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EN FINIR AVEC LA SOI-DISANT IMPORTATION DU CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN

Par Rafik Chekkat
EN FINIR AVEC LA SOI-DISANT IMPORTATION DU CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN

« La terre constitue de fait un seul monde, où il n’y a pratiquement pas d’espaces vides et inhabités. De même qu’aucun d’entre nous ne se trouve hors de la carte ou au-delà, nul n’est entièrement étranger à la lutte dont elle est l’enjeu. Bataille complexe et captivante, car elle ne se livre pas seulement avec des soldats et des canons mais aussi avec des idées et des formes, des images et de l’imaginaire. » Edward Said, Culture et impérialisme.

D’emblée, parler de conflit israélo-palestinien suggère une opposition entre deux parties qui lutteraient avec les mêmes armes. Il s’agit en réalité d’une domination coloniale, forcément asymétrique, qui met aux prises une société surarmée, largement soutenue et financée par l’Occident, face à une population qui vit sous occupation, en exil.

C’est pourtant l’expression consacrée, que politiques, journalistes et intellectuel-les utilisent, que ce soit de manière descriptive (« l’importation du conflit »), sous forme de question (« est-ce l’importation du conflit en France ? »), sous forme d’injonction (« il ne faut pas importer le conflit »), parfois même pour signifier une impossibilité (« le conflit ne peut pas s’importer en France »).

Importation

Le mot renvoie à l’action de faire entrer dans un pays un usage, un produit, etc. On parle par exemple de l’importation de la pomme de terre ou d’une mode. Parler d’une importation du conflit, c’est mettre le caractère étranger de ce conflit, étranger à la France, et plus généralement à l’Europe. Sans l’Europe, pourtant, Israël n’aurait jamais existé.

Sionisme — Le projet sioniste est un rejeton tardif du nationalisme et du colonialisme européens. On connait les mots de Herzl : « Pour l’Europe, nous formerions là-bas un élément du mur contre l’Asie ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie ». Les juifs étaient Asiatiques en Europe, ils deviendraient Européens en Asie.

Dès le départ, les idées sionistes sont ancrées dans l’idéologie politique dominante européenne de la fin du XIXe siècle, qui conçoit le monde extra européen comme espace vide à coloniser et à mettre en valeur : « Partout où nous les modernes apparaissons avec les moyens dont nous disposons, nous transformons le désert en jardin » (T. Herzl, L’Etat des Juifs).

Antisémitisme — Sorti des entrailles de l’Europe du XIXème siècle sous la forme politique et sécularisée de l’antijudaïsme chrétien, l’antisémitisme était considéré par Herzl lui-même comme un moteur puissant que les juifs devaient utiliser à leur profit.

Domination coloniale européenne — Et que dire des accords Sykes-Picot à la suite du démantèlement de l’Empire Ottoman, du mandat britannique sur la Palestine, de la déclaration Balfour (dont nous « célébrons » cette année le centenaire), du vote à l’ONU de la partition de la Palestine en 1947… Tout cela rend aberrante l’idée même d’une question de Palestine totalement étrangère à l’Europe.

Vème République — Rappelons enfin que durant les premiers pas du jeune Etat israélien, juste après l’expulsion de quelque 800 000 Palestiniens en 1948, les relations franco-israéliennes connaissaient leur âge d’or. La coopération militaire entre les deux Etats n’a jamais été aussi forte que sous les gouvernements successifs de la IVe République.

L’expérience accumulée par l’armée française dans ses colonies – notamment lors des guerres d’Indochine et d’Algérie – a permis l’exportation à l’étranger de ses techniques contre-subversives. L’armée israélienne a reçu le concours d’instructeurs français en matière de « guerre révolutionnaire ». Et inversement par la suite. Un échange de bons procédés militaires entre puissances coloniales. C’est aussi sous la IVème République que la France va livrer la technologie atomique à Israël.

Voilà pourquoi parler d’une importation du conflit est un non-sens puisqu’Israël est lui-même une exportation européenne. Et si « le sionisme est le cadeau que l’Europe a fait aux juifs », selon l’expression de Kurt Blumenfeld, on peut dire qu’Israël est le pire cadeau fait par l’Europe aux populations arabes, aux Palestiniens, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, et aussi aux juifs.

