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CORRECTION DES THEMES

par RAPHAEL CONFIANT
CORRECTION DES THEMES

Dans le cadre de la «Formation à distance au CAPES de créole» organisée par le GEREC-F, formation entièrement gratuite, précisons-le, une soixantaine d’étudiants s’est livrée au difficile exercice du thème. Il est à noter que ces exercices ne leur ont pas été imposés puisqu’il leur a été fourni une liste d’ouvrages au sein desquels ils avaient à choisir eux-mêmes deux pages en vue de les traduire en français. Comme il fallait s’y attendre, aucun étudiant n’a choisi le même passage.
A l’instar des corrections des dissertations, nous ne proposerons pas de «Corrigé» dans un premier temps mais simplement des remarques précises sur les principales erreurs commises dans les différents devoirs, ceci dans le but de faire comprendre à l’étudiant que toute traduction est perfectible et qu’il n’existe pas UNE traduction, ni LA BONNE traduction.
Les devoirs présentés ici sont dotés d’un numéro qui fera référence toujours au même étudiant tout au long des 5 mois que durera cette formation à distance.

RAPHAEL CONFIANT

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{{THEME DE L'ETUDIANTE N°2 (Matinik)

TEXTE: extrait de «L’Etranger» d’Albert CAMUS.}}

Le dimanche, j’ai eu de la peine à me réveiller et il a fallu que Marie m’appelle et me secoue. Nous n’avons pas mangé parce que nous voulions nous baigner tôt. Je me sentais tout à fait vide et j’avais un peu mal à la tête. Ma cigarette avait un goût amer. Marie s’est moquée de moi parce qu’elle disait que j’avais «une tête d’enterrement ». Elle avait mis une robe de toile blanche et lâché ses cheveux. Je lui ai dit qu’elle était belle, elle a ri de plaisir.

En descendant, nous avons frappé à la porte de Raymond. Il nous a répondu qu’il descendait. Dans la rue, à cause de ma fatigue et aussi parce que nous n’avions pas ouvert les persiennes, le jour, déjà tout plein de soleil, m’a frappé comme une gifle. Marie sautait de joie et n’arrêtait pas de dire qu’il faisait beau. Je me suis senti mieux et je me suis aperçu que j’avais faim. Je l’ai dit à Marie qui m’a montré son sac en toile cirée où elle avait mis nos deux maillots et une serviette. Je n’avais plus qu’à attendre et nous avons entendu Raymond fermer sa porte. Il avait un pantalon bleu et une chemise blanche à manches courtes. Mais il avait mis un canotier, ce qui a fait rire Marie, et ses avant-bras étaient très blancs sous les poils noirs. J’en étais un peu dégoûté. Il sifflait en descendant et il avait l’air très content. Il m’a dit: «Salut, vieux», et il m’a appelé Marie «mademoiselle».

La veille nous étions allés au commissariat et j’avais témoigné que la fille avait «manqué» à Raymond. Il en a été quitte pour un avertissement. Devant la porte, nous en avons parlé avec Raymond, puis nous avons décidé de prendre l’autobus. La plage n’était pas très loin, mais nous irions plus vite ainsi. Raymond pensait que son ami serait content de nous voir arriver tôt. Nous allions partir quand Raymond, tout d’un coup, m’a fait signe de regarder en face. J’ai vu un groupe d’Arabes adossés à la devanture du bureau de tabac. Ils nous regardaient en silence, mais à leur manière, ni plus ni moins que si nous étions des pierres ou des arbres morts. Raymond m’a dit que le deuxième à partir de la gauche était son type, et il a eu l’air préoccupé. Il a ajouté que, pourtant, c’était maintenant une histoire finie. Marie ne comprenait pas très bien et nous a demandé ce qu’il y avait. Je lui ai dit que c’étaient des Arabes qui en voulaient à Raymond. Elle a voulu qu’on parte tout de suite. Raymond s’est redressé et il a ri en disant qu’il fallait se dépêcher.
Nous sommes allés vers l’arrêt d’autobus qui était un peu plus loin et Raymond m’a annoncé que les Arabes ne nous suivaient pas. Je me suis retourné. Ils étaient toujours à la même place et ils regardaient avec la même indifférence l’endroit que nous venions de quitter. Nous avons pris l’autobus. Raymond, qui paraissait tout à fait soulagé, n’arrêtait pas de faire des plaisanteries pour Marie.

