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« Bicentenaire » de Lyonel TROUILLOT (HAÏTI).

Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES
« Bicentenaire » de Lyonel TROUILLOT (HAÏTI).

« Bicentenaire », c’est la chronique d’une mort annoncée. Nous sommes à Port-au-Prince, un dimanche de l’année 2004, à l’heure de la commémoration du 200è anniversaire de l’indépendance d’Haïti. Le titre ne détermine en rien ce qui va nous être raconté, à savoir les heures qui vont précéder une manifestation anti-gouvernementale vouée au carnage car, nous dit le narrateur, « les années se suivent et se ressemblent par delà les anniversaires ». En fait, la tragédie à venir n’est pas symbolique d’une date précise même si un vieillard désemparé au milieu d’une foule chargée par la police trouvera la force de s’écrier : « Mais, c’est l’année du Bicentenaire, tonnerre ! Il y a un pays à construire. »

Dans ce roman les héros sont deux frères, Lucien l’aîné et Ezéchiel dit le Petit, que leur mère Ernestine a élevé dans la droiture. Aujourd’hui, la paysanne aveugle est déconnectée de la marche du monde. Orgueilleuse, elle continue à croire à des valeurs, qui depuis belle lurette n’ont plus cours. Elle espère en vain des nouvelles de son fils cadet, un jeune homme autrefois si doux. Elle ignore que dans les quartiers louches de la capitale, il se fait appeler Little Joe et qu’il est devenu un voyou, toujours armé, drogué au crack, et à la solde d’un gouvernement qui utilise sa propension à vouloir se défouler de ses frustrations dans la violence et le sang. Little Joe hait les intellectuels, leurs « groupuscules débiles » coupés du peuple, leurs livres, leurs diplômes et leurs espérances vaines. Son pistolet, clame-t-il, constitue son projet de société. Il nargue son frère. Il méprise aussi sa mère sur laquelle il se vante de cracher. Lucien, lui, a fait des études en ville. Il vit chichement grâce à des leçons particulières données à Alfred, 14 ans, fils de bourgeois, ignare « à la gueule en Playstation », qui vit à l’heure états-unienne. Lucien n’est pas naïf, il a conscience de l’ampleur du chaos qui afflige son pays mais par honnêteté intellectuelle, il continue à se battre parce que « la fatalité est un luxe qu’il ne peut plus se permettre et que son humanité passe par cette prise de risque ». Et le risque est total. Les manifestants ne sont pas armés, les forces de l’ordre le sont jusqu’aux dents.

Deux frères, deux attitudes diamétralement opposées face aux événements. L’un a choisi de s’engouffrer dans la spirale d’une violence débridée et gratuite, l’autre part à la guerre sans bâton car de toute façon la bataille est perdue d’avance. Pour Lucien et Ezéchiel, c’est la même impuissance et au bout du chemin, tôt ou tard, la mort. A travers, l’histoire de ces deux frères, l’auteur nous parle d’Haïti, pays à la dérive, pays en perdition. Les valeurs humaines fondamentales sont piétinées : le respect dû à une mère aimante et digne, l’attention prêtée à autrui et le souci de l’intérêt général, l’amour fraternel… La famille haïtienne se délite, rongée de l’intérieur par des intérêts divergents et le sauve-qui-peut d’un peuple ne sachant plus à quelle logique de sauvegarde se vouer. Certains comme Little Joe ont choisi la violence, d’autres tentent de se faire oublier. C’est le cas de l’épicier pour qui le présent n’existe pas; seul compte le temps d’avant, celui de la convivialité défunte et d’un passé idéalisé car nous explique le narrateur, «personne sur cette terre ne peut avoir la force de subir deux défaites en même temps », une dans le passé et une autre dans le présent. Ceux qui tentent de faire front, comme Lucien, sont neutralisés par la haine d’autres compatriotes, souvent des proches.

Mais en filigrane, l’auteur Lyonel Trouillot nous fait comprendre que sous ses oripeaux sanglants, Haïti reste humaine. Ainsi Little Joe, jeune homme frustré, en colère, prévient Lucien que la manifestation qui se prépare finira dans un bain de sang. Mais le mal triomphe du bien, la machine à tuer s’emballe. Little Joe, désinhibé par le crack fait le coup de feu avec ses camarades chimères. « Il a vidé son chargeur et chaque balle a été une joie. Il n’a visé personne en particulier. Les cadavres ciblés, c’est l’affaire des policiers et des politiques. Lui n’a pas d’ennemis. » Il  tire dans la foule et tue son frère…

        Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

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