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DEAN ET CHLORDÉCONE : QUAND ON SE TROMPE DE DÉBAT…

DEAN ET CHLORDÉCONE : QUAND ON SE TROMPE DE DÉBAT…

La « révélation » de l’empoisonnement de notre pays par le chlordécone et le passage du cyclone Dean ont suscité quantité de débats, plus ou moins violents, dans la presse locale et sur l’Internet, entre divers membres de ce qu’il est convenu d’appeler l’intelligentsia locale. L’objet du présent article n’est pas de prendre parti pour un camp contre un autre, mais d’essayer de démontrer que tout ce beau monde se trompe de débat. En fait, le problème, le drame, que vit présentement la Martinique est beaucoup moins intellectuel, beaucoup plus terre-à-terre que ne se l’imaginent nos écrivains, sociologues et autres anthropologues, qu’ils soient intégrés au système ou qu’ils se vivent comme « marrons ».

Notre drame peut se résumer à cinq interrogations que se posent journellement le Martiniquais moyen, le fameux Ti Sonson de notre imagerie plus ou moins auto-dénigrante. A savoir (dans le désordre) :

1. Pourquoi plus aucun Martiniquais, à moins d’avoir gagné au tiercé ou au loto (ou d’avoir un parent qui joue dans l’équipe de France de fooball), ne peut s’acheter une maison ?

2. Pourquoi les jeunes diplômés martiniquais, qu’ils soient formés localement ou dans les plus brillantes universités du monde, ne trouvent plus de travail sur place alors que des gens venus d’ailleurs, souvent moins qualifiés, n’ont aucun problème à ce niveau ?

3. Pourquoi notre histoire, notre culture et notre langue sont-ils massivement absents des principaux médias et n’existent que de manière cosmétique à l’école et à l’Université, et du coup se mettent à dépérir de manière quasi-inexorable ?

4. Pourquoi permet-on cette véritable dilapidation de nos terres agricoles qui fait que depuis trente ans, nous perdons près d’un millier d’hectares chaque année et cela de manière irréversible une fois que le béton et le bitume ont pris leur place ?

5. Pourquoi 80% des grands patrons, des chefs d’administration, des juges, des directeurs d’école (et même, dans certaines écoles, des enseignants !) etc…soient des gens venus d’ailleurs, qui souvent ne connaissent pas notre culture, ne comprennent pas nos problèmes et agissent par conséquent à leur guise ?

Evidemment, Ti Sonson ne formule pas ces questions avec les mêmes mots, dans les mêmes termes, mais au-delà de la forme, le contenu est exactement le même. Et pour entendre ou recueillir ces interrogations, on n’a pas besoin d’être sociologue ou d’avoir obtenu un grand prix littéraire : il suffit simplement de prendre, de temps en temps, l’autobus, de driver à Terres-Sainvilles ou sur la place publique de n’importe quelle commune vers six heures du soir, de prendre un « sec » dans un bar à vieux nègre, de discuter cinq minutes avec le propriétaire de la camionnette bâchée qui « corne » devant chez vous pour vous vendre ses laitues ou ses ignames, de « zayer » une tite câpresse qui se balade en ville sans but apparent etc…Rien de très éprouvant. Il suffit juste d’écouter.

On le voit donc : les principales interrogations du Martiniquais moyen sont à des années-lumière du débat musclé qui a opposé récemment nos intellectuels. Et la réponse à ces interrogations, ce n’est pas moi qui la donne, c’est Aimé Césaire à l’aide d’une de ces formules fulgurantes dont il a le secret :{{ le génocide par substitution}}. Formule délivrée il y a près de…20 ans !!! Donc, à mon humble avis, tout débat qui ignore ou qui occulte cette question première, cette question primordiale, est un faux débat et relève davantage de la posture auto-justificatrice que du désir réel de porter sa contribution au « dézankayaj » de la Martinique. La posture est le péché mignon des intellectuels et moi-même, je n’y échappe pas de temps à autre. Il ne s’agit donc pas ici d’accabler les deux camps en présence, mais de recentrer le débat car il y a urgence. Il y a va de la survie même du peuple martiniquais en tant que peuple. En effet, le vrai problème n’est pas de savoir s’il faut transformer la Martinique en un paradis écologique ou s’il faut appuyer l’action de nos élus politiques. Le vrai problème est : quoi faire pour contrer le génocide par substitution ? Bref, d’apporter des réponses concrètes aux inquiétudes et interrogations de Ti Sonson. Je dis bien « concrètes », pas des réponses utopistes d’un côté (paradis écologique) ou conformistes de l’autre (soutien aux élus politiques).

