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Chlordécone : non, monsieur Bertome !

Chlordécone : non, monsieur Bertome !

Sur papier à en-tête de la Chambre d’Agriculture de la Martinique, M. Louis-Daniel BERTOME, président de ladite chambre, s’est fendu d’une tribune libre intitulée Agriculture : la casse organisée, qu’il vient d’adresser à l’ensemble de la presse locale. Disons-le d’emblée ce papier est une véritable honte et cela à plusieurs niveaux ! D’abord, parce que M. Bertome y accuse, sans les désigner nommément (quel courage !) tous ceux qui, en ce moment, dénoncent l’empoisonnement de notre pays par le chlordécone à savoir l’ANC (Association Non au Chlordécone), le PUMA et l’Assaupamar qui vient de porter plainte contre l’Etat, d’être rien moins que les fossoyeurs de l’agriculture martiniquaise. Citons :

{ « Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs ont des difficultés à écouler leur production. Le phénomène s’aggrave jour après jour. Certains Martiniquais regardent leurs produits agricoles non plus seulement avec suspicion mais avec crainte. Ne leur dit-on pas à longueur de livre, de journaux, d’émissions de radio et de télévision que les terres de leur pays sont contaminées , les productions empoisonnées par des pesticides de toutes sortes. »}

Alors là, on croit rêver ! Non, monsieur Bertome, les agriculteurs martiniquais n’ont pas attendu le livre de L. Boutrin et de R. Confiant pour se trouver en grave difficulté, ni les dénonciations de PUMA, ni la plainte de l’Assaupamar. {{Ils le sont depuis près de vingt ans, lorsque vos amis et maîtres békés ont commencé à importer massivement des avocats d’Israël, des oranges de Saint-Domingue ou encore des ignames du Loiret (France).}} Il n’y a qu’à se rendre dans le rayon fruits et légumes de leurs supermarchés pour se rendre compte que ce sont eux, les fossoyeurs de l’agriculture maraîchère et vivrière martiniquaise. Achetés à bas pris et cultivés dans des conditions sanitaires invérifiables (pour ne pas dire plus !), ces produits étrangers ont contribué, dès les années 80, à ruiner les petits agriculteurs martiniquais. Comment, en effet, le consommateur, souvent peut argenté, pourrait-il préférer acheter l’igname du Gros-Morne à 17 francs (3 euros) le kilo alors que le supermarché béké lui propose une igname du Loiret à 6 francs (1 euro) ? Ce consommateur remarque bien que l’igname française est fade, n’a aucun goût, que l’avocat d’Israël est maigrichon et aigre (impropre en tout cas à fabriquer notre « féroce ») ou que les oranges de Saint-Domingue ont plus d’eau que de jus, mais c’est son portefeuille qui le commande. Donc, M. Bertome, comment se fait-il qu’on n’ait jamais entendu, en vingt ans, ni vous ni la Chambre d’Agriculture, dénoncer ces importations criminelles ?

Mais monsieur Bertome va encore plus loin dans l’indécence et la malhonnêteté intellectuelle. Ecoutons-le :

{« Ce que certains voudraient faire entendre aux Martiniquais, c’est que consommer des produits agricoles du pays expose à des maladies graves. Pourtant, beaucoup de spécialistes nous conseillent de consommer des fruits et légumes frais de préférence, pour réduire les risques de cancer, de maladies cardiovasculaires etc. D’autres spécialistes, ceux qui ont fait des études épidémiologiques en Guadeloupe, en Europe et ailleurs, nous disent ne pas établir de lien direct entre consommation de fruits et légumes (biologiques ou non) et cancer. »}

