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DE CASE À CHINE À LAKAY LÉ HO HIO HEN

A PROPOS DU DERNIER LABEUR ETHNO-LITTERAIRE DE RALPH YANG-TING

par Jean S. Sahaï
A PROPOS DU DERNIER LABEUR ETHNO-LITTERAIRE DE RALPH YANG-TING

{{ {«…la seule attitude digne consiste à refuser la condition du maître comme celle du serviteur, à n’accepter qu’une servitude : l’écriture.»} }}

Ces propos sont du Sainte-Lucien Derek Walcot, dans {Café Martinique}. Et c’est ainsi que, bon an bel an, Confiant enfile sur sa brochette de titres littéraires les ethnies fondues dans la créolité de son île natale, de sa culture encore trop vécue comme un simple fonds franç’africain.

Suite donc du décorticage ethnique de la foison martiniquaise. Les Chinois sont à l’honneur dans son {Case à Chine}, qui vient de paraître au Mercvre de France.

Avec un en-plus cette fois, un agouba de taille : Confiant met en lumière un oligo-élément présent à l’état natif dans son propre tréfonds.

En publiant {Case à Chine}, le dernier sorti de ses opus en français sur la multi-ethnicité antillaise, Confiant altère et atténue la notoriété de chaben aigri qui attirait sur sa tête les {«chaben a pa an ras»} et les {«chaben, sé nèg»} !

Car, tenez-vous bien, celui que souvent on prit en France pour un Arabe - nos chabens et chabinotes passent tous par cette provocation du destin – ce Confiant c’est en fait un Chapé-Chinois.

Plus précisément un Yang-Ting, du côté de feu sa grand-mère.

Et il y tient ! En témoigne le portrait auréolé qu’il consacre à son notable ancêtre Yung-Ming. Arrivé comme interprète sur le bateau, ce médecin devint le chef de file de sa communauté sur l’île. Et le voilà promu personnage central d’un lointain descendant, {Case à Chine}.

Votre cordial Bonjour M. Raphaël Yang-Ting ! ne donnera pas la honte ethniciste à Confiant. C’est plutôt flatté qu’il sera flatté. Et même, comme nous disons, et après? La Chine n'est-elle pas le plus grand peuple au monde? N'y a-t-il pas de quoi être jaloux de son ADN et fier de ses gènes?

La fulgurance capitaliste de l’ancien Empire du Milieu n'est un secret que pour les mal-apprenants de nos collèges. Pauvres petiots, à qui on laisse encore croire que l'anglais sera éternellement la {lingua franca} planétaire, et les USA l’éternel dominateur du monde. Nos écoliers ignorent dans leur majorité que des Chinois sont arrivés aux Antilles dès 1853.

Un certain Ed. du Hailly, cité par l’anthropologue Gerry L’Etang, évoque la présence de ces

{« enfants de Confucius, aux yeux bridés et narquois, accompagnés de femmes aux pieds mutilés, mais fières des grands peignes dorés et des longues épingles d'argent qui ornent les interminables tresses de leur chevelure. »}

S’ils ont essaimé partout dans le monde et jusques aux Grandes et Petites Antilles, dans la Caraïbe plus qu’ailleurs ils se sont désenchinés, adoptant le riz-pois rouge des anciens esclaves.

Varuna Sing, chroniqueur originaire de Guyana installé à New-York, note :

{« Reminds me of the Chinese who went to the Dominican Republic… few remain pure Chinese, since they have become almost totally integrated and, where Chinese usually retain their identity through their cuisine,{{ in the Dominican Republic they appear to have even abandoned their cuisine altogether for beans and rice ».} }}

Nonobstant. Réalisant qu’on les avait amenés pour s'esquinter dans les batey du XIXè siècle, les coolies chinois et leurs cousins Annamites, arrivés après l’aboli’vage en Martinique et Guadeloupe ne se la laissèrent pas conter douce.

Par opposition aux autres engagés - Congos, heureux de se retrouver parmi d’autres Africains, ou Indiens, êtres travailleurs, mais qu’on dit dociles… - les Chinois réagissent avec véhémence. Ils refusent d’être des corvéables à merci comme, tenez, ces koulis malmenés qu’on parqua à l’infecte Pointe Simon, les chargeant des ordures et tinettes foyalaises…

De la casse, du feu, il y en eût. Les engagés aux yeux bridés se rebellèrent pour en découdre avec les maîtres. Casse humaine aussi, car ils assassinèrent. Et on cessa de les recruter.

