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Coronavirus : pour les immigrés, la peur de ne pas être enterré au pays

Rachid Laïreche
Coronavirus : pour les immigrés, la peur de ne pas être enterré au pays

A cause du confinement et des mesures sanitaires prises pour les funérailles, les immigrés craignent, en cas de décès, de ne pouvoir être rapatriés dans leur pays d'origine pour y reposer.

Les rôles s’inversent. La crise sanitaire pousse des enfants à surveiller les parents. Des appels à foison. Pas le droit de mettre un orteil dehors. Le fichu virus fout les jetons. La semaine passée, un pote au téléphone détaillait sa routine entre ses gosses qui tournent en rond dans son petit appartement et le contact régulier avec ses vieux qui vivent à quelques rues de chez lui : ils guettent en boucle les chaînes d’infos en attendant la fin de l’isolement. Au milieu de la discussion, il a lâché une phrase étrange : «Toi tu as de la chance, au pire ils sont là-bas.»

Une situation parmi des millions : mes parents vivent en France mais ils sont actuellement à Mostaganem, en Algérie. Des petites vacances habituelles. Ils multiplient les allers-retours au fil des saisons. Depuis la fermeture des frontières, ils ne bougent plus de leur maison. Confinés très loin des enfants et des petits enfants. Pas simple. Selon mon pote, les miens sont mieux lotis que les siens. J’ai tiqué un petit moment : «Au pire ?» Puis son argument a éclairé ses dires : «Tu imagines si demain il arrive un truc à mes parents, ça voudrait dire qu’ils ne seront pas enterrés au Maroc mais en France.» Inimaginable pour lui et les siens. Ils sont des milliers dans ce cas.

Dernier voyage

Le contexte : le coronavirus ne laisse personne en paix. Les enterrements n’échappent pas aux mesures sanitaires : cérémonies restreintes à vingt personnes, soins de conservation des corps interdits pour les morts de l’ennemi invisible, crémations à la chaîne dans les zones les plus touchées et quasi-impossibilité pour les décédés étrangers d’effectuer l’ultime voyage sur leur terre, notamment en raison de la suspension des liaisons aériennes (1). Le coronavirus arrache des vies. Il empêche également ceux qui respirent toujours de faire le deuil. Un vrai monstre.

Une réalité : dans beaucoup familles, la question de l’enterrement arrive tôt ou tard. Une sorte de passage obligatoire entre deux générations. Des consignes précises sur le lieu et le déroulé de la cérémonie. A l’inverse, chez de nombreux étrangers originaires d’Afrique ou d’ailleurs la question ne se pose (presque) jamais. Tout le monde connaît la fin de l’histoire. La grande majorité des immigrés désirent rentrer au pays une fois que la partie s’achève. Un dernier voyage en avion pour prendre place dans le cimetière du village.

La fin est souvent identique mais les histoires sont différentes. Chaque immigré a la sienne. Il y a celui qui est venu seul pour turbiner avant de faire venir sa famille. Il y a également celui qui a trouvé l’amour ici ou celui qui a laissé sa lignée là-bas. Sans oublier celui qui a fui la guerre. Une pensée forte pour toutes les femmes. Celles qui sont venues seules à l’aventure ou avec leur époux. Les exemples sont multiples comme leur rapport à la France. Certains ont une seule nationalité – alors qu’ils pourraient demander le passeport bleu blanc rouge. D’autres ont les deux.

Bousille

Un jour, un retraité nous confiait avec un petit sourire : «Au départ on vient, on se dit on travaille un peu, on se fait de l’argent après on rentre. Ensuite on fonde une famille donc on se dit qu’on rentrera lorsqu’on sera à la retraite. Puis une fois à la retraite, ce n’est pas facile de laisser les enfants et les petits enfants donc on fait les allers-retours. C’est pour ça que beaucoup de gens comme moi sont restés locataires en France, c’est une erreur, on a tous préféré construire des maisons au bled parce qu’on pensait rentrer alors qu’on passe plus de temps ici.»

Un paradoxe : les anciens construisent des grandes maisons au pays qui pour beaucoup restent vides. Elles sont occupées par un membre de la famille (et ça se termine souvent en embrouille) ou un gardien. Les gosses, eux, passent une tête de temps en temps. Pas suffisamment pour les daronnes et les darons. Beaucoup craignent que leur édifice, qui a mis le temps d’une vie à voir le jour, tombe en ruine après leur départ pour l’autre monde. Un spécialiste des quartiers nous a envoyé un mail tard dans la nuit de lundi : «L’une des choses qui ramène la jeune génération au pays de leurs ancêtres sera la tombe des parents. Inconsciemment, c’est la mort qui finit par lier des fils d’immigrés à leur terre d’origine.»

Le retraité a également évoqué les habitudes : la balade au marché et les discussions sur son terroir d’origine avec d’autres anciens. Pas simple de tirer une grande page du jour au lendemain. Pas évident de rentrer au pays et de réapprendre à vivre au quotidien avec des frères et des cousins que l’on a côtoyé le temps des congés payés. Par contre, l’enterrement au pays met tout le monde d’accord. Un soir, en Algérie, une vieille dame glissait au moment de dire au revoir à un de ses frères qui regagnait la France : «Vous êtes fatigants les immigrés, un beau jour le téléphone sonne et on vient vous récupérer en pleurant à l’aéroport.» La mort n’a jamais été simple à vivre. Et le coronavirus a décidé d’aggraver les choses. Il bousille tout sur son passage comme si le pire n’était pas suffisant.

(1) Le 18 mars, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) conseillait aux fidèles de «renoncer, dans la mesure du possible, au rapatriement du corps».

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