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Considérations à peine générales sur une confrontation pas seulement verbale

Serghe Kéclard
Considérations à peine générales sur une confrontation pas seulement verbale

La passe d’armes par médias interposés (ici, reportage de Via-ATV et là, Facebook live) entre Catherine Conconne, sénatrice de la Martinique, et une grand-mère martiniquaise exaspérée à propos de la vaccination obligatoire promue par le président de la République française, Emmanuel Macron, paraît être l’illustration parfaite du décalage voire de la rupture entre une certaine classe politique déconnectée et la grande majorité des martiniquaises et des martiniquais.

Rupture dans le fond et dans la forme.

D’une part, dans le fond :

  •  À l’évidence, puisque les deux protagonistes, femmes martiniquaises venant d’univers différents, s’opposent radicalement sur les préconisations présidentielles. Madame Catherine Conconne ne comprend pas que l’on puisse, à ce moment de la pandémie du Covid-19, contester le bien-fondé de la vaccination. Selon elle, en effet, l’obligation vaccinale tombe sur le sens : « la seule solution, c’est d’aller se faire vacciner. » Car on ne peut, pour elle, « résister à une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante et qui est mortelle » qu’à cette unique condition. A cela, la Manman-doudou de 8 petits-enfants, répond qu’en aucune façon, ces derniers ne seront vaccinés avec ce « vaksen sos-chen » par des hommes de main, qualifiés par elle de « kriminel » et, clin d’œil à peine appuyé à sa contradictrice, de « chen abiyé an moun ».

D’autre part, dans la forme :

  • Alors que la fondatrice du mouvement politique « La Martinique Ensemble » s’exprime en un français volontiers châtié, « une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante » ou « on fera des coquetteries de langage sur pass ou pas pass, sur liberté, pas liberté, obligatoire, pas obligatoire », avec  verbe haut et posture de parlementaire qui se veut rationnelle devant les caméras de télévision, la grand-mère s’arcboute, elle, sur sa langue maternelle ou matricielle, le créole, face à son portable, confortablement installée dans sa voiture.

 

  • Loin d’être dans la simple émotion -preuve, s’il en est, de sa profonde humanité- que peut laisser accroire sa remarque lorsqu’elle énumère l’âge de ses petits-enfants « man pa sa menm respiré » et le débit plus haché de sa réponse à la sénatrice, elle articule, néanmoins, une argumentation qui ne laisse rien au hasard.

 

 

  • D’abord, bonn-manman interpelle la femme politique via son patronyme rectifié par ses soins en toponyme sexuel féminin « Man koukoun » ; cet argument ad hominem a une finalité claire : rabaisser l’interlocutrice voire la provoquer sur le terrain de la polémique.

 

  • Ensuite, elle l’informe que le stratagème électoral mis en place par elle a échoué. Celui consistant, pour la liste conduite par Catherine Conconne aux dernières élections régionales, à rallier un maximum de pro vaccin : « Ou té kwè moun té ké suiv ou ? Ou té kwè moun té ké suiv ou pis ou té pran vaksen sos-chen’w lan ? Sé pou sa ou té lé nou té voté ba’w ! »

 

  • Par surcroît, faisant fi de l’insulte ultime de complotisme, la locutrice se réfère à un supposé « plan » concerté auquel la sénatrice participerait de manière cynique : « Ou té lé endé sé kriminel-la, sé chen abiyé an moun ou-an, ou té lé nou té voté ba’w pou fè travay-la yo ka fè la-a ».

 

  • Et enfin, elle termine son propos avec cette reprise de l’expression de Conconne, elle-même, « coquetterie de langage » qu’elle accole à ce juron, acmé de sa diatribe : « Man ni an « coquetterie » ba’w, ay ko.. manman’w, isa… ! » Les rencontres consonantiques et vocaliques font mouche et démontrent, à l’envi, que l’apparente improvisation relève davantage de la rigoureuse réfutation.

 

 

Si, on peut déplorer –à tort ou à raison– que la langue créole ne serve, une fois de plus, qu’à l’injure, mais «  dlo dépasé farin », quand acculé-e-s à l’extrême de notre humanité, que nous reste-t-il ? Sinon la purgation jubilatoire par le juron pour demeurer femme ou homme debout.

Cependant, ce refus de la vaccination obligatoire et du Pass sanitaire, qui se retrouve chez bon nombre de martiniquaises et de martiniquais, quoiqu’en pense la sénatrice, s’explique rationnellement.

