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Bilinguisme haïtien : sortir de la zone grise

Par Roody Édmé*
Bilinguisme haïtien : sortir de la zone grise

Le linguiste-chercheur Robert Berrouet Oriol, a dans des publications aussi savantes que passionnées, attiré l’attention du public avisé et ou profane sur la nécessité d’aménager nos deux langues nationales.

Ayant beaucoup étudié notre bilinguisme, Oriol n’a de cesse de prôner en toute intelligibilité avec le linguiste Hughes Saint Fort, le nécessaire aménagement linguistique du français et du créole. Pour nos deux spécialistes : « la seule officialisation du créole n’aura pas mis fin à la marginalisation des unilingues créolophones, qui n’ont toujours pas un plein accès aux services de l’État ».

Le créole reste indubitablement, la langue parlée par tous les nationaux. Et aujourd’hui, grâce aux luttes de certains lettrés, et la puissante mobilisation de la majorité, il est délesté des lourds préjugés dont il a été longtemps l’objet. Quoique de vieux oripeaux coloniaux persistent toujours dans l’imaginaire de certains qui veulent maintenir le créole dans la même indigence qu’ils ont enferré l’ensemble d’un peuple devenu l’un des plus misérables de la région ; le parler de la majorité est depuis la Constitution de 1987, sorti de son statut de facto. Cependant, en toute justice, il doit s’épanouir aux côtés du français, lui aussi en net recul.

Or, on ne peut laisser de manière aussi irresponsable ces deux langues dans une cohabitation anarchique et vidées de leur substance à l’image de nos institutions fantomatiques. Ces jours-ci, à la faveur des différents accords politiques, dont celui de Montana, nous avons assisté à des débats d’assez bonne facture sur les grandes orientations nationales. Si tout cela reste pour le moment théorique, la population peine encore à grimper les pentes glissantes de nos « montagnes russes »-, il n’en demeure pas moins que des politiques débattent enfin, avec sérieux, de certaines questions prioritaires dont l’insécurité.

Toutefois, tout débat national qui se veut profond et novateur ne doit pas négliger la refondation linguistique.

De même qu’il nous faut mieux habiter l’espace haïtien, il devient impératif d’aménager nos deux langues dans une perspective de développement économique et de révolution éducative. Une manière de prendre en main notre devenir historique et linguistique, en toute équité, pour le plein droit de tous les locuteurs dans le cadre normatif et apaisé de ce que nos spécialistes, Oriol et Saint-Fort, conçoivent comme une « franco-créolophonie ».

Si l’on parle de refondation de ce pays, on ne peut faire l’économie d’un dispositif législatif consacrant l’autodétermination et la protection de la langue parlée par tous les Haïtiens, tout en conservant au français sa place historique. Notre bilinguisme est une richesse qu’il faut donc cultiver comme la terre, assainir comme notre environnement, et le mettre au service du jeune Haïtien comme un outil précieux d’éducation et de production de richesses.

La langue n’est pas le « jardin privé » de quiconque et en ce sens constitue un bien public qui a besoin d’être administré. Il ne s’agit nullement de l’envelopper dans un corset étatique, « d’enrégimenter » la créativité des locuteurs. Il faut surtout comme tout patrimoine en faire l’inventaire, s’occuper du « stockage » des mots, dépoussiérer ce qui doit l’être. Dans ce contexte, le livre du professeur Berrouet-Oriol autour de la didactique du créole est un ouvrage de référence.

Il devient important en ce qui concerne le lexique d’être en dialogue constant avec la réalité. Il faut que la science fasse corps avec le social pour éviter la montée des périls langagiers.

Le linguiste aujourd’hui ne peut se contenter d’un mandarinat qui lui confère un pouvoir absolu sur les faits de langue, c’est une personne de terrain qui entretient des « relations critiques » avec ceux qui parlent et créent dans la langue.

C’est ce que le linguiste franco-tunisien Claude Hagège appelle « l’homme diagonal », dans une entrevue accordée au numéro 27 de la revue des Sciences Humaines paru en janvier 2000. Selon lui «  les premières manifestations vocales linguistique ont été suscitées par le désir de dialoguer ».

Il s’agit donc d’un « impératif catégorique » que nos universités et nos intellectuels d’ici et d’ ailleurs installent autour de notre bilinguisme un dialogue fructueux et permanent. Nous avons des écrivains qui écrivent aujourd’hui dans quatre langues. Notre système éducatif est encore loin de suivre le mouvement. Il y a des choses à mettre au point et des objectifs à atteindre sur la manière de mieux appréhender nos rapports aux langues.

* Enseignant, éditorialiste

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