Conflit

Parler d’importation n’a pas grand sens. Mais ce qui est visé en réalité dans l’injonction à ne pas importer, c’est l’idée selon laquelle une telle importation ne peut que mener à la haine des juifs.

Voilà pourquoi on n’a jamais parlé d’importation à propos de la loi du retour israélienne, qui fait que tout juif dans le monde peut obtenir la nationalité israélienne et s’installer sur les terres dont ont été chassés les Palestiniens.

On n’a jamais parlé d’importation quand des synagogues servent en France de centre de recrutement pour l’armée israélienne.

On n’a jamais parlé d’importation quand des synagogues ou des centres communautaires juifs reçoivent des officiels israéliens et font l’apologie de la politique coloniale israélienne.

On n’a jamais parlé d’importation quand les responsables de la grande synagogue de Marseille ont affiché à l’été 2014 une banderole à l’effigie de 3 soldats israéliens avec la mention « Bring Back Our Boys ».

On n’a jamais parlé d’importation quand politiques, journalistes et intellectuel-les font l’éloge du sionisme et participent à des galas en faveur de l’armée israélienne.

Et on n’a jamais parlé d’importation quand des manifestations de soutien à Israël sont organisées en France.

Parce que l’importation du conflit mènerait inéluctablement à l’antisémitisme, on mesure comment cette idée devient un outil puissant pour museler toute contestation au sionisme et à la politique coloniale israélienne. Un chantage permanent qui est destiné à interdire toute manifestation de soutien aux Palestinien-nes en lutte.

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Manifestation pour Israël, le 31 juillet 2014. Photo Lionel Charrier. MYOP

Persistance coloniale, racisme institutionnel

On peut comprendre cette obstination à parler d’importation du conflit comme le refus tout aussi obstiné de regarder en face la propre histoire coloniale de la France. Car ce que vivent depuis près d’un siècle les Palestiniens – d’abord sous le mandat britannique puis sous la colonisation israélienne – renvoie à ce que tant de peuples colonisés ont vécu.

Le discours sur la soi-disant importation marque la volonté de ne pas affronter la question centrale de la persistance du colonialisme et du racisme. D’inscrire une rupture entre la mémoire des ex-colonisés et le présent colonial des Palestiniens. D’interdire tout parallèle entre le racisme institutionnel français et le racisme institutionnel israélien.

L’oppression vécue des Palestiniens nous renvoie à notre propre condition, ici en France. Au racisme structurel, aux violences policières et pénitentiaires, à l’islamophobie. Il n’est qu’à voir d’ailleurs comment l’idéologie islamophobe permet au discours colonial israélien de délégitimer ses adversaires, de masquer les crimes et souffrances de l’occupation et de présenter Israël comme victime du « fanatisme islamique ».

Un tel régime de justification raciste existe aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, ce qui explique pourquoi outre-Atlantique des liens sont très souvent établis entre le système carcéral, les violences policières que subissent plus particulièrement les populations noires et hispaniques, et le conflit colonial en Palestine. Spontanément, artistes et activistes exposent similarités entre l’oppression des Palestinien-nes et les crimes policiers aux Etats-Unis.

Après le meurtre d’Oscar Grant, on a pu voir des affiches portant le slogan « Justice pour Oscar Grant, Justice pour Gaza, Fin du soutien meurtrier du gouvernement dans les ghettos d’Oakland et en Palestine. » De tels parallèles ont plus tard été faits à Ferguson (Missouri), et à Baltimore.

On comprend alors que dénoncer le soutien des autorités françaises à la politique criminelle israélienne, va de pair avec la lutte contre le racisme et l’arbitraire du pouvoir en France. C’est de cette manière que nous établirons des ponts et des liens stimulants entre différentes luttes, différents espaces, pourtant liés.

Nous n’inventons rien. Après tout, la quête de justice, le refus obstiné de toute oppression, de toute domination de l’homme par l’homme, n’est-ce pas cela qui a toujours guidé la résistance au colonialisme et qui guide encore nos combats actuels ?

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