Comment ne pas comprendre leur réticence et leur rejet lorsque l’arrivée de ce « vaccin » fut annoncée dans les eaux troubles de ce qui ressemble à de la propagande de la pire espèce ? Aujourd’hui, les sources d’information sont plurielles : on ne s’abreuve plus, depuis l’avènement des nouvelles technologies, à la seule presse mainstream, Martinique la 1ère, Via-ATV, France-Antilles, BFM-TV, C-News, Le Monde, pour ne citer que ceux-là. Notre connaissance des grands bouleversements du monde et la découverte d’informations longtemps dissimulées se font, désormais, via les blogs privés (Montray-Kréyol, Bondamanjak, Free Pawol …), les réseaux sociaux, et ce, malgré la distance critique qu’on est en droit de garder vis-à-vis de ces derniers. Paradoxalement, c’est un peu grâce ou à cause de ce nécessaire recul à observer, que nous avons appris à décrypter la presse traditionnelle. Le détour par les réseaux sociaux
-sans en faire l’alpha et l’oméga non plus– (outre le recours aux livres) devient désormais la démarche quasi obligée dans une consommation autre des infos. Le rituel du journal télévisé de 19h ou du 20h n’est pas d’actualité ainsi que les expressions telles que : « Man wè’y latélé ! », « I té matjé adan gran-jounal-la ! Kidonk sa vré. ». Tant mieux. La culture de la source « Ki koté ou tann sa ? Ki koté ou wè sa ? » pour valider ou invalider une info devient réflexe dans la réception d’une nouvelle. On ne s’en plaindra pas.

 L’idée longtemps répandue, selon laquelle la curiosité intellectuelle s’émousse chez les utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux –jeunes comme moins jeunes d’ailleurs– reçoit un sérieux démenti en cette période de « pandémie ». Des expert-e-s, des immunologues, des virologues autoproclamé-e-s ou payé-e-s par les grandes firmes pharmaceutiques ou relayant, tout simplement, en « chiens de garde », la voix du Pouvoir politique ou économique, sont légion sur les plateaux des grandes chaines. Cette engeance qui se retrouve, également, sur les écrans digitaux, ne reçoit en direct aucune contradiction. A la différence de Facebook ou WhatsApp, qui sont des lieux d’âpres empoignades où l’apprentissage du débat emprunte souvent des voies inédites quand elles ne sont pas tout bonnement iconoclastes, en dépit de l’anathème du complotisme.  

Comment ne pas comprendre la réticence à l’encontre du « vaccin » et le rejet du Pass sanitaire lorsqu’on parcourt l’histoire récente de la Martinique ? Le scandale du Chlordécone   laisse dans nos chairs, dans nos mémoires, traces amèrement mortifères de l’incurie et du mépris de l’Etat français, comme de ses affidés, devant nos souffrances et notre légitime demande de réparation. Hier, aucune considération pour notre santé et aujourd’hui, brusquement, mise en place de tout un appareillage (répressif !) afin de « sauvegarder notre santé » ! 

Se pose néanmoins la cruciale question de la tolérance au sein de la population martiniquaise entre ces deux franges opposées quant à sa relation à la vaccination obligatoire, condamnées, malgré tout, à vivre sur un même territoire. Que faire ? Trouver coûte que coûte un modus vivendi privilégiant les Humanités en marge des diktats élyséens, et, en fuyant un moment les écrans, oser la réalité à travers des alternatives qui fassent émerger la Créativité tout azimut dans la Résistance. Ay di yo, sa fèb !

 

 Considérations à peine générales sur une confrontation pas seulement verbale, Juillet 2021, Serghe Kéclard.