D’après les notes d’époque laissées par Renée Dormoy, mère d’Alexis Léger, le futur St John Perse, et visibles sur le site web de l'habitation Dormoy de Bois-Debout, Capesterre de Guadeloupe, ces asiatiques, qui devaient appartenir à une couche particulière, peu recommandable de leur société d’origine, se montrèrent rien moins qu’irascibles :

{« A peine installés sur les propriétés, tous ces bandits s'enfuirent dans les bois du Carbet où ils se cachaient et vivaient de vols et de rapines exécutés chaque nuit.

Non seulement ils dévalisaient les poulaillers, les bergeries, les porcheries, les lapinières, les jardins potagers et les champs de "vivres" mais ils s'introduisaient dans les maisons de la façon suivante : par les persiennes toujours entrouvertes à cause de la chaleur ou par le trou des serrures ils insufflaient des vapeurs d'opium et lorsque tout le monde était bien lourdement endormi, ils pénétraient et sans hâte s'emparaient de tout ce qui leur plaisait…

Fortement ligotés ils s'étaient accroupis sous la galerie, roulant des yeux terribles, grinçant des dents et effrayants à voir.

Le chef avait aux mains des ongles comme des griffes d'une longueur démesurée, ce qui nous avait particulièrement impressionnés, nous les enfants qui avions hâte de les voir s'éloigner.

Peu après, ils furent tous rapatriés et tout le pays bénit les Habitants de la Capesterre qui les en avaient débarrassés… »}

Gerry L’Etang, universitaire martiniquais déjà cité, note par ailleurs que

{Les Chinois se révélèrent totalement rétifs à l'ordre colonial. La moitié d'entre eux comparurent à un titre ou à un autre devant les tribunaux.}

{Case à Chine} de Rahaël Yang-Ting trace en multiples circonvolutions les contours de l'épopée de ces hommes arrivés en trois traversées, et de la minorité d’entre eux qui s’ancra en s’accommodant. Certains prirent pignon sur rue dans la capitale martiniquaise. Du brassage avec la noire naquirent des êtres dits bâtards, des donzelles pré-chabines dont la fine peau se départissait au fil des copulations de sa délicate complexion de fine porcelaine, pour réapparaître incognito au rythme adéènique des lois de Mandel.

Ainsi voit-on à Terre-de-Bas aux Saintes, là où les Annamites ont laissé une poterie et leur célèbre Salako - chapeau de bambou aujourd’hui toilé de madras - des noirs aux yeux bridés, et même, fruit d’une triade de feu, de très rares yeux verts.

La photo choisie pour la couverture de {Case à Chine} illustre la géométrique variation du phénotype qui s’emmulâtre et s’ennégrit sur trois générations. Phénomène chéri de Confiant qui n’a cesse d’y relever une des forces de la thèse des créolistes.

Riant sous cape, arrivé au chapitre sur la compassion bouddhiste, le lecteur taquin demandera peut-être au romancier-écologiste si l’impétuosité dévastatrice de ses ancêtres s’est bien évaporée dans le méli-mélo de l’histoire !

S’immisçant dans la petite bourgeoisie des boutiquiers pays puis s'intégrant, les congénères de Confiant finissent donc par se fondre en ce redondant lieu mythique, « l’en-ville » des mousquetaires créolistes, et au grand ravissement de l’auteur, par totalement se martiniquiser. D’aucuns finissent par s’y insérer avec succès, devenant ces actuels marquis nantis aux juteuses sphères du commerce local. Juste un cran en l’en-bas du blanc-pays, faisant en sus de lui commerce nourri et nourricier avec la Chine moderne.

{Case à Chine} sort du pressoir parisien alors qu’une nouvelle vague plus récente de Chinois créateurs de bicoques et bazars se taille aussi, par un ardu travail, une niche prospère dans « l’aux-îles ». En tirant d’affaire le pauvre, le prix abordable de leur pacotille (mais pas que) défie les magasins classiques. « Sur place ou à emporter », les plats fétiches ont largement pris le relais d’une part du {fouyapen-lanmorié-luil} pour garnir les estomacs de midi des employés du fameux en-ville.

