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159 ANS DE PRÉSENCE INDIENNE EN MARTINIQUE

159 ANS DE PRÉSENCE INDIENNE EN MARTINIQUE

Le 6 mai 1853, un bateau en provenance du sous-continent indien, du pays tamoul plus précisément, débarqua les tout premiers travailleurs engagés indiens à la Martinique. Cette immigration devait se poursuive jusqu’à la fin du siècle, transbordant près de 20.000 Indiens dans l’île. Ces « engagés » disposaient d’un contrat de 5 ans au terme duquel ils devaient être rapatriés dans leur terre natale, ce qui fut fait pour un tiers d’entre eux environ.

Les raisons de ce que les historiens appellent « l’engagisme » sont simple : à l’abolition de l’esclavage en 1848, un grand nombre d’anciens esclaves refusèrent de continuer à couper la canne pour les Békés d’autant que le salaire qui était offert aux « ouvriers agricoles » qu’ils étaient devenus était un salaire de misère. « An lanmonné-kod » comme on dit en créole. Confronté à une sévère pénurie de main d’œuvre, les Békés se tournèrent vers l’Etat français lequel se tourna vers l’Angleterre qui, à l’époque, colonisait l’Inde. Des accords furent passés selon lesquels des milliers de travailleurs seraient envoyés aux Antilles pour remplacer les nègres dans les plantations. Cette introduction de travailleurs étrangers se fit avec l’accord du Conseil général de la Martinique dont on sait qu’il était, à l’époque, non seulement composé de Békés et de mulâtres, mais entièrement sous la coupe de la plantocracie békée.

A leur arrivée, les Indiens furent en bute à un vif ostracisme de la part des Nègres qui, au sortir de 3 siècles d’asservissement esclavagiste, ne comprirent pas pourquoi les premiers venaient « sauver » les plantations des Békés. Il faut préciser que les Békés assignèrent les nouveaux immigrants à résidence (sur les plantations donc), les logeant même dans les anciennes cases à esclaves. Les Indiens n’avaient pas, par exemple, le droit de descendre dans les bourgs. D’autre part, machiavéliquement, les Békés utilisèrent nombre d’Indiens, jusqu’aux années 30 du XXe siècle en tout cas, comme briseurs de grève, ces fameuses grèves de début de récolte (janvier-février) visant à obliger les planteurs à augmenter les salaires. On connaît la célèbre chanson : « Misié Michel pa lé ba’y 2 fwan ! ». Evidemment, les travailleurs indiens, provenant pour beaucoup de castes inférieures en Inde et peu éduqués, ne disposaient d’aucun moyen d’échapper à cette manipulation par les Békés. N’ayant pas la nationalité française, ils risquaient aussi être expulsés à tout moment. D’ailleurs, les Békés n’hésitaient pas à dire « mes Indiens » ou, en Guadeloupe « Zendien à Pauvert », du nom d’un planteur de cette île.

S’il est, rétrospectivement hautement condamnable, l’ostracisme dont les Nègres ont longtemps fait preuve à l’égard des Indiens est explicable. « Explicable » ne signifiant pas « acceptable » ! Fort heureusement, dès la fin des années 30, les mouvements socialistes et surtout communistes réussirent peu à peu à intégrer les Indiens dans leur lutte contre les Békés et une nouvelle classe ouvrière nègre-indienne vit le jour. Lors des événements de 1948 au cours desquels le Béké De Fabrique fut décapité dans le Nord de la Martinique, beaucoup d’Indiens participèrent à la révolte et furent emprisonnés, puis traduits en justice.

Depuis lors, les Indiens ont commencé à faire partie intégrante de la culture martiniquaise et leur cuisine, leur religion etc…furent même adoptées pas un certain nombre de non-Indiens. Le madras devint la coiffe « nationale » martiniquaise et le colombo le plat « national ». Progressivement, les préjugés et les insultes décrurent et à compter des années 80 du XXe siècle, on vit apparaître, dans le sillage de Govindin en Martinique et Sindanbarom en Guadeloupe (qui luttèrent pour l’octroi de na nationalité française aux Indiens), des intellectuels indiens, des chefs d’entreprise, des propriétaires terriens etc…Une littérature martiniquaise écrite par des Indiens vit le jour dont le plus éminent à ce jour est Camille Moutoussamy (« Princesse Sita »). Des non-Indiens, comme Raphaël Confiant (« La Panse du chacal »), prirent l’immigration indienne comme sujet de roman ou comme objet d’étude anthropologique s’agissant de Gerry L’Etang. Jean-Pierre Arsaye, intellectuel d’ascendance indienne, écrit sur le quartier « Au-Béro », à Fort-de-France, où furent longtemps parqués, dans des conditions sordides, les Indiens en attente de rapatriement. Un renouveau spectaculaire de l’hindouisme sortit cette religion des plantations où elle était coincée.

Est-ce pourtant à dire que l’Indianité est aujourd’hui totalement reconnue comme une composante importante de la Créolité ? Pas tout à fait malheureusement. Il reste encore beaucoup à faire et, par exemple, il est inadmissible que ce 6 mai 2012 ne soit pas fêté comme il se doit. 159 ans après leur arrivée, malgré les énormes progrès accomplis, les Indiens souffrent encore d’une certaine invisibilité. La raison en est que les principaux responsables du malheur indien à savoir les Békés d’une part et l’Etat français de l’autre n’ont jamais fait leur mea culpa. « Malheur » parce que la traversée de l’Inde en Martinique (3 mois de bateau) fut effroyable et que nombre d’immigrants moururent avant l’arrivée en Martinique. « Malheur » parce que la vie des Indiens sur les plantations békées fut effroyable, ceux-ci ayant été exploités exactement comme les esclaves noirs. « Malheur » parce que les Noirs et les mulâtres, pendant longtemps, firent montre d’ostracisme à l’endroit de ces nouveaux arrivants.

Tant que les responsables n’auront pas été clairement désignés, tant que les atrocités que subirent les Indiens n’auront pas été exposées au grand jour, tant que les Békés et l’Etat français d’abord, puis les Noirs et les mulâtres, dans un second temps, n’auront pas présenté officiellement leurs excuses aux Indiens, il demeurera toujours des incompréhensions et des dissensions qui sont néfastes pour la valorisation de notre identité multiple c’est-à-dire de notre Créolité.

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