La contamination des sols des Antilles françaises par la chlordecone, et sa persistance durant plusieurs siècles, est maintenant bien documentée. Cette contamination entraîne celle des chaînes alimentaires, avec des effets sanitaires de mieux en mieux évalués (cancer de la prostate, retard de développement des jeunes enfants,…).
Une réglementation stricte a donc été élaborée pour limiter, dans les zones contaminées, les risques liés à la consommation d’eau, de certains légumes, des animaux aquatiques. Mais l’autoconsommation d’animaux élevés à la ferme ne peut qu’être difficilement réglementée, surtout qu’elle apparaît souvent comme un moyen d’avoir des produits sains ! Or certains animaux (porcs, poulets, canards,…) sont de gros consommateurs de sol lorsqu’ils sont en élevage naturel, et la question se pose de savoir si l’ingestion de terre contaminée peut induire la contamination de ces animaux.
Mme Jondreville, chercheur INRA à Nancy, spécialisée dans l’étude des micropolluants et résidus dans la chaîne alimentaire, a cherché à évaluer, en conditions réelles, la contamination éventuelle de canards fermiers élevés sur des sols contaminés à la chlordecone. Cette étude a été réalisée en collaboration avec des organismes officiels et de recherche martiniquais (voir ci-dessous la référence d’une publication scientifique résultant de cette collaboration).
Pour cela, des canetons de un jour ont été importés de France métropolitaine et laissés en intérieur durant 6 semaines. Puis ils ont été mis dans un petit verger de la région de Ducos (Martinique), verger de goyaviers engazonné. Le sol de cette parcelle est légèrement contaminé à la chlordecone (410 microgrammes par kg de poids sec ; les sols sont considérés comme moyennement contaminés lorsqu’ils ont une teneur entre 500 et 1000, et fortement contaminés pour des valeurs supérieures à 1000). Les canards ont toujours été abreuvés avec une eau sans chlordecone.
Différents traitements de durée de séjour en verger, puis d’interruptions, ont été effectués par les chercheurs. Un résultat représentatif est celui de canards de 28 semaines, exposés donc au sol contenant de la chrordecone durant 22 semaines, et qui ont atteint un poids moyen de 2,5 kg.
La concentration en chlordecone dans la viande de ces animaux varie selon l’organe : elle est de 169 microgrammes de chlordecone par kg de poids frais dans la cuisse de canard avec peau (et 145 sans la peau), de 278 dans la graisse et de 1051 dans le foie. Les œufs produits par ces canards ont une concentration moyenne en chlordecone de 1000 microgrammes par kg de poids frais.
La chlordecone du sol passe donc bien dans les organes d’animaux qui consomment de la terre, comme les canards, mais aussi les poules, les cochons,…Pour situer l’importance de la contamination, les auteurs rappellent que les limites maximales en résidus de chlordecone (LMR) pour les denrées animales terrestres ou aquatiques, ont été fixées à 20 microgrammes par kg de poids frais, tolérance valable pour les seules Antilles françaises.
C. Jondreville, A. Lavigne, S. Jurjanz, C. Dalibard, J.-M. Liabeuf, F. Clostre, M. Lesueur-Jannoyer, 2014. Contamination of free-range ducks by chlordecone in Martinique. Science of the Total Environment, 493, 336-341.