme de régression infantile »

« Facebook nous pousse à une forme de régression infantile »

Pourquoi 65% des salariés consultent leurs boîtes mail toutes les cinq minutes ? Sans parler des smartphones greffés à nos mains ? Comment a-t-il pu devenir si normal de tout dire et tout partager sur les réseaux sociaux ?  Quelles fragilités ces usages viennent-ils colmater ? Qu’est-ce qu’une relation virtuelle sur un site de rencontre ? À quoi carburent les hikikomori, ces ados et adultes japonais qui ne sortent plus de leur chambre pendant des mois ou des années pour jouer aux jeux vidéo ? Quid de la boulimie d’infos, du cyberbashing ou de l’ère des trolls ? Psychologue et psychanalyste français connu pour son utilisation des jeux vidéo comme outil thérapeutique, Michael Stora n’est pas subitement passé du côté de ceux qui diabolisent les écrans et multiplient les recettes supposées magiques pour « déconnecter ». Mais avec Hyperconnexion (Larousse, en librairie le 30 août 2017), observation détaillée de nos comportements excessifs vis-à-vis du numérique, il démontre qu’un glissement s’est opéré. Un glissement vers la gamification de nos existences et la raréfaction de l’empathie.

Le trop-plein numérique a envahi nos existences. Et tout le monde cherche un coupable. Pour certains, ce sont les écrans, qui ont grignoté petit à petit notre temps libre jusqu’à le laisser à l’étroit dans une toute petite partie de la journée où pourtant « se joue notre humanité ». Pour d’autres, ce sont les designers des interfaces des applis et des réseaux sociaux, qui les ont conçues telles que nous les connaissons pour nous rendre prisonniers, et entraver notre liberté. D’autres encore chantent les louages de la déconnexion, alors que l’intégration des outils numériques à nos vies semble pourtant largement irréversible, et ne va faire que progresser.  

Avec Hyperconnexion, Michael Stora et la journaliste Anne Ulpat posent la question du pourquoi : à quoi, à quels besoins et quelles failles répondent les conduites les plus excessives ? Psychologue et psychanalyste, de formation de cinéaste, fondateur en 2000 de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH), Michael Stora s’est intéressé très tôt à l’objet numérique, et s’est spécialisé dans l’addiction aux jeux vidéo, qui devrait être selon lui reconnue en France comme une pathologie. Il a la particularité d’en utiliser comme outil thérapeutique auprès d'enfants souffrant de troubles du comportement, et a exprimé à travers différents ouvrages sa conception d’un monde virtuel allié, capable d’aider un adolescent à gagner en confiance. Le futur qui se dessine, dans une société numérique dominée par les informaticiens, écrit-il, semble pourtant « mettre le réel tout entier au service du virtuel ».

Crédits : Michael Stora.

Usbek & Rica : « Les écrans ça rend accro… Ca reste à prouver », écriviez-vous en 2007. À l'époque, vous expliquiez que le virtuel et ses images, bien dosés, pouvaient être porteurs de plus d'opportunités que de dangers. Êtes-vous moins optimiste aujourd’hui ?

Michael Stora : J’ai toujours pensé que le virtuel était très important dans ce que nous sommes, nous humains. Mais ma pensée a évolué. Parce que je me suis rendu compte que se jouait de manière très implicite un combat entre les GAFA et l’être humain, entre le virtuel et le réel. L’ergonomie des sites omniprésents dans notre quotidien et la philosophie de ceux qui les créent nous modèlent, et nous mettent presque dans une position d’asservissement. Ils cherchent à ce que l’on soit tous hyperconnectés.

Le numérique se doit d’être au service du réel, mais c’est de moins en moins le cas : avec l’info continue sur Twitter ou la pensée hyper positive sur Facebook, il y a ce désir de nous enfermer dans une sorte de pensée unique, ce qui crée une sorte de conflit avec ce que nous sommes, des êtres ambivalents qui ne vont pas toujours bien. Il y a cette idée d’être des êtres d’images, et de faire d’une certaine manière disparaître les mots. Et comme, à moins d’être un grand photographe qui sait montrer le hors-champ, le vecteur de l’image est très idéalisé et souvent réducteur, je me suis rendu compte, avec les années, que cette hyperconnexion en images a tendance à appauvrir l’humain dans sa capacité à penser.