{{TRADUCTION}}

Dimanch-lasa sa té red pou té lévé kò-mwen, fok sé Mari ki kriyé mwen ek soukwé mwen. Nou pa menm manjé padavwè nou té lé benyen bonnè. Man té ka santi kò-mwen vid ek tet-mwen té ka fè mwen tibren soufè. Sigaret-mwen té anmè. Mari fè rikann anlè mwen padavwè i té ka di kon sa «tet-mwen té ka sanm an moun-mò». I té mété an wob twel blan ek chivé’y té ladjé. Man di’y i té bel, i ri afos sa fè’y plézi.

Lè nou désann, nou konyen asou lapot Rémon a. I réponn nou i ka désann. An lari-a, pas man té las ek pas osi nou pa té ouvè sé pèsienn-lan, jou-a, plen épi soley, bat mwen kon an kalot. Mari té ka soté afos i té kontan, té ka yen ki di tan-a té bel. An mizi an mizi, man té ka santi kò-mwen bien ek mwen réalizé man té kon an gangan. Lè man di Mari sa, i pa fè ni yonn ni dé, i montré mwen koté i té mété sé dé mayo-nou an ek sèviet-la : andidan sak twel siré’y la. Sel bagay man té rété pou fè, sé atann ek nou tann Rémon fèmen lapot-li. I té ni an pantalon blé épi an chimiz blan éti sé manch-lan té kout. I té ka pòté an chapo pay éti sé bòdaj-la té plat, sa fè Mari ri, ek sé avan-bra’y la té blan anba anlo pwel nwè. Sa té ka dégouté mwen. Toupannan i ka désann, i té ka siflé ek té ka sanm sa ki djé toubèonman. I di mwen kon sa « sa ou fè, vié frè ? » ek i kriyé Mari «manmzel».

Avan yè, nou alé lakay sé jandam-la, épi man témwayé pou Rémon asou zafè ti fi-a ki pa té lé koupé épi’y. Sel bagay yo fè’y, sé ba’y an pawol pou mété’y an gad. Yo pa chèché wè si sa man di té vré. Douvan lapot-la, Rémon ek mwen palé di sa épi nou désidé alé pran lotobis-la. Plaj-la pa té djè lwen mé nou té ké rivé ankò pli vit épi lotobis-la. Rémon sonjé ki zanmi’y té ké kontan wè nou rivé ankò pli bonnè. Nou té paré pou chapé lè Rémon, an manniè blip, di mwen gadé dwet douvan mwen. Man wè an krey Arab do-yo apiyé asou vitrin an koté yo ka vann tabak. Yo té ka gadé nou san palé, mé asou manniè-yo, kon si nou pa té ayen. Yo sé di nou pòtré woch oben piébwa mò. Rémon di mwen kon sa déziem boug-la lè ou gadé asou koté goch-la sé té zig-li. Yo sé di ni an bagay ki té ka pété tet-li. Apré sa, i di mwen ankò, ki jòdi jou tou sa fini. Mari, ki pa ka konprann pies sa ki té ka fet, mandé nou sa ka fet. Man esplitjé’y ki sé boug-tala té sé Arab-la ki té ni an dan kont Rémon. I té lé nou chapé lamenm. Rémon mété kò’y doubout, koumansé ri ek chonjé fok ba kò-nou balan.

Nou dirijé kèo-nou koté sé lotobis-la rété. Sa té tibren pli lwen ek Rémon prévienn mwen ki sé Arab-la pa té ka suiv nou. Man tounen kò-mwen. Yo pa té brennen ek té ka gadé toujou épi menm manniè néglijé a koté nou té yé a. Nou batjé andidan lotobis-la. Rémon té ka sanm sa ki té tiré an zépin an pié’y, i té ka yen ki ba Mari yonn-dé boufonnay.