Soit c’est de la désinformation soit de l’ignorance crasse de la part de l’auteur de ces lignes car{{ pas moins de 5 rapports, établis par des scientifiques français, et cela à la demande même des services déconcentrés de l’Etat en Martinique}}, démontrent d’une part la contamination sévère de nos sols, rivières et rivages par le chlordécone, mais aussi la cancérogénicité des divers pesticides utilisés depuis cinquante ans, en particulier ce dernier : rapport Snégaroff en 1977, rapport de Kermarrec en 1979, Rapport Mestre-Balland-Fagot en 2002 etc…Ces chercheurs écrivent noir sur blanc que le taux de chlordécone présent dans notre pays est considérablement plus élevé que la norme admise en Europe. Par exemple, la source Bod lanmè à Basse-Pointe contient 44 fois la taux de chlordécone admis. 44 fois ! Les recherches en Guadeloupe, qu’évoque M. Bertome, ont trouvé que 90% des femmes enceintes ont du chlordécone dans leur sang, poison qu’elles transmettent à leurs enfants par le biais du cordon ombilical. Enfin, les travaux du professeur Dominique Belpomme, éminent cancérologue de réputation mondiale à qui Jacques Chirac a confié la direction du « Plan Cancer », établissent que le chlordécone, outre les cancers, est responsable des maladies de Parkinson et d’Alzheimer. Mais ce que M. Bertome ne sait peut-être pas, c’est qu’aux Etats-Unis, le chlordécone a été interdit dès…1979. Ce sont les Etats-Unis qui ont synthétisé cette molécule et qui ont fabriqué le pesticide correspondant qu’ils ont utilisé jusqu’au jour où une explosion s’est produite dans une usine de Virginie qui en fabriquait, provoquant des dégâts dans la population locale qui vivait aux abords. Le produit s’étant déversé dans un fleuve tout proche, on a constaté aussi une féminisation généralisée de tous les embryons d’alligators ! Donc quand M. Bertome écrit que {« ce que je sais c’est que le chlordécone est interdit à la Martinique depuis 1993 et n’est plus utilisé dans les champs »}, il ne fait, une fois de plus que démontrer son ignorance crasse et son irresponsabilité. {{En effet, le taux de rémanence de ce pesticide est évalué à 80, voire 150 ans}}, ce qui signifie qu’il reste présent dans le sol et dans l’eau longtemps, très longtemps, après avoir été utilisé, et que si rien n’est fait pour dépolluer, les produits maraîchers et vivriers qui sont plantés et récoltés se retrouvent forcément contaminés.

Continuons et écoutons à nouveau le président de la Chambre d’Agriculteur :

{« Ce que je sais c’est que les agriculteurs ne sont pas des empoisonneurs, mais des Martiniquais soucieux de leur santé et de celle de leurs concitoyens. »}

Cette affirmation se veut habile, mais elle est juste grossière : elle amalgame en effet tous les agriculteurs martiniquais, comme s’il y avait le moindre rapport entre le petit cultivateur maraîcher du Morne-Vert ou l’ouvrier agricole du Gros-Morne d’une part et le gros planteur de banane béké du Lorrain ou de Sainte-Marie d’autre part. {{M. Bertome met victimes et coupables dans le même sac}}. Or, ce que disent ceux qui aujourd’hui dénoncent l’empoisonnement au chlordécone, c’est bien le fait que les petits et moyens agriculteurs, en particulier ceux qui font du maraîcher ou du vivrier, sont les premières victimes de cette catastrophe, au contraire des gros planteurs békés qui, eux, expédient leur banane tranquillement en France. Ce n’est, en effet, pas 1 tonne de banane qui a été détruite par les services sanitaires du port de Dunkerque, en 2002, comme l’a rapporté le quotidien « LIBERATION », mais bien une tonne de patates douces ! En clair, le Béké ne subit aucun préjudice dans cette affaire alors qu’il est le responsable en chef, l’empoisonneur en chef puisque c’est lui qui possède le monopole de l’importation des produits phytosanitaires dans notre pays. Ce sont les établissements De Laguarrigue qui, en, toute connaissance de cause, après que les Etats-Unis ont cessé de fabriquer le chlordécone et en ont interdit l’utilisation, ont racheté la formule aux Américains, l’ont fait synthétiser dans un laboratoire à Béziers, l’ont fait fabriquer dans une usine au Brésil et l’ont fait entrer en Martinique et en Guadeloupe sous le nouveau nom de…Curlone. Non, M. Bertome, les agriculteurs martiniquais ne sont pas des empoisonneurs ! Les empoisonneurs, tout le monde les connaît, sauf vous apparemment. Toujours sur cette question de la responsabilité, il est clair que l’une des premières victimes est aussi l’ouvrier agricole sous-payé à qui, pendant trente ans, son patron béké a demandé de déverser du chlordécone au pied des bananiers. C’est lui qui aujourd’hui est atteint du cancer de la prostate ou du myelome, des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, ou qui est atteint d’infertilité. Oui, lui, l’ouvrier agricole et non pas son patron béké. Donc, M. Bertome, arrêtez avec vos amalgames fallacieux : on ne peut pas mettre tous les agriculteurs martiniquais dans le même sac.