Dans je ne sais plus quel journal de la Gauche française, je lisais l’autre jour un entrefilet ironique à propos de la Corse qui disait à peu près ceci (je cite de mémoire) :

« Les nationalistes corses prétendent que l’Etat français pratique une forme de génocide dans l’Ile de Beauté. C’est le premier génocide de l’Histoire dans lequel il n’y a aucun mort. »

Mis à part la suffisance toute germanopratine du propos, il y a là une méconnaissance ou un refus d’examiner la vraie question : comment un peuple de 230.000 habitants peut-il continuer à exister en étant intégré à un pays de 60 millions d’habitants ? D’autant que ce pays y déverse ses rentiers, retraités et jeunes cadres fringants tandis que les Corses sont obligés de gagner le continent pour trouver du travail. Il n’y a pas besoin d’être docteur en arithmétique pour comprendre que dans cinquante ans, il n’y aura plus de peuple corse en tant que tel. Ce qui se passe en Corse est du même ordre que ce qui se passe en Martinique. Césaire, toujours visionnaire en dépit des erreurs accumulées au cours de sa longue carrière politique, avait vu juste. Le problème c’est que son parti ne s’est jamais mis debout derrière ce mot d’ordre, qu’il en a fait un vague slogan, une sorte de « pawol an bouch pa chaj », vite oublié d’ailleurs une fois que Tonton Mitterrand est arrivé au pouvoir en 1981. Quand on voit donc, dans le débat actuel, certains de nos intellectuels prendre becs et ongles la défense de nos élus politiques, on est en droit de se poser des questions. Mais bref…

Continuons plutôt à recentrer le débat. A partir du moment où l’on admet que le principal problème de la Martinique est le génocide par substitution (le génocide par pollution au chlordécone n’en étant qu’une facette), toute parole intellectuelle dotée d’un minimum d’honnêteté se doit de pointer du doigt les fauteurs de ce génocide. Et là non plus, nul besoin d’un parchemin universitaire ou d’une distinction littéraire, pour voir qu’il s’agit principalement de :

- l’Etat français
- du groupe béké

Quand on voit donc certains intellectuels interpeller les élus suite au passage du cyclone Dean, on se demande s’il n’y a pas une erreur quelque part. D’autant que ces mêmes brillants esprits n’ont cessé de nous expliquer à longueur d’ouvrages ou d’articles depuis des années, que notre élite n’est qu’une « élite de représentation », qu’elle n’a aucun pouvoir, que nos élus ne sont que des « bwabwa » et des marionnettes. {{Or, n’est-il pas illogique de demander à des gens qui ne disposent d’aucun pouvoir de transformer la Martinique en havre écologique ?}} Sans compter que nous vivons dans un système économique libéral dans lequel le chef d’entreprise est maître dans son entreprise (ou sur sa plantation). Aucun maire ou conseiller général ou régional de Marigot ou du Vauclin n’a le pouvoir de contraindre le Béké du coin à s’adonner à telle culture (ou à tel mode de culture) plutôt qu’une autre. On en a d’ailleurs eu un exemple récent lors de l’ouverture d’un supermarché dont les écologistes avaient tenté d’interdire la construction : le propriétaire a embauché les cadres qu’il voulait et comme par hasard la grande majorité d’entre eux se sont révélés être des non-Martiniquais alors qu’il y a des diplômés d’école de commerce martiniquais à la pelle.

Donc à quoi bon interpeller des gens dont on déclare par ailleurs qu’ils ne sont qu’en « représentation » et n’ont aucun pouvoir ? J’insiste : ce n’est pas très logique. Et pourquoi ne pas pointer du doit les véritables responsables du désastre martiniquais actuel à savoir l’Etat français d’une part et les Békés de l’autre ? Oui, nos élus sont souvent en-dessous de tout, oui, nos élus se comportent trop souvent en compère Lapin et en jouisseurs, voire en rois fainéants une fois élus. Oui, tout cela est vrai. {{Mais les critiques que nous pouvons leur faire prendraient tout leur poids, seraient plus honnêtes, si, dans le même temps, nous nous attaquions à ceux qui manipulent les ficelles de la marionnette et qui, eux, disposent d’un vrai, d’un énorme, pouvoir de nuisance à l’égard de notre peuple.}}

Ainsi donc, à mon sens, tout discours intellectuel martiniquais qui fait l’impasse sur le génocide par substitution est objectivement complice de ce dernier. Je vois déjà les bonnes âmes m’accuser de racisme. A cela j’ai trois réponses :

- ayant du « sang » nègre, béké et chinois dans les veines, je me vois mal rejeter ou diaboliser une partie de moi-même.

- toute personne venue de l’extérieur, qu’elle soit française, ouzbek, bamiléké, guatémaltèque ou extra-terrestre qui décide de vivre en Martinique et d’en faire son pays est la {{bienvenue}} à la seule condition qu’elle respecte notre culture, qu’elle s’efforce de l’apprendre, voire de la valoriser, et surtout qu’elle ne se fasse pas, même à son corps défendant, le cheval de Troie du génocide par substitution.

- je n’ai aucune leçon d’antiracisme ni de droits de l’homme à recevoir de gens dont les ancêtres ont pratiqué pendant des siècles les pires abominations et notamment les trois plus horribles de l’époque moderne à savoir le génocide des Amérindiens, l’esclavage des Nègres et l’extermination des Juifs.

Je persiste donc et signe : le principal problème que vit la Martinique actuelle est le génocide par substitution et les auteurs en sont l’Etat français épaulé par les Békés. Tout discours intellectuel qui fait l’impasse sur cela relève de la posture ou de l’imposture.

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