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A tous les reconduits

Par Ernest Pépin
A tous les reconduits

_ Fils des murailles
_ Nous avons transporté les bosses du désert
_ Jusqu’aux portes du refus
_ La terre sous nos pieds déroulait ses frontières
_ Hissait des barbelés
_ Et refusait nos mains de pèlerins
_ Les passeurs cassaient nos âmes
_ Nos corps marqués au fer du soleil
_ Nos langues sèches de barbares errants
_ Et froidement tétaient l’argent de nos exils

_ C’est l’heure d’une folie douce
_ Nos genoux ont balisé l’enfer
_ Notre faim a mangé la poussière
_ Et nos silences ont grimpé la tour de Babel
_ C’est l’heure d’une folie douce
_ Là-bas
_ La ville amarre la misère
_ Le visage de l’épouse allume une feuille morte
_ L’enfant qui naît enjambe l’avenir
_ Là-bas la mort embarque les jours
_ Et les nuits dévorent la chair des étoiles

_ Nous sommes d’un long voyage
_ Un voyage d’ancêtres au cœur maigre
_ Un voyage de sauterelles affamées
_ Un voyage de pays sous perfusion
_ Un voyage d’ombres sans corps
_ Nous sommes de ce voyage
_ Où les nuits font contrebande de chair
_ Où les jours ont honte de leur soleil
_ Où les hommes quémandent le droit de respirer
_ Nous sommes de ce voyage
_ Nos yeux chavirent comme des pirogues blessées
_ Nos mains dénouent le nombril des vents
_ Et nul arbre n’accueille l’ombre de nos rêves

_ Partir n’est pas partir
_ Quand les murs sont vivants
_ Partir n’est pas partir
_ Quand l’oiseau est sans nid
_ Partir n’est pas partir
_ Quand la terre se cloisonne
_ Dans la peur des peuples

_ Nos pas effraient la tour Eiffel
_ Les capitales repues du sel des colonies
_ Les usines à chômage
_ Les bourreaux d’arc-en-ciel
_ Les bourses mondialisées
_ Et les marchands de peau
_ Nos pas dérangent la marche du monde
_ Nos pas vont en fraude supplier l’horizon
_ Ils ne savent pas ouvrir les monnaies de l’accueil
_ Et ils s’en retournent humiliés
_ D’avoir à retourner
_ Au seuil de nous-mêmes

_ Est-ce la peau qui refoule
_ Est-ce l’homme qui dit non
_ Nous sommes les arpenteurs du refus
_ Les déserteurs sans papiers
_ Les capitales ont tissé nos douleurs
_ Et leurs lumières sont des flocons de sang
_ Des feux rouges sans paupières
_ Des enseignes interdites

_ Insectes saisonniers
_ Nous jouons
_ A recoudre l’espace
_ Derrière l’incendie
_ Nous jouons des jeux de prisonniers
_ Le monde entier est notre prison
_ Et nous jouons nos vies
_ Au casino des riches

_ Voici venue la saison des fleuves vides
_ Voici venue la saison des barbelés
_ Voici venue la saison des marées humaines
_ Voici venue la saison des esclaves volontaires
_ Même le village a mangé son midi
_ Et nos villes drapées dans la poussière
_ Sortent des seins maigres comme des aiguilles

_ Ô pays !

_ Nous avions rendez-vous avec les pays du rêve
_ Avec une autre géographie
_ Avec les grandes puissances de l’or et de l’euro
_ Leurs villes sont des vallées de miel
_ Des cornes d’abondance
_ Et leur pain quotidien récite sa prière
_ A l’ombre des cathédrales

_ Nous n’avons rien à déclarer sinon la faim
_ la faim n’a pas de passeport
_ Nous n’avons rien à déclarer sinon la vie
_ la vie n’est pas une marchandise
_ Nous n’avons rien à déclarer sinon l’humanité
_ L’humanité n’est pas une nationalité
_ La misère ne passe pas
_ Passager clandestin
_ Elle retourne au pays

_ Nos sandales ont usé les nuits
_ Nos pieds nus ont écorché les dunes
_ La rosée pleurait une terre inhumaine
_ Et nos mains mendiaient une autre main
_ Les drapeaux ont peur de leurs promesses
_ Ils se sont enroulés comme des scolopendres
_ Notre soif est retournée au feu de notre gorge
_ Et la vie nous a tourné son dos

_ Tout homme qui s’en va défie l’entour
_ Dessouche une nation
_ Et lézarde une étoile
_ Et dans ses yeux grésillent une autre vie
_ Son feuillage est d’outre-mer
_ Quand tout au loin luit son désastre
_ Il fait troupeau vers les quatre saisons
_ Il fait tombeau aux bornages

_ O nègres marrons !

_ Ce sont forêts de béton et d’arbres chauves
_ Souviens-toi de l’enfant mort d’atterrir
_ En un seul bloc de froidure
_ Dessous le ventre de l’avion
_ Souviens-toi de sa mort d’oiseau gelé
_ Souviens-toi

_ Et toi reconduit
_ Econduit
_ Déviré
_ Jeté par-dessus bord
_ Taureau d’herbe sèche
_ Regarde toi passer sur ta terre
_ Les yeux baissés
_ Et sur la joue le crachat des nations

_ Ils ont faim du soleil
_ Mais le soleil a faim aussi
_ (Parole de poète)
_ Demande-toi où est ton lieu
_ Ton seul lieu d’accueil
_ Tu inventeras ta terre

_ Ernest Pépin
_ Lamentin le 29 octobre 2006

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