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BENOIT MANDELBROT, PERE DE LA GEOMETRIE FRACTALE

Par Philippe Pajot http://abonnes.lemonde.fr/
BENOIT MANDELBROT, PERE DE LA GEOMETRIE FRACTALE

Né en Pologne le 20 novembre 1924, le mathématicien Benoît Mandelbrot s'est éteint aux Etats-Unis le 14 octobre 2010. Pionnier de l'utilisation de l'informatique pour la visualisation et l'expérimentation des mathématiques, il est le premier à avoir mis en avant la notion d'objet fractal, qu'il a popularisée dans des livres. De quoi s'agit-il ? Tout simplement d'un objet qui est invariant par changement d'échelle : vous pouvez zoomer tant que vous voulez sur une figure fractale, elle aura toujours la même allure. Dans le texte qui suit, extrait d'un entretien recueilli en 2008 pour mon livre Parcours de mathématiciens (Editions du Cavalier bleu, 2011), Benoît Mandelbrot raconte comment il en est venu à s'intéresser à ces objets que l'on retrouve si souvent dans la nature.

Le pari d'IBM a été d'embaucher, en 1958, un électron libre tel que moi avec ses idées un peu iconoclastes. En tant qu'ingénieur, j'avais un travail pratique à réaliser dont je me débarrassais assez vite pour me consacrer à mes réflexions. J'étais très libre et le pari a payé car c'est durant les deux premières années à IBM que j'ai fait deux de mes découvertes les plus importantes, l'une en économie et l'autre en physique. Beaucoup plus tard, j'ai lié ces découvertes aux fractales, mais je n'avais pas encore identifié ce phénomène que l'on retrouve partout dans la nature.

L'économie n'est pas une discipline dans laquelle j'aurais pensé apporter une quelconque contribution en tant que chercheur. Mais, ayant travaillé sur la loi de Zipf durant ma thèse, je voyais que cette loi de distribution des mots dans un texte pouvait être considérée comme une version discrète d'une loi continue bien connue en économie, suivant laquelle environ 80 % des effets sont le produit de 20 % des causes. Cette "loi", bien qu'empirique, a été formalisée par la distribution mathématique de Pareto.

Je commençais à avoir épuisé le sujet lorsque je rendis visite à l'économiste Hendrik Houthakker, à Harvard, et découvris sur son tableau un diagramme que j'avais déjà rencontré dans l'étude de la distribution des revenus. En fait, me dit-il, ce diagramme montrait la variation des marchés boursiers. J'ai commencé par être fasciné par ce sujet et j'ai vite observé que la structure générale des courbes décrivant ces variations était semblable, quelle que soit la période d'observation : une semaine, six mois ou dix ans. Autrement dit, j'ai montré que ces courbes présentaient une invariance d'échelle. (...)

En physique, IBM était confronté à un problème pratique, à savoir le bruit sur les liaisons téléphoniques qui étaient en train d'être établies entre ordinateurs. J'ai montré que ce bruit avait une structure particulière. Pour le mettre en évidence, j'ai fait appel à une notion (introduite en 1918) que j'allais appeler plus tard la dimension fractale (...). Non seulement cette dimension était utile à la compréhension du bruit, mais elle s'appliquait aussi à la turbulence, ou à la répartition des amas de galaxies dans l'Univers. (...)

Après cela, je suis revenu sur des travaux anciens de Gaston Julia (1893-1978), qui avait été un de mes enseignants à Polytechnique, et de Pierre Fatou (1878-1929). Entre 1917 et 1919, ces deux mathématiciens français avaient produit les idées fondatrices concernant l'itération des fractions rationnelles. Ces résultats avaient été très remarqués à l'époque, mais personne n'était parvenu à dépasser ces textes fondateurs très arides.

Quand j'étais étudiant à Polytechnique, mon oncle mathématicien, pour qui ces théories de Julia et de Fatou étaient une marotte, me poussait sans cesse à reprendre leurs théories sur le plan des mathématiques pures. Pour ma part, je ne voyais pas à l'époque pourquoi elles l'excitaient autant. Mathématiquement, des ensembles issus des itérations sont extrêmement compliqués. C'est alors que je me suis dit : pourquoi ne pas mettre à profit l'outil informatique dont je disposais à IBM pour tenter de représenter les ensembles de Julia et de Fatou ?

Lorsque les dessins de ces ensembles de Julia et Fatou sont apparus pour la première fois sur mon écran d'ordinateur, j'ai été frappé, non seulement par leur insondable complexité, mais aussi par leur extraordinaire beauté. Ils me semblaient à la fois totalement étranges et familiers, comme si je les avais toujours connus. En continuant à jouer sur la représentation des itérations, j'ai conçu et construit d'autres ensembles, dont celui qui porte aujourd'hui mon nom. Mon idée n'était pas de démontrer des choses, mais de poser des questions, d'émettre des conjectures. Par exemple, j'ai conjecturé en 1982 que, pour la trajectoire aléatoire brownienne plane, la dimension fractale de la frontière était égale à 4/3, conjecture démontrée par Wendelin Werner [médaille Fields 2006] et ses collègues des années plus tard.

Aujourd'hui les fractales et leurs dérivés sont devenus un immense domaine des mathématiques, si vaste que je n'essaye même plus de suivre les thèses qui sortent chaque année sur le sujet. A près de 85 ans, je suis fier d'avoir pu contribuer à développer cette nouvelle science, que j'aime appeler la "science du rugueux".

  • Philippe Pajot 
     

Une nouvelle manière de voir le monde

La spongiosité d'un nuage, les ramifications d'un arbre, l'irrégularité d'un éclair et même les dessins ornant la queue d'un paon royal... La géométrie fractale décrit l'ensemble de ces phénomènes aussi sûrement qu'une sphère constitue une approximation de la forme de la Terre. Et de la même manière que l'observation de la Terre s'est révélée fort utile à la compréhension et la prédiction des éclipses par exemple, la théorie mathématique des fractales possède de nombreuses applications pratiques.
En géologie, elle est indispensable à l'étude du relief ; en volcanologie, elle est utilisée pour la prévision des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre ; en sciences humaines, ce sont les évolutions de la démographie qu'elle nous permet de mieux appréhender, tandis qu'en économie, elle offre la possibilité de prédire les krachs boursiers.
Figures irrégulières ou morcelées répondant à des règles de création déterministes, les fractales, ces paysages artificiels d'un incroyable réalisme, n'en finissent pas de nous fasciner !
No 9, 164 p., 9,99 €, en kiosques.

 

Post-scriptum: 
Benoît Mandelbrot, en mars 2007. CC / Rama

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