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AU BURKINA FASO, UNE ECOLE D’INGENIEURS CONTRE LA FUITE DES CERVEAUX

Par Morgane Le Cam (http://www.lemonde.fr/
AU BURKINA FASO, UNE ECOLE D’INGENIEURS CONTRE LA FUITE DES CERVEAUX

Seul organisme d’Afrique subsaharienne reconnu à l’international, 2iE forme les futurs acteurs d’une croissance verte qu’elle veut 100 % africaine.

Sous une hotte, une eau marron fermente dans un ballon. Le dos courbé et la pipette à la main, Christine Razanamahandry n’a d’yeux que pour ses bactéries. « Je cultive ces microbes pour tester leur capacité à dégrader le cyanure, explique la thésarde malgache sans lever la tête. J’espère que mes recherches pourront être utilisées dans des endroits contaminés, comme les sites d’orpaillage. »

La doctorante de 27 ans est venue de l’autre bout du continent pour mener ses recherches sur le cyanure. A Madagascar, comme ailleurs en Afrique subsaharienne, une seule école d’ingénieurs est reconnue par la Conférence des grandes écoles française : l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement 2iE.

L’établissement forme des ingénieurs spécialisés dans les domaines de l’énergie, du génie civil et hydraulique. Son implantation au Burkina Faso n’est pas anodine, car le pays se situe en bas du classement africain des pays développés.

Volonté partagée par 14 pays

C’est le résultat d’une volonté partagée par quatorze pays d’Afrique francophone à la fin des années 1960. Regroupés au sein de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM), ils décident de créer plusieurs écoles à vocation régionale dont l’enseignement entend répondre aux problèmes rencontrés dans les pays d’implantation des établissements.

A Ouagadougou, deux structures sont alors spécialisées dans le génie hydraulique et rural : l’Ecole d’ingénieurs de l’équipement rural (EIER) et l’Ecole des techniciens de l’hydraulique et de l’équipement rural (ETSHER). En 2001, elles s’allient et donnent naissance à 2iE cinq ans plus tard. Depuis, plus de 7 000 diplômés en sont sortis et 95 % travaillent sur le continent.

« Notre ambition première est d’être une alternative à la fuite des cerveaux. Nous savons que plus les Africains partent tôt en Europe, moins ils reviennent, assure Kouassi Kouamé, le directeur général par intérim. Etudier au Burkina Faso dans une formation comparable à ce qui se fait en Europe les pousse à rester sur le continent. »

Et, pour convaincre la matière grise qu’elle vise, 2iE a mis le paquet sur les infrastructures. Ses quartiers généraux sont établis sur deux campus s’étalant sur plus de 60 hectares. Le premier, dans le centre-ville, abrite un complexe scientifique accueillant chercheurs et doctorants, des bassins d’expérimentation ainsi que des salles de conférences et de classe. Murs de brique rouge, allées pavées et locaux bien entretenus : l’allure de l’école tranche avec celle de l’université publique qui lui fait face et dont les étudiants réclament en vain une amélioration des conditions de travail.

Fronde

Un vent de colère a pourtant aussi soufflé sur 2iE il y a trois ans. « Une partie du personnel n’était pas satisfaite de son salaire », glisse Kouassi Kouamé, qui a remplacé le fondateur de l’école, Paul Giniès, contraint à la démission suite à la grève. Le mouvement fut repris par les étudiants qui dénoncèrent une mauvaise gestion de l’administration. « C’était le désordre. Ils étaient mal organisés et leur priorité n’était pas les étudiants ou même 2iE en tant qu’école, mais l’image de 2iE comme entreprise », dénonce une ancienne élève.

La grève a entaché la réputation de l’établissement. Le nombre de dossiers de candidature reçus cette année reste élevé, 1 964 pour seulement 250 places en première année, selon l’administration. Mais il a sensiblement baissé comparé à l’année scolaire 2014-2015. Plus de 2 500 candidatures avaient été déposées. « Je suis convaincu que nous allons remonter la pente », pressent Kouassi Kouamé.