Commentaires

GIRIER-DUFOURNI... | 28/07/2021 - 02:19 :
Cette passe d'armes entre une parlementaire et une citoyenne, toutes deux martiniquaises, par l'obligation de vaccination du gouvernement est significative et pourrait être la cause de conflit plus difficile à vivre sous nos cieux, si chacun n'y met du sien? L'invitation de la sénatrice , qu'à t-elle de choquant ? Rien ?Sinon, le côté, pour une frange des citoyens, clivant qui lui colle à la peau ? Le côté donneuse de leçons que d'autres trouvent exagéré ? Comment accepter l'avis de ceux ou celle dont les attitudes , en certaines circonstances , font polémiques et ont un petit relent de discrimination et de haine ? Enfin , comment comprendre l'attitude du gouvernement, quand on sait qu'aucune recommandation n'a été formulée pour ceux qui utilisent la chloredécone ? Aucune recommandation dans le domaine de la justice où les plus faibles n'ont aucun moyen de défense ?...Il y a t-il une présence du gouvernement pour soutenir et aider les citoyens martiniquais ? Dans cette affaire , il n'est pas temps d' accepter une intervention louable que de rejeter, un comportement clivant , théâtrale et sans doute ,démesuré? Comment expliquer , un comportement docile et respectueux envers les élus du sénat et celui, qualifié d'arrogant dans les plénières en Martinique ? Voilà des attitudes qui ne peuvent apaiser? Et, ceux qui dirigent ou qui le voudraient , réfléchissent à cet aspect humain que certains citoyens ne commencent à ne plus accepter?
zouzoula | 28/07/2021 - 11:19 :
Les meilleurs infectiologues le disent avec humilité : ils naviguent à vue avec cette pandémie. Ils recommandent certes le vaccin maintenant mais ils ne savent pas si demain un nouveau variant plus virulent ne le rendra pas inutile tel qu'il est . En gros, faites de votre mieux et de toutes les manières, précaution , gestes barrières, distanciation autant que possible. Le variant Delta modifie beaucoup de choses mais il n'empêche que beaucoup de Martiniquais , DES LE DEBUT, n'ont pas fait ce qu'il fallait et ont pris de mauvaises habitudes face à la maladie. Exemples; le masque mis et remis toutes les 10 minutes; Le même masque mis un jour, remis le lendemain. etc etc A croire que certains ne savent pas vraiment à quoi sert le masque. Quant à la sénatrice, elle était, fût un temps, la plus grande défenderesse de l'épandage aérien, sans lequel la banane ne pourrait plus être cultivée en Martinique selon ses dires . Il s'est avéré que c'était faux , archi-faux. Elle n'a peut-être pas tort aujourd'hui concernant le vaccin mais avec son passé chargé, elle n'est pas son meilleur ambassadeur. Ses seules interventions sont contre-productives. Comme elle aime à le dire elle même, on ne refait pas l'Histoire. Les faits sont têtus .
Joseph | 29/07/2021 - 07:18 :
Il y a les faits têtus : l'épidémie flambe et les morts se multiplient. Les confinements, le masque et autres contraintes freinent la propagation mais ne semblent pas de nature à l'éradiquer. Dès lors, il y a deux voies possibles. Celle de la vaccination, qui diminue les cas et en atténue les effets. Ou celle de la non-vaccination. C'est le choix que font apparemment les Martiniquais. Le virus poursuivra dès lors son expansion, d'autant plus que les gestes-barrière seront négligés. Mourront ceux qui doivent mourir. On décompte à ce jour 104 victimes. En attendant, on a droit au pis-aller d'un 4ème confinement.
zouzoula | 28/07/2021 - 13:55 :
Les médecins, pour ou contre le vaccin, parlent très peu des morts. Ils parlent des malades et des effets de la maladie sur leur vie à court et moyen terme. Certains médecins traitants en Martinique refusent de vacciner leurs patients et les envoient vers les centres. Si les soignants eux mêmes ont autant de mal à épauler leur entourage, il ne faut pas s'étonner de la confusion qui règne. Deux discours s'opposent en Martinique : l'officiel et l'officieux. Tous les 2 sont tenus par des professionnels de la Santé. L'ARS et le CHUM font semblant de l'ignorer. Dans le domaine sanitaire, l'hypocrisie est récurrente et le covid n'est qu'un dossier. D'un côté, on félicite les gens âgés de + de 85 ans, de l'autre, on tâche de réduire financièrement leurs traitements. En France, officieusement, un bon Français doit mourir avant 86 ans car après il coûte trop cher à la société, n'ayant pas suffisamment cotisé pour percevoir l'allocation retraite perçue.
Véyative | 28/07/2021 - 13:24 :
J'ai l'impression que c'est une phrase de Mme Conconne, mal interprétée qui a déclenché les foudres de cette grand mère. La sénatrice a indiqué qu'elle était favorable à la vaccination obligatoire telle qu'elle existe chez les enfants. J'ai compris, que pour elle l'obligation vaccinale n'est pas une nouveauté. Elle aurait pu citer la fièvre jaune pour la Guyane. Cette mamie selon moi a du comprendre que Mme Conconne souhaite la vaccination pour les enfants, d'où son affolement. Ah, la langue française....

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