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A propos de l'incendie d'une voiture de police à Viry-Châtillon

Karl PAOLO
A propos de l'incendie d'une voiture de police à Viry-Châtillon

Depuis lundi sur les médias locaux, sont évoqués la condamnation de 5 jeunes à des peines de 6 à 18 ans de réclusion et l’acquittement de 8 autres accusés dans l’affaire de l’incendie d’une voiture de police, en 2016, et des policiers grièvement brulés.

A cette occasion, une manifestation de policier a été organisée devant le palais de Justice

Viry-Châtillon: le scandale de l’enquête policière et le secrétaire départemental de SGP Police FO s’est exprimé en radio, pour dénoncer le laxisme de la Justice.

 

C’est une opinion qui pourtant n’est pas corroborée par des faits puisque depuis plus de 10 ans, la durée des condamnations s’accroit, mais passons.

Ce qui est le plus étonnant, c’est que les journalistes qui relatent les points de vue des policiers sont TOTALEMENT MUETS sur la manière dont l’enquête a été menée par les services de police et sur falsifications de procès-verbaux auxquelles elle a donné lieu !

 

Aussi, il m’a paru opportun de proposer cet article de Pascale PASCARIELLO publié dans MEDIAPART le 20 avril.

 

Alors que le verdict prononcé en appel par la cour d’assises de Paris, le 18 avril, a suscité des réactions outragées, Mediapart révèle qu’en garde à vue, les policiers ont tronqué des pans entiers des propos de prévenus et ont fait pression pour que soient mis en cause des jeunes du quartier.

 

Le scandale n’est pas dans les acquittements prononcés mais dans la façon dont l’enquête a été menée.

Alors que des policiers et des élus ont défilé mardi dans la rue ou dans les médias pour s’offusquer du verdict prononcé en appel dans l’affaire des policiers grièvement brûlés en 2016 à Viry-Châtillon (Essonne), qui a donné lieu à cinq condamnations et huit acquittements, Mediapart a eu accès aux enregistrements des auditions de deux prévenus, Foued, 22 ans, et Dylan, 25 ans, qui prouvent que les enquêteurs ont dissimulé des éléments les disculpant. Le premier avait été condamné en première instance et a passé quatre ans en détention. Pour rien.

Foued*, une fois acquitté et après avoir découvert ces manquements, a souhaité transmettre à Mediapart ces éléments, qui s’inscrivent dans une longue série d’affaires pointant de possibles faux policiers. Alors qu’il vient de passer quatre ans et trois mois en prison, il revient pour la première fois sur ce « cauchemar » : « Ils ne cherchaient pas les coupables mais des coupables. »

Dès le départ, l’émotion et la tension ont été immenses dans ce dossier. Le 8 octobre 2016, en patrouille à la Grande-Borne, à Viry-Châtillon, deux véhicules de police sont en effet la cible d’une vingtaine de jeunes, cagoulés.

Touchés par un cocktail Molotov, deux agents sont grièvement brûlés. La gravité des faits ne fait pas débat. Contrairement aux méthodes d’investigation qui ont été utilisées pour trouver des coupables.

On le sait car les auditions en garde à vue ont été filmées, comme le prévoit la loi pour des faits de nature criminelle et s’agissant pour certains prévenus de mineursC’est ce visionnage qui a permis de révéler que leur retranscription par les officiers de police judiciaire dans les procès-verbaux était tronquée.

N’y figurent pas les constantes et multiples protestations d’innocence des prévenus, leurs explications justifiant leur emploi du temps, certains échanges téléphoniques ou encore la mise hors de cause catégorique d’autres prévenus.

Nulle trace non plus de certaines questions des enquêteurs – contrairement aux obligations prévues par l’article 429 du code de procédure pénale – ni de leurs méthodes d’interrogatoire, en particulier les pressions exercées quand ce ne sont pas des injures ou des propos à connotation raciste.

Ces auditions montrent les impasses des investigations et l’acharnement des officiers de police judiciaire à trouver des coupables malgré, dans certains cas, l’absence de preuves. Mais à quel prix ?

Foued a été condamné à dix-huit ans de prison, en première instance, en 2019, pour tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l’autorité publique. De son procès-verbal d’audition, d’une quinzaine de pages, il ressort qu’il « ne se rappelle plus » avoir participé aux faits.

En première instance, la cour justifie la condamnation ainsi : Foued a « implicitement admis de façon très ambiguë avoir pu participer aux faits sans s’en souvenir précisément lors de son ultime audition de garde à vue alors qu’il était assisté d’un avocat ».

Or le visionnage des enregistrements des dix heures d’interrogatoires, et leur retranscription, sur plus de deux cents pages – établie lors du procès en appel – fait apparaître qu’il ne cesse de clamer, à plus de cent reprises, son innocence, niant continuellement les faits face à des enquêteurs qui le pressent d’avouer.

Au cours d’une autre audition, un autre prévenu le disculpe formellement. Mais cet élément aussi disparaît du procès-verbal dressé par les policiers.