{{REMARQUE GENERALE}}

L’Etranger de Camus est un texte faussement facile. A cause de ses phrases courtes et de son vocabulaire assez limité, on peut avoir l’illusion que le traduire dans n’importe quelle langue est un jeu d’enfant, ce qui ne serait pas, par exemple, le cas d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Or tel n’est pas du tout le cas car il s’agit d’un texte d’une grande complexité, la plus redoutable pour un traducteur étant de trouver un équivalent au fameux «passé composé» camusien. On sait, en effet, que L’Etranger est sans doute le seul roman français qui déroge à la règle selon laquelle les parties narratives utilisent le passé simple et les parties discursives, le passé composé. Partout où l’on s’attend au passé simple, Camus utilise le passé composé. Comment rendre cette particularité dans une langue comme le créole?

{{REMARQUES PARTICULIERES}}

L’utilisation du démonstratif guadeloupéen lasa, dans Dimanch-lasa i té red pou lévé kò-mwen… , est à proscrire dans un texte écrit en créole martiniquais. Puiser dans tous les lexiques créoles, y compris ceux de l’Océan Indien, est tout à fait permis et même recommandé; panacher les différentes syntaxes au sein d’un même texte, en tout cas dans une épreuve d’examen ou de concours, doit être absolument évité.
L’expression «tête d’enterrement» ne doit pas être traduite telle quelle en créole car tet lantèman n’y signifierait pas grand chose. Pas plus que tet-mwen ka sanm ta an moun-mò comme la traduit l’étudiant. Le mieux serait Fidji’y/figi a’y té maré toubannman/toubolman.

Dans la proposition Marie sautait de joie, au lieu de Mari té ka soté afos i kontan, on peut proposer la forme reduplicative: Mari té ka soté, kontan i kontan. Et pour sauter de joie dans le sens de trépigner de joie, il y a aussi l’expression guadeloupéenne fè leg.

Rendre J’avais faim par l’expression idiomatique créole Man té kon an gangan (Litt. J’étais aussi affamée qu’un oiseau-gangan) est un excès de traduction. En deux sens:

-# parce que le texte de Camus dit faim et non pas très faim;
-# parce que ce texte a un référent algérien et donc méditérannéen, région où l’oiseau-gangan est parfaitement inconnu.

L’insertion de deux points ( : ) dans la phrase Je l’ai dit à Marie qui m’a montré son sac en toile cirée où elle avait mis nos deux maillots et une serviette n’est absolument pas nécessaire et risque de casser le rythme de la phrase. Au lieu de Lè man di Mari sa, i pa fè ni yonn ni dé, i montré mwen koté i té mété sé dé mayo-nou an ek sèviet-la: andidan sak-li, on peut avoir Man rété man di Mari sa ek i montré mwen sak twel siré’y la koté i té mété sé dé mayo-nou an épi an sèviet.

A diverses reprises, l’étudiant escamote des portions de phrase ou des mots du texte à traduire. Par exemple, là où Camus écrit ses avant-bras étaient très blancs, il traduit avan-bra’y té blan! On peut proposer deux traductions:
- avan-bra’y té blan bon kalté blan an.
- avan bra’y té blan toubannman.

Traduire commissariat par lakay jandam est une erreur: les policiers, et donc les commissariats se trouvent en ville tandis que les gendarmes exercent à la campagne. Il fallait donc traduire kay-polis la.
Cas flagrant d’interprétation hasardeuse: là où Camus écrit que la fille avait manqué à Raymond, l’étudiant traduit ti fi-a pa té lé koupé épi’y (la jeune fille ne voulait pas coucher avec lui ! ! !)

Cas, par contre, de sous-traduction, qui frise l’à-peu près: là où Camus écrit Il en a été quitte pour un avertissement, l’étudiant traduit Sel bagay yo fè’y, sé ba’y an pawol pou mété’y an gad (La seule chose qu’on lui a faite, c’est lui dire un mot pour le mettre en garde).

La phrase Ils nous regardaient en silence, mais à leur manière, ni plus ni moins que si nous étions des pierres ou des arbres morts a été coupée en deux par l’étudiant qui écrit Yo té ka gadé nou san palé, mé asou manniè-yo, konsidiré nou pa té ayen. Yo sé di nou pòtré woch oben piébwa mò. Le rythme de la phrase camusienne est malheureusement brisé et l’effet littéraire recherché disparaït.

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