Discrètement mais décidés, leurs enfants nés ou élevés aux îles s'écolent, s’accolent, s'acclimatent et se francisent. Mais contrairement au mal d’éloignement et d’oubli forcé qui frappa les nègres du Dahomay et les coolies du Coromandel ou de Kollkata, la langue d'origine, les traditions et la cohésion du nouveau vivier chinois ne s’émoussent pas. Pas plus que ne semble près d’être abandonnée au profit du blaff au roucou la cuisine des provinces de l’Empire ex-maoïste - celle qu’on mange en famille, et disons-le pour avoir été invité à la partager, différente de celle déclinée pour la clientèle.

La distance vaincue moyennant l’intense communication téléphonique et la fréquence des liaisons aériennes, l’attachement à la patrie en pleine expansion et aux grandes communautés de la diaspora chinoise d’Europe, d’Amérique et de Guyane, se maintient.

Ces nouveaux Chinois deviendront-ils un jour créoles, au sens où le prescrivent les chantres de maintenance?

Peut-être davantage en Guyane, où certains parlent déjà avec dextérité le {mo-to fika} ou même le {map kenbé}. Mais le chaland aura remarqué qu'à Pointe-à-Pitre ou Jarry ces durs à la tâche ne s'embarrassent guère pour le moment de salamalecs avec le client pays qui vient récupérer sa barquette de midi, ou faire c’y-sit le temps d’un crevettes sautées-riz-coca-glace.

La barrière de la langue, les préjugés délétères de trop de nos gens peu friands d’ouverture à l’autre, y sont hélas pour quelque chose !

Cette immigration déteindra-t-elle sur la culture antillaise?

Certes, comme le note avec humour Sir Jude de RCI Guadeloupe, {« ils nous changent timidement de la cuisine au beurre blanc à celle du riz vapeur ».} Verrons-nous pour autant une véritable mutation marquée d'Orient extrême, dans notre façon de nous habiller, de décorer la maison, de manger, boire et dépenser, de nous soigner, de danser, de penser?..

Cela supposerait que d'autres Chinois parviennent jusqu’aux îles…
Pas que des rouleurs de printemps et laqueurs de cane. Des lettrés, des calligraphes, des taoïstes, des linguistes et traducteurs, des enseignants, des danseurs, des acrobates, des orchestres, des artistes de cirque… De véritables ceintures noires de la cuisine impériale aussi !

On n’en est pas là. Lao-Tseu n'exerce pas de sitting idéologique rue Frébault ou sur la Savane. Les caisses et machines à carte électronique ont succédé aux bouliers mathématiques des commerçants venus d’Asie.

Nos grand-mères disaient avec optimisme que « ça va viendre ».
Savez-vous qu’il vient justement de se créer une association culturelle dite JMC pour dispenser des cours de langue et animer des rencontres franco-chinoises dans les Antilles et en Guyane?

La perméabilité culturelle joue aussi par le biais de nos jeunes. Les motifs dragonesques s’étalent sur des chemises portées large, la peau s'orne de tatouages à la Jackie Chan. Des idéogrammes très voyants, quoique incompréhensibles - que fait l’Académie pour rapprocher les peuples? - s'affichent sur les sweats, les shorts, T-shirts, djin et débardeurs estampillés.

La frontière sino-créole serait-elle aux portes du XIII° arrondissement parisien? Mais combien de passages de nous autres dans l’en-ville chinois de la Porte Choisy pour se restaurer et ramener petits cadeaux,, au lieu aboyer qu'ils ne {mangent pas chien}?

Guère donc à l’horizon de melting pot au-feu, de soupe à Congo caramélisée, de jambon de Noël laqué, d’ignames pakala vapeur, de colombo et ses galettes de riz, ou de bébélé dégusté ek deux tites baguettes...

Sir Jude de nous faire rêver :

{« Assis en lotus et longue tresse sur ma natte, je regarderai peut-être un jour le temps passer, long Yang Se Kiang tranquille jusqu'à la Baie-Mao, savourant un grand moment de ping-pong télé et son bucket d’impériaux pâtés.

Et, restant de tradition créole vintage oblige, sirotant un sino-bol wouj grena avec… »}

Pour honorer la courtoisie d'Asie, rendre hommage aux ancêtres, la confrérie des Ho Hio Hen fera-t-elle l’honneur créole d'une cérémonie de signatures à {Case à Chine} et son apologiste?