Face à ces éléments, la cour d’assises de Paris vient donc de prononcer son acquittement. Les « éléments de preuves rassemblés à son encontre apparaissent insuffisants » et le visionnage de son audition, contrairement aux comptes rendus qui en ont été établis par les enquêteurs, démontrent que ses « déclarations ambiguës ne peuvent être considérées comme une reconnaissance des faits », précise la cour dans ses motivations.

Les avocates de Foued et Dylan, Yaël Scemama, Michel et Élias Stansal et Sarah Mauger-Poliak, s’offusquent. « Il s’agit tout simplement de procès-verbaux tronqués, commente Yaël Scemama. Ne sont gardées que quelques réponses qui, sans explication, peuvent être interprétées comme des éléments à charge. Alors que Foued répète plus de cent fois qu’il n’a pas participé aux violences, qu’il ne connaît pas les auteurs, il ressort du PV dressé qu’il ne se rappelle pas y avoir participé ! »

Le 8 octobre 2016, lorsque les policiers sont agressés, Foued est en famille à son domicile, puis passe à proximité des faits , avant de récupérer son neveu de dix ans. Le jeune homme se souvient de l’accident en quad qu’il a eu avec son neveu et pour lequel ils ont été transportés aux urgences par les pompiers, ce qui lui vaut alors un coude plâtré. Il s’égare dans les horaires, pensant avoir été blessé en début de journée. « Je me suis trompé, je suis désolé », dit-il aux enquêteurs. Mais ils ne l’entendent pas de la sorte.

À partir de là, le jeune homme est assailli par les enquêteurs et cela dure dix heures. « Tu es un con », « Tu es un pauvre gars. T’assumes même pas en tant que bonhomme quoi. »

Foued interpelle alors l’enquêteur et lui rappelle qu’il l’a giflé. « Et même si je t’ai giflé qu’est-ce que ça peut faire, je ne parle pas de ça. » L’échange ne figure pas dans le procès-verbal.

Durant les dix heures d’audition, les policiers harcèlent littéralement Foued en lui demandant de donner des noms, en l’accusant d’avoir participé aux violences. Le jeune homme s’effondre régulièrement en pleurs et continue de marteler son innocence. Au troisième jour de garde à vue, le 19 janvier 2017, il craque. 

« Tu n’iras pas en prison si tu réponds correctement à mes questions »

Il faut dire que les policiers sont aidés par… son avocat, commis d’office. Celui-ci tente de convaincre Foued qu’il « y était »« Je n’y étais pas »« dans ma tête, je suis persuadé que je n’ai pas fait l’attaque », répète épuisé le jeune homme.

L’avocat explique alors à Foued qu’il est peut-être victime d’un « black-out ». Interpellé, le jeune homme ne saisit pas la teneur des propos de son conseil. L’avocat lui donne alors l’exemple d’un « de [ses] clients qui a poignardé quelqu’un. Il l’a poignardé et il n’a pu l’expliquer. Sauf qu’il ne se souvenait de rien ».

Choqué, Foued se prend la tête dans les mains durant une dizaine de secondes : « Mon Dieu […] comment il vient ce phénomène en fait ? » Quelques minutes plus tard, à la question « As-tu participé à cette agression, tu ne t’en souviens plus », Foued répond : « Je ne m’en souviens pas une seconde si je l’ai faite ou pas. »

Ces doutes de Foued sont retenus dans le procès-verbal qui, en revanche, ne mentionne ni les exemples de l’avocat pour l’en convaincre ni les déclarations de Foued qui suivent : « Je ne m’en souviens pas. Je vais être fou. Il reste une boule en moi. Je ne sais pas c’est quoi. Dans ma tête, je ne l’ai pas fait. Si je dis que je l’ai fait, si je vous le dis, la boule va rester parce que dans ma tête je ne l’ai pas fait. »

Foued explique que ces trois jours de garde à vue l’ont fait douter à 95 % . Son avocat se tourne alors vers les policiers, leur disant : « À vous de gratter les 5 % qui restent. »

L’avocate de Foued qu’il prendra par la suite, Yaël Scemama, rappelle qu’il s’agit d’une affaire « dans laquelle les plus hautes autorités de l’État sont intervenues au moment des faits, pour demander des sanctions exemplaires contre les coupables. Après quatre ans et demi de procédure, il s’en est fallu de peu pour qu’un innocent soit définitivement condamné. Faut-il rappeler que la présomption d’innocence est la clé de voûte de notre système et s’applique à tous ? »

L’avocate déplore les « réactions, voire les récupérations politiques et syndicales aux acquittements prononcés dans une affaire dont tout est ignoré sur le fond. Un innocent est un innocent, quelles que soient la gravité objective des faits, la personne ou la qualité de la victime ».