« Sur Facebook, le fameux like veut dire "aimer", mais il veut aussi dire "comme": c'est une sorte de culture du clonage »

Où se situerait pour vous le point de rupture ?

Pour moi, la rupture totale, c’est Facebook. J’y allais peu et j’y suis retourné pour mon dernier livre : j’ai pu ressentir un profond mal-être, alors que le réseau diffuse l’idée du bonheur à tout prix, du « so amazing ». Cela s’implante dans chacun de nous. À l’image de la télé-réalité, Facebook est venu comme un point de rupture, pour créer de l’Internet-réalité, le tout avec une mise en scène très pauvre. Il y a certes en nous tous une forme de narcissisme que les réseaux sociaux viennent colmater, mais en général la plus belle défense face à ce narcissisme, c’est la créativité. Elle existait dans les blogs, qui permettaient de jouer avec les codes, de personnaliser son espace. Les réseaux sociaux ne favorisent pas cette créativité.

Sur Facebook, le fameux like veut dire « aimer », mais il veut aussi dire « comme » : cette sorte de culture du clonage vient nous mettre dans une position pauvre où il faut ressembler à ses modèles. Même si, évidemment, certains savent pleinement exprimer leur créativité sur ces plateformes.

Vous évoquez notre fameuse dépendance au smartphone, que nous consultons des centaines de fois par jour. Mais vous insistez sur le rapport sensoriel à l’objet, qui vient « pallier le manque », « flatter notre toute-puissance », et « combler notre angoisse de castration »...

Dans le succès du smartphone, il y a cette dimension plus invisible du toucher, qui est une sensorialité très importante dans notre rapport au monde. J’émets l’hypothèse que le fait de toucher l’image vient colmater à certains moments des angoisses de séparation. Quand on écrit un SMS, on l’écrit avec ses doigts sur un clavier virtuel, il y a quelque chose de l'ordre du toucher. J’appelle le smartphone le « doudou sans fil », en référence à ce doudou qui permet de pallier l'éloignement de la mère quand on est petit. Les odeurs en moins, pour un smartphone ! Le smartphone nous empêche d’accepter l’absence, et le virtuel, c’est la présence de l’absence.

« L’angoisse de castration n’est pas liée au sexe mais à la perte : si l’on perd ou si l’on nous vole notre smartphone, on est à nu »

Mais il faut bien comprendre que notre capacité à être seul se construit bien avant l’arrivée du smartphone, chez le bébé, qui apprend tout à coup à se représenter l’absence.  Quant à l’angoisse de castration, elle n’est pas liée au sexe, mais à la perte plus généralement : si l’on perd ou si l’on nous vole notre smartphone, on est à nu.

Sur les réseaux sociaux, il est assez fascinant de voir avec quelle rapidité une majorité d'entre nous s’est pliée, en l’espace de dix ans, à l’invitation à la transparence prônée par Mark Zuckerberg et ses successeurs. Comment l’expliquez-vous ? Vous écrivez : « C’est comme s’il conviait tous les utilisateurs de Facebook à faire de la scène primitive, non pas un fantasme, mais une réalité. »

Mark Zuckerberg aux débuts de Facebook, en 2004.

J’ai appris que les parents de Zuckerberg étaient psychiatres, et je ne veux pas dire qu’avoir des parents psys engendre des Zuckerberg, mais il y a en psychanalyse quelque chose de très important : le fantasme de la scène primitive. Il désigne le fait pour un enfant de voir ses parents faire l’amour. C’est un fantasme et ça doit le rester, certains enfants qui le voient peuvent être très marqués. Mais j’ai donc imaginé que ce tout dire / tout montrer, qui est un fonctionnement d’enfant, avait tendance à nous pousser à une forme de régression infantile.

En psychologie du développement, on dit que le mensonge est nécessaire, car l’enfant va apprendre qu’à force de tout dire, ça finit par se retourner contre lui. À l’image de la pudeur, qui est parfois nécessaire : quand l’enfant se pointe dans le salon le sexe en érection et se masturbe, les parents vont dire que ce n’est pas sale, mais qu’il faut qu’il le fasse sans se montrer. En prônant la transparence, Zuckerberg est entré dans cette faille intime que l’on a tous, ce désir de tout dire, tout montrer.

 « On retrouve ce plaisir exhibitionniste, qui est le plaisir de l’enfant qui aime qu’on le regarde »

Vous écrivez également : « Avec Facebook, la France est passée d’un pays voyeur à un pays d’exhibitionnistes ». La réalité est-elle vraiment si schématique ?