Un événement à la mesure de la montée en puissance commerciale des sino-martimarchés et de l’imaginaire créole du peuple débridé…

Cocktail pour les {glitterati, les glamourous Martinican Creoles}… Pour les gens bien qui achètent banco la signature, se promettant de lire l’ouvrage une fois venue la retraite…

Pour les dames d’ascendance semi-Congo jupées d’iguane des Saintes, de crêpe noir de Chine, ceinturé de madras en popeline d’Alsace, talons aiguilles métallisés, flanquées de messieurs comme il faut, bureaucrates trapus en lavallière à l’effigie de feu Fanon, blazer bleu marine à blason et manchettes de l’en-ville… Pour les amis politiques non encore tombés en disgrâce du fait de quelque impondérable bévue...

Au buffet, Shop-Suey et ce qui s'ensuit :

Riz des cantons à épandage de Guyane, sauté à l’huile bonda Man-Jak.

Travers de sanglier d’Amazonie, laqué au sucre du Galion.

Nid d’hirondelles du Diamant, au velouté d’hibiscus de Sainte-Lucie.

Wok de légumes-vapeur croquants d’en-Vert Pré, sa sauce Paraquat bio.

Vol-au-vent de champignon djondjon, son coulis de gingembre frais de Dominique.

Sauce-pois des Gonaïves, sur son lit de bok-choy Hmong.

Pòyòs mûris de l’en-ombre du Lorrain, flambés au Crassous de Médeuil.

Thé Yunnan des hauteurs de Saint-Claude, pour la ligne et les triglycérides de ces Messieurs-Dames au bel coup fourchette.

Service porcelaine Limoges d’usine décentralisée à Shangaï, repose-baguettes en jade vert…

{{- Et l’année prochaine, on?}}

demanderez-vous au prolifique Confiant au sortir de l’an vieux.

Sans doute un méchoui belles-lettres dans l’en-rue piétonne du moderne en-ville, pour le lancer d’un pavé XXL sur les Syro-chabens.

Mais trêve de délire. Un dernier Walcot pour l’en-route ?

Voici :

{« L’art antillais, c’est la restauration de nos histoires fracassées, de nos esquilles de vocabulaire, et l’archipel devient la métaphore de ces morceaux épars qui, ayant un jour rompu leurs amarres, ont dérivé loin de leur continent d’origine… »}

{{Jean S. Sahaï.}}

………

{{NOTES :}}

Les citations traduites de Derek Walcot sont prises sur le site Mondes Francophones : [ICI->http://tinyurl.com/2s5dfz]

Le site de la famille Dormoy, les témoignages d’époque de Renée Dormoy : [ICI->http://www.dormoy.com/]

L’article de Gerry L’Etang : « De l’héritage culturel congo, indien et chinois à la Martinique » est [ICI->http://www.potomitan.info/travaux/heritage.php]

Site du cent-cinquantenaire de l’arrivée des Chinois en Guyana : [ICI->http://www.sdnp.org.gy/chinese/]

Le site de JMC, association culturelle chinoise aux Antilles-Guyane est [ICI->http://tinyurl.com/32bvao ]

Site du bicentenaire de l’arrivée des Chinois à Trinidad & Tobago, avec photos, vidéos, chinese steel-pan… [ICI->http://www.chinesearrivaltt.org/]

Site Caribbean Chinese Cuisine : cuisine chinoise caribéenne : [ICI->http://en.wikipedia.org/wiki/Caribbean_Chinese_cuisine]

L’ouvrage d’Andrew Wilson, chez Markus Wiener : [Chinese in the Caribbean->http://tinyurl.com/ywmns7]

{{IMAGES :}}

1. Fête du Nouvel An Chinois. Wellington, New Zealand. Photo Karim Sahaï. ([Source->http://cqoj.typepad.com/chest/2005/05/tolerance_selon.html])

2, 3. Travailleurs chinois immigrés en Guadeloupe au XIXè siècle, d’après une photo d’époque par M. Lamoisse.
([Source->http://cqoj.typepad.com/chest/2005/05/tolerance_selon.html])

{{Réaction de Raphael Confiant :}}

{ {{Jean,

Ton texte est un sacré morceau de bravoure et de style ! Je t'en remercie...

Lonnè é respé.

Afarel}} }

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