Même constat pour Sarah Mauger-Poliak, qui n’a pas eu accès automatiquement aux enregistrements vidéo car « ils ne peuvent être consultés au cours de l’instruction qu’en cas de contestation des procès-verbaux », déplore l’avocate. « Lorsque j’ai pu voir les enregistrements des auditions de Dylan, j’ai été effrayée. De nombreuses explications de Dylan sur des échanges de SMS, sur son emploi du temps ou ses protestations d’innocence ont disparu des procès-verbaux qui ont été tronqués. » 

Le jour des faits, Dylan*, 21 ans, se rend dans son quartier pour enregistrer un pari sportif. Aux alentours de 14 h 55, lorsque les policiers sont pris pour cible, et cela, en l’espace de quelques secondes, il n’est pas loin du lieu des violences. Il connaît par ailleurs les jeunes suspectés, qui feraient partie d’une bande, surnommée la S, du nom de la rue, la Serpente, dans laquelle ils ont l’habitude de se retrouver. 

À plusieurs reprises, l’officier de police judiciaire conduit étrangement l’interrogatoire. Il propose au jeune homme de « faire un marché » : « Tu n’iras pas en prison si tu réponds correctement à mes questions. » « Correctement » ? L’officier développe sa pensée : « Nous, on prouve et après c’est à toi de prouver ta bonne foi et c’est en disant “oui, en effet, il y a untel, untel. Voilà”. » Là encore, aucune trace de ce « marché », dans les procès-verbaux. 

Épuisé, souvent en larmes, Dylan ne cesse d’affirmer qu’il est « en dehors de cette histoire », qu’il ne sait rien de l’affaire qui se préparait contre les policiers et ne connaît pas les coupables. 

Lors d’une pause, au cours d’un interrogatoire, l’un des enquêteurs, pensant la caméra éteinte alors qu’elle tourne encore, avoue : « Je reste convaincu que, lui, il n’a pas participé. » Son collègue partage sa conviction. Mais prône de ne pas en tenir compte : « Faut le rattacher au truc [à la procédure]. » Dylan passera ainsi dix-huit mois en prison dans l’attente d’être jugé et acquitté lors du premier procès en 2019, puis définitivement en appel. 

Les policiers n’ont pas non plus fait état du soulagement de Dylan lorsque les enquêteurs lui apprennent que son téléphone a été borné. « Vous avez vu que je n’étais pas là. […] Si c’est plus précis, vous allez voir que je ne suis pas dedans », répète-t-il aux enquêteurs. Or, le bornage détermine une zone et non un point précis. « Le bornage, il n’est pas précis. Donc ça, c’est un point qui joue en ta défaveur. »

Non sans ironie, le policier conclut : « Parfois, c’est le coup du sort. On est au mauvais endroit au mauvais moment, ça arrive à tout le monde. » Cet échange a également disparu du procès-verbal. Au bout du compte, Dylan est présenté comme appartenant à la bande « S », et susceptible d’avoir participé et a minima d’avoir été informé de la préparation de l’attaque contre les policiers. 

Son avocate Sarah Mauger-Poliak s’interroge sur ce qui a « pu mener à un scandale judiciaire : envoyer pendant des années des jeunes la plupart sans casier judiciaire et alors qu’ils n’avaient rien contre eux. Les faux en écriture publique sont un premier élément de compréhension et non des moindres. Falsifier une preuve c’est déguiser une vérité et tromper celui qui l’apprécie ».

L’avocate souhaite que de nouvelles investigations soient faites aujourd’hui « pour comprendre la mesure du scandale judiciaire : les policiers ont-ils sciemment pris le risque de laisser en liberté certains coupables et d’envoyer en détention des personnes qu’ils savaient innocentes ? »

 

Comme le révélait Le Parisien, l’avocat d’un des prévenus, Frédérick Petipermon a, dès la deuxième semaine du procès, déposé deux plaintes visant les enquêteurs pour faux et usage de faux auprès du parquet d’Évry-Courcouronnes.

Pour lui aussi, l’élément déclencheur a été le visionnage des vidéos de l’audition de l’un des témoins centraux de l’enquête, dont le résultat tient sur une trentaine de pages de procès-verbal alors que la retranscription par voie d’huissier fait plus de 150 pages. Les procès-verbaux mentionnent que le jeune homme auditionné fournit une liste de 21 suspects. Dans les enregistrements, nulle trace de cette liste. 

Par ailleurs, ainsi que le soulève Frédérick Petitpermon dans la plainte que Mediapart a pu consulter, les procès-verbaux ne mentionnent pas les « pressions et chantages exercés sur ce témoin pour qu’il dénonce les auteurs des faits du 8 octobre 2016, des flatteries pour l’encourager à faire des révélations. Tout cela enlève au témoignage toute spontanéité, ce qui a une incidence sur la valeur probatoire de son témoignage ».

Lors du procès en appel, ce témoin a d’ailleurs expliqué avoir subi des pressions de la part des policiers qui sont allés jusqu’à organiser des rencontres avec sa famille dans un hôtel parisien pour leur garantir leur protection en échange d’aveux.

Même l’un des avocats des policiers, Laurent-Franck Lienard, conteste auprès de Mediapart, « la qualité de l’enquête » confiée à la sûreté départementale, déplorant qu’elle n’ait pas été délocalisée ni confiée à « un service plus aguerri ».

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