C’est une formule, mais il est vrai que la France est un pays pétri par une culture de la culpabilité et le qu’en-dira-t-on. Et c’est à cet égard incroyable de se rendre compte que des gens qu’on connaissait à peine ressentent un plaisir fou à s’exhiber sur Facebook. On était dans un pays où on se regardait les uns les autres, où l’on était, à l’inverse de la culture anglo-saxonne, dans cette difficulté à entrer en contact. Et on retrouve ce plaisir exhibitionniste, qui est le plaisir de l’enfant qui aime qu’on le regarde. 

Ce narcissisme, vous l’observez en consultation, chez vos patients ?

Ce que nous observons, mes collègues et moi, c’est que l’on retrouve de moins en moins le « névrosé bien formaté », qui a une pathologie oedipienne. Nous sommes davantage confrontés à des pathologies narcissiques - en aucun cas engendrées par les réseaux sociaux, qui ne viennent que les entretenir : ce sont des gens qui ont ce que j’appelle un « complexe d’Oedipe Canada Dry », ça y ressemble mais ça n’en est pas. Attention, par « narcissique » on peut entendre, « qui a une grande gueule, est mégalo, égocentrique », mais il faut comprendre que c’est une manière de se défendre d’une fragilité. Un narcissique qui n’a pas son public peut s’effondrer. L’autre narcissique est celui qui porte sur soi le malheur du monde, c’est le syndrôme de Jésus-Christ. En France, on est très forts pour ça, parce qu’on adore les victimes… C’est donc ces fragilités narcissiques que peuvent venir entretenir les réseaux sociaux ou les jeux vidéo, parfois comme un moyen de se soigner, mais qui peut finalement tourner en boucle.

« La curiosité sexuelle infantile est un moteur du journaliste, du chercheur, du psy ! »

Vous vous intéressez également à la boulimie d’informations et à la peur de manquer une info, à l’ère des pushs. L’arrivée de l’info sur mobile a propulsé l’actualité dans l'immédiateté. Comment expliquer cet appétit ?

L’info, rarement positive, toujours inquiétante, peut avoir plusieurs vertus, presque antidépressives. Car l’angoisse est un excellent antidépresseur ! L'info permet d’avoir l’illusion qu’il se passe quelque chose, elle peut soulager « parce que ça va plus mal ailleurs », mais elle traduit aussi le désir d’exister dans le monde, voire d’avoir une sorte de contrôle sur le monde.

Crédits : Jean Jullien.

Je fais par ailleurs le rapprochement avec la curiosité sexuelle infantile, qui vient de ce que l’on nous cache. La curiosité sexuelle infantile est un moteur du journaliste, du chercheur, du psy ! C’est un bon moteur, ce n’est pas une part obscure et malsaine. À l’inverse, certains refusent de voir les informations parce qu’ils sont trop tournés sur eux-mêmes. C’est donc un moyen de venir combler des non-dits, des choses qu’on nous aurait cachées, les fameux secrets de famille. Bon, c’est un peu de la psychanalyse sauvage… En tout cas, la boulimie d’infos vient colmater un vide.

« Une pédiatre en PMI a récemment fait parler d’elle en disant que les écrans rendaient autiste… Ca va très très loin, ça devient du n’importe quoi »

Vous êtes contre la diabolisation des écrans, qui sont au coeur d’un débat récurrent, surtout pour l’éducation des enfants. Un rapport remis à l’Académie des sciences en 2013 (co-écrit par le psychiatre Serge Tisseron) liste parmi les effets négatifs : « prise de poids, retard de langage, déficit de concentration et d’attention, risque d’adopter une attitude passive face au monde ». Ces risques ne sont-ils pas réels ?

Interdire les écrans ne fait qu’appuyer sur le bouton de la culpabilité parentale, déjà très forte. De mon côté, je suis convaincu qu’il faut faire des écrans des alliés. Serge Tisseron s’est prononcé pour l’interdiction de la télévision avant 3 ans, des jeux vidéo avant 6 ans, d’Internet avant 9 ans et des réseaux sociaux avant 12 ans. Il existe une sorte de business de la prévention sur la question des écrans. Cela a toujours existé, même avec la télévision ou la littérature : Les Trois Mousquetaires avait été interdit de peur que ça provoque des duels… Sauf qu’à l’époque (1844), l’interdiction venait des prêtres. Michel Foucault disait les « les psys seront les nouveaux prêtres », et beaucoup se joue autour des écrans.