Depuis cette fronde, l’école assure avoir œuvré pour calmer les ardeurs des uns et des autres. Un nouveau directeur devrait entrer en fonction « rapidement » et les étudiants rencontrés se sont dits satisfaits par la formation proposée. « Les cours sont intéressants et les professeurs comme les élèves viennent de partout en Afrique, c’est passionnant. Il y a d’autres écoles d’ingénieurs à Ouagadougou, mais celle-là reste la plus populaire », estime Jean Gildas Tapsoba, étudiant en deuxième année, avant d’entrer en salle de cours.

Adaptation aux besoins des entreprises

Les étudiants doivent débourser une somme conséquente afin de bénéficier de l’enseignement de 2iE : 2 000 euros la première année. « Mais 40 % de nos étudiants sont boursiers », rétorque Kouassi Kouamé. Pour offrir ces bourses, l’école a opté pour un financement basé sur le partenariat public-privé. Bolloré Africa Logistics, Bank Of Africa, EDF, Total, Veolia, Sogea-Satom… Plus d’une cinquantaine d’entreprises sont partenaires et certaines siègent même au conseil d’administration avec un droit de regard sur l’élaboration des programmes. « Cela nous permet d’adapter nos formations aux besoins des entreprises et cela facilite l’insertion professionnelle des étudiants », ajoute le directeur intérimaire.

A une vingtaine de kilomètres du centre-ville, sur le campus de Kamboinsé, une poignée d’étudiants thésards entre dans le laboratoire « biomasse énergie et biocarburant ». Tous effectuent des recherches sur les énergies renouvelables en collaboration avec des industries ouest-africaines. « Elles sollicitent l’appui du laboratoire et des doctorants. S’ils trouvent une solution à leurs problèmes, généralement les entreprises les embauchent », assure Odilon Changotade, technicien chimiste au laboratoire.

En face du bâtiment aseptisé, un bloc grillagé, couvert de panneaux solaires, porte le sigle de l’Union européenne. « Climasol, climatisation solaire par absorption », lit-on sur la pancarte. « Nous accompagnons une dizaine de projets de l’Union européenne et de l’Union africaine », relate Sidibe Sayon, enseignant-chercheur responsable du laboratoire énergie. Les projets de recherche contribuent au financement des doctorants et permettent aussi aux chercheurs de parachever leur formation.

Cette stratégie, 2iE l’affiche fièrement en grosses lettres sur ses plaquettes : « 90 % des étudiants trouvent un emploi dans les six mois qui suivent l’obtention du diplôme ». Sur un continent où nombre d’élèves foncent tête baissée dans de longues études universitaires aux débouchés de plus en plus rares, la formation de 2iE, technique et adaptée aux besoins des entreprises, séduit.

« En Afrique, le marché du travail a changé. Il n’est plus capable d’absorber tous les étudiants, même sortis de formations techniques. Nous avons besoin de leaders entrepreneurs afin de booster la croissance du continent », préconise Abdoul-Wahab Annou, responsable de l’incubateur de 2iE. Pour participer à la création d’un développement purement africain, l’école incite ses étudiants à monter leur entreprise en Afrique en leur proposant un parcours spécifique. Selon l’administration, près d’un tiers des 7 000 diplômés a aujourd’hui créé leur structure.

Incubateur d’entreprises

Le campus abrite également depuis 2012 un incubateur chargé d’accompagner chaque année les deux ou trois meilleurs projets d’étudiants. Le plus emblématique ? Les chenilles prêtes à consommer de FasoPro. Incubée à 2iE depuis 2012, la jeune pousse a fait de la lutte contre la malnutrition – dont est atteinte plus de la moitié des enfants burkinabés – son cheval de bataille. Ses chenilles de karité et leurs 63 % de protéines commencent à être distribuées dans les boutiques de la capitale. Un succès « maison » que 2iE espère reproduire grâce à son fonctionnement hybride, à mi-chemin entre école et entreprise.

 

Post-scriptum: 
Deux étudiants de l’école d’ingénieurs 2iE, à Ouagadougou. CRÉDITS : MORGANE LE CAM

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