Mais continuons encore à lire la prose de notre cher président de la Chambre d’Agriculture :

{ « Ce que je sais, c’est que toute la production de fruits et légumes qui passe par les coopératives est contrôlée. Les sols et les produits des adhérents de Socopma sont systématiquement analysés dans le cadre d’un plan de surveillance pesticide qu’ils ont eux-mêmes mis en place. »}

M. Bertome ignore sans doute {{qu’il n’existe aucun laboratoire en Martinique ni en Guadeloupe d’ailleurs qui soit en mesure de détecter la présence de chlordécone dans nos sols}}. Le seul laboratoire équipé pour faire ces analyses se trouve dans…la Drôme, en France, et les agriculteurs sont contraints, à leurs frais, de lui expédier des échantillons de leurs sols et de leurs produits, chose qui coûte évidemment fort cher. M. Bertome veut-il faire croire à quelqu’un, {{alors même que les services de l’Etat français eux-mêmes écrivent que 22.500 hectares de terres sont contaminées par le chlordécone en Martinique, qu’à chaque livraison à la Socopma, cette dernière expédie des chantillons dans la Drôme ?}} Outre le caractère invraisemblable de cette affirmation, il faut savoir qu’entre le moment où l’échantillon est envoyé en France et le retour des résultats d’analyse en Martinique, il peut se passer des semaines, voire des mois. Le président de la Chambre d’Agriculture veut-il faire croire que la Socopma stocke ignames, dachines, tomates, melons et autres piments pendants des mois en attendant le blanc-seing du laboratoire français ? Soyons sérieux !

Continuons à lire M. Bertome :

{« Ce que je sais, c’est que de nombreuses familles d’agriculteurs sont dans le désarroi, y compris celles qui ne sont pas concernées par le chlordécone…Sur la base d’affirmations non vérifiées, on casse notre agriculture. »}

Pourquoi ceux qui ne sont pas concernés par le chlordécone payent-ils aujourd’hui les pots cassés ? {{Parce que ni M. Bertome ni la Chambre d’Agriculture de la Martinique n’ont jamais exigé de l’Etat qu’il établisse une cartographie complète des terres agricoles martiniquaises.}} Comment se fait-il que dans la vaste Europe, on observe et contrôle la moindre parcelle par satellite alors que dans la minuscule Martinique, on est incapable de dire si tel champ du Morne-Rouge est pollué et tel autre champ du Saint-Esprit ne l’est pas ? Pourtant, une cartographie sérieuse aurait permis {{l’établissement d’une traçabilité de nos produits maraîchers et vivriers}}, ce qui aurait pour effet de rassurer le consommateur quant à la vraie nature du produit qu’il achète. Or, aujourd’hui, on est dans le flou le plus total, dans l’approximation, et quand à Dunkerque en 2002 on détruit 1 tonne de patates douces martiniquaises, ces mêmes patates douces sont en vente libre sur n’importe quel marché martiniquais ? Pourquoi ce qui n’est pas bon pour le consommateur hexagonal est bon pour le consommateur martiniquais ? Et s’il y a désarroi dans certaines familles d’agriculteurs, c’est souvent parce qu’elles ont loué ou acheté des terres békées anciennement plantées en banane et qu’elles se retrouvent brutalement empêchées de vendre leurs productions, les résultats d’analyse du fameux laboratoire de la Drôme déclarant ceux-ci totalement gorgés de chlordécone. La Chambre d’Agriculture a-t-elle étudié un plan d’urgence pour venir en aide aux nombreux agriculteurs qui se retrouvent dans cette situation dramatique ? Non évidemment ! Il est plus facile d’accuser les écologistes d’être les fossoyeurs de l’agriculture martiniquaise, tout en dédouanant l’Etat français et les Békés. Mais le plus indécent c’est lorsque M. Bertome se permet d’écrire que « les sanctions prévues pour ceux qui ne respecteraient pas l’arrêté préfectoral du 20 mars 2003 doivent être appliquées sans hésitation ». Autrement dit, il faut punir le petit et moyen agriculteur qui n’a jamais importé de chlordécone de sa vie et qui en est la première victime aujourd’hui, en se gardant bien de demander des comptes aux importateurs et gros planteurs békés !!!

Chacun comprendra que cette tribune « libre » du président de la Chambre d’Agriculture de la Martinique lui a été en réalité dictée. Et dictée par qui ? Pas besoin de faire un dessin. C’est en tout cas triste à la veille des célébrations de la révolution anti-esclavagiste du 22 mai.

{{ La rédaction de Montray Kréyol}}

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