Des poissons, c'est-à-dire ?

Or on est dans un faux débat. L’écran en lui-même n’est pas dangereux, mais le contexte dans lequel il est utilisé peut être violent. Souvent, psychiatres et psys sont du côté de la guidance parentale. Et les parents vont reporter la faute sur les écrans. Une pédiatre en PMI a récemment fait parler d’elle en disant que les écrans rendaient autiste… Ca va très très loin, ça devient du n’importe quoi. On met à mal des créations de jeux animés pour enfants, des jeux vidéo pour enfant… Jouer avec son fils à un jeu vidéo, c’est faire des écrans ses alliés. J’ai quasiment toutes les consoles et je peux vous dire que mes enfants ne jouent pas comme des dingues. Ce qui est triste quand un enfant joue trop longtemps, c’est qu’il joue seul chez lui, qu'il est seul trop longtemps. 

Crédit: Paul Rogers.

Pour une docteure en psychologie américaine (au , les adolescents nés après 1995 sont en train de grandir, au contact des smartphones, de façon complètement inédite et inquiétante. Vous expliquez de votre côté que des capacités comme la concentration se jouent bien en amont, entre 0 et 3 ans, et semblez sceptique sur les effets à long terme de l’hyperconnexion...

J’ai aussi lu (chez Laurent Alexandre, Ndlr) qu'« en 2050, ceux qui auront moins de 150 de QI disparaîtront »… Or le QI ne calcule qu’une partie de notre intelligence, l'intelligence purement cognitive. Ce qui est propre à l’humain, c’est l'imagination, l’émotion, l’affect, l’ambivalence, et ce sont des choses qui sont liées à des histoires et qui ne sont pas en lien avec une programmation. Donc même si je suis un ado né dans un monde binaire, propre à l’informatique, il y a toujours de la colère, de la passion, de l’imaginaire et de l’ambivalence. Je vois comment les adolescents utilisent les écrans : ils sont un peu excessifs, mais ils sont aussi énormément dans le partage, de vidéos et de contenus. Mon fils « snape » énormément parce que ça l’emmerde d’être avec nous, et il reste simplement en contact avec ses amis.

D’un autre côté, les ados que je rencontre dans le cadre de leur addiction aux jeux vidéo sont des cas un peu intrigants : ce sont souvent des jeunes qui ont un très fort QI, qui ont été élevés dans le culte de la performance. Ils sont comme des caricatures d’une parentalité qui n’accepte pas qu’un bébé soit un bébé - notons à ce sujet que le rapport de l’Académie des Sciences note qu’une tablette tactile peut stimuler les bébés cognitivement, comme si on ne laissait pas être des bébés - et d’un monde créé par des informaticiens qui eux-mêmes sont plus à l’aise dans leur rapport avec leur ordinateur qu’avec l’humain. Ces ados-là sont des mutants parce qu’ils correspondent à un modèle propre au numérique. 

« L'autre jour, j’entendais des jeunes discuter de la GPA, et se dire "On pourrait créer une application pour louer des ventres !" »

En quoi le « monde binaire » dont vous parlez, qui progresse au fur et à mesure que les nouveaux gourous s’appellent Mark Zuckerberg ou Elon Musk, inquiète-t-il le psychologue et psychanalyste que vous êtes ?

Ces gens nous dominent, ils sont peu nombreux mais ils ont un pouvoir phénoménal, et au delà de leurs positions humanistes, comme récemment suite à l'affaire de Charlottesville, ce qui m’interroge, c’est que la case empathie manque profondément. L’autre jour, alors que je rejoignais mon cabinet dans le XIème arrondissement de Paris, j’entendais des jeunes discuter de la GPA, et se dire « On pourrait créer une application pour louer des ventres ! ». J’ai aussi eu l’occasion d’être sollicité comme consultant pour des start-up, et j’ai dû dire aux jeunes : « Attendez, c’est monstrueux ce que vous proposez ! ». Leurs idées étaient proches de celles de sites qui sont nés et ont fermé depuis, des applis pour balancer des rumeurs ou manipuler les ados dans leurs amitiés.

