Relayer une œuvre de sagesse poétique millénaire en créole courant, voilà un défi digne pour les plus fins créolistes. Rama Valayden publie une traduction en Créole mauricien du “Tirukural”, l'œuvre célèbre du poète tamoul Tiruvalluvar. De quoi faire frémir de bonheur les âmes de nos ancêtres aux familles brisées par leur dispersion de l'Océan Indien au bassin des Caraïbes... J.S. S.
Rama Valayden, traduire en (faisant) justice
Relayer une œuvre poétique millénaire en créole courant. Défi de Rama Valayden, “Attorney General”, qui publie une traduction du “Tirukural”, oeuvre du poète tamoul Tiruvalluvar.
Prescriptions millénaires. Pour sagesse contemporaine. Il y a de cela deux mille ans déjà, Tiruvalluvar, le poète tamoul s'interrogeait ce qu'est une “Bon Fam”, sur les vertus du “Pa get figir”, du “Konn viv”, ou encore du “Pa frekant napa”. Rama Valayden a choisit de lui emboîter le pas. Et de poser à côté de son porte-feuille d'“Attorney General”, une traduction en créole du Tirukural. L'ouvrage, préfacé par James Burty David a été lancé cette semaine.
Sensible, dès l'enfance à ces vers “kouma dir son tabla”, Rama Valayden nous propose d'en écouter non seulement la musique des mots, mais aussi de vibrer au rythme de strophes (koural) traversés à part égal par le bon sens et le sens de l'observation. Ouvrant ainsi les portes d'une poésie millénaire et étiquetée hermétique, à un lectorat curieux des échos que peuvent avoir des écrits datant des ancêtres de nos aïeux, dans notre quotidien.
Cet aspect frappe d'emblée. Prenons l'exemple de “Bon Fam”. Première crainte du lecteur : se voir embarquer dans une litanie au paternalisme rampant, pour ne pas dire des prescriptions dégoulinant du machisme de base. En somme, que Rama Valayden se soit fait courroie de transmission d'idées préconçues - et démodées – sur le rôle de la femme. Nous partons là évidemment avec le préjugé “moderne”. Celui de la femme émancipée, celle qui a révisé la liste de ses devoirs. Et allonger considérablement celle de ses droits.
Anxiété apaisée par Tiruvalluvar et son traducteur. Certes, le point de départ de “Bon Fam” reste la domesticité. Mais idéalisée. Renforcée. Rendue vraie par les tournures adoptées par le traducteur. “Fam ideal se fam ki roul menaz/Dapre so mwayin.” A peine un sourcil levé à “Mem lapli pou ekout fam/Ki kan leve gramatin/Priye so mari avan Bondye”, avant de se réconcilier avec, “Ki bizin vey tifi ki onn gard loner.”
“Rama Valayden suit les traces de son père”
L'honneur des Valayden est sauf. Avec cette traduction – retardée par le vol d'un premier manuscrit – réalisée non pas directement de l'original mais inspirée de différentes versions, “pou kompran pli byin profonder ek iniversalite Tirukural”, Rama Valayden suit les traces de son père Vadivel, fondateur et premier président du Tiruvalluvar Circle.
Le traducteur sort l'ouvrage du cercle des initiés pour en faire un pamphlet. Une prise de position affichée. D'abord dans le choix de langue créole. Rama Valayden expliquera lors de son discours, à la cérémonie de lancement : “dimoun ki konn anglais français...”. Ensuite par cette déclaration consignée dans la Not depi loter : “Mo partizan non selma valorisasyon lang kreol me ousi itiliz li kouma zouti pou edikasyon”. Posture qu'il utilise pour justifier “kifer grafik pa standard”.
Cent huit chapitres – Rama Valayden partage l'avis de ceux qui pensent que les chapitres suivants auraient été écrits par un autre poète – traduits dans le créole d'ici, le créole de la rue. Celui qui nous interpelle à coup de “koz bon koze”, jetant des ponts entre la sagesse tamoule d'il y a deux mille ans et celle qui s'exprime tous les jours chez nous. Mettant le Tirukural à la portée du plus grand nombre. L'éloignant des “dimoun ki pakonn partaz konesans/ kouma fler san parfin”.
MIEUX COMPRENDRE
Qu'est-ce que le “Tirukural” ?
■ Le “Tirukural” est un texte écrit sous forme de couplets, traitant de divers aspects de la vie. En tout 133 chapitres de 10 couplets chacun. Le tout agencé en trois parties : la première sur le “dharma”, des leçons de justice et de morale. La deuxième sur les devoirs de l'homme, la bonne conduite à avoir envers le côté matériel des choses. Et la troisième sur l'amour ( partie non traduite par Rama Valayden). Les spécialistes notent que même si l'oeuvre a été écrite il y a de cela deux millénaires, il est compris sans grandes difficultés par les locuteurs modernes. Ce texte est étudié à l'école dans l'Etat du Tamil Nadu dès le plus jeune âge. Très peu de détails subsistent sur l'identité de son auteur, Tiruvalluvar. Selon l'une des légendes qui l'entoure, il serait le fils d'un brahmane et d'une mère intouchable. Abandonné, il aurait été recueilli par une femme de la caste Vellala, qui lui aurait donné le nom Tiruvalluvar. Mais suite aux objections de ses voisins, cette femme aurait abandonné l'enfant. Il sera recueilli cette fois par une famille d'intouchables. Plus tard, il s'installera dans ce qui est, aujourd'hui, une partie de Chennai, où il travaillera comme tisserand. Il semblerait que “Valluvan” serait plus le nom de la caste des tisserands plutôt que son nom à proprement parler. L'une des autres versions veut que Valluvar ait été un roi qui régna sur le Valluvanadu, dans le Tamil Nadu.
EXTRAIT
Sapit 64 Minis
Koural 631
Minis bizin konn
Byin swazir manyer, mwayin
Ek fini plan kan fini deside.
Koural 632
Minis bizin byin konn
Ladrwatir-Ledikasyon-Perseverans-
Ek proteksyon lepep.
Koural 633
Seki kapav diviz lenmi
Inir kamarad ek rod bann alye
Enn bon minis.
Koural 634
Bon minis seki kompran zafer vit
Ekzekit libyin donn lord kler.
Koural 635
Assistan minis kone
Ki bizinfer ek
Koze avek sazes.
Koural 636
Kan lintelizans marye avek
Ledikasyon ki sann la kapav dibout kont sa?
Koural 637
Mem si ena gran konesans
Teorik minis bizin konn terin
Koural 638
Mem sipa
Ekout so konsey
Minis bizin
Konseye ki pafer plezir
Koural 639
Prefer fer fas milyon lenmi
Ki konseye konploter dan mem kan.
Koural 640
Mem si ena gran plan
Seki pena kapasite zame
Kapav fini travay.
Par Aline GROËME-HARMON
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_ Source de l'article :
_ L'Express de Maurice, [ICI->http://www.lexpress.mu/display_article_sup.php?news_id=94049#]