En 2016, la CNIL a eu raison de l'appli de rumeurs anonymes Gossip, qui permettait à n’importe qui de propager n'importe quelle rumeur à l’ensemble de ses contacts, sans craindre de pouvoir être identifié par sa cible.

Certains pensent que l’empathie est le combat du XXIème siècle… Pour moi, ce n’est pas de la morale, cela se situe plutôt du côté de l’éthique. D’un autre côté, les jeunes que je reçois dans mon cabinet sont hyper-empathiques à la base, mais ont développé des stratégies brutales, un peu comme chez les enfants précoces : les parents n’ont pas été très rassurants, et pour se détendre contre l’anxiété, ils sont dans le désir d’ordonner le monde, d’être dans le déni de l’autre. L’autre doit correspondre à ce qui me rassure, mais dès qu’il apparaît dans son ambivalence, c’est un enfer absolu. Certains de ces jeunes-là vont ensuite nous dominer. 

« Il y a un refus du littéraire, d’une pensée plus élaborée »

L’économie du numérique a beau grandir, la société est encore loin d’être envahie par des Zuckerberg en puissance !

Le numérique va prendre une place de plus en plus importante dans nos sociétés. Les écoles d’informatique n’offrent aucun cours d’histoire, de culture. Pour moi, c’est là que se situe l’un des grands dangers : il y a un refus du littéraire, d’une pensée plus élaborée. L’être humain ne peut se réduire à un algorithme, mais c’est ce qui est en train de se passer de plus en plus. Le retour de la fiction, du littéraire, est nécessaire. Il y a bien sûr des sites, des forums d’écriture collaborative, l’auto-édition qui permet à des jeunes auteurs d’être publiés... Internet est une excellent outil pour tous les inhibés du monde parce qu’on « ose », les sites de rencontre permettent à des gens qui ne se seraient jamais croisés de se rencontrer. Mais en parallèle, les réseaux sociaux peuvent modeler une manière de penser le monde et réduire l’humain à un enfant capricieux et exhibitionniste qui ne produit plus rien.

Crédits : John Holcroft.

Vous consacrez tout un chapitre au corps, « complètement oublié dans le numérique » d'après vous...

Philip K.Dick a imaginé les dérives folles que ça pourrait engendrer. Mais un adolescent passe moins de temps devant les écrans que ses propres parents qui sont au bureau toute la journée, il continue d’aller à l’école. Mais il est vrai que les écrans peuvent servir d’évitement du corps. J’ai reçu un garçon de 32 ans qui a passé 8 ans de sa vie devant un écran, au point que se déplacer pour venir me voir était déjà thérapeutique. Par ailleurs, une étude a montré que les ados se parlaient de moins en moins au téléphone, que la voix deviendrait trop intrusive. En même temps, quand on voit les images qu’ils s’envoient entre eux, c’est… chaud. Un jour, j’ai demandé à une classe d’ados lycéens : mais vous vous envoyez des sextos, comment vous le vivez le lendemain ? L’un d’eux m’a répondu : « Bah, on s’apprivoise ». Cette réponse, je l’ai trouvée très belle.

Rien n'absorbera autant l’humain que la réalité virtuelle, à laquelle certains prédisent un avenir radieux. L'ancien cinéaste et spécialiste de l’addiction aux jeux vidéo prédit-il dès à présent une hyperconnexion extrême qui pourrait cette fois nous couper du réel ?

La réalité virtuelle nous plonge avec une puissance phénoménale dans une histoire. Je travaille sur le sujet pour Arte, et il faut en effet se demander à quel point on n'a pas une boîte de Pandore entre les mains. Par exemple quand vous voyez cette femme journaliste qui expose les gens à des images d’une rare violence pour leur faire prendre conscience de la réalité de la guerre... Les gens en ressortent très mal. Il y a la peur d’une dérive à la Orange Mécanique, d’une transformation de la réalité virtuelle en outil de manipulation mentale. Mais il commence à y avoir de vrais recommandations : une interdiction aux moins de 13 ans, une durée maximum de visionnage... Bien sûr, certains se font déjà trois heures de VR d’affilée et me racontent dans mon cabinet que c’est le pied total, mais il y a encore des défauts… Votre corps n’est pas représenté, le toucher manque. J’ai une tendance à préférer la réalité augmentée... Je trouvais ça très drôle qu’un Pokémon soit sur mon canapé de psychanalyste.

 

Image à la Une : Future Tense.

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