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Le rassemblement solidaire du peuple martiniquais à l’épreuve de la créativité

1. PEUPLE, NATION, ÉTAT

Jean Bernabé
1. PEUPLE, NATION, ÉTAT

Tous ceux qui souhaitent mettre en œuvre les vertus cardinales que sont l’écoute, la tolérance, le désintéressement et la solidarité participent naturellement de l’esprit kolétetkolézépol (KTKZ). Leur apport me semble le bienvenu quelle qu’en soit la nature. Pour ma part, adepte d’une démarche de rassemblement solidaire au bénéfice du «dézankayaj» et de l’épanouissement du pays Martinique, je me hasarde dans la présente chronique à proposer en toute liberté des points de vue que j’espère voir accueillis avec un esprit critique et de dialogue, condition d’une créativité collective.

Il n’est pas question ici de s’employer à impulser un néo-populisme marqué par une divinisation du peuple martiniquais et agrémenté d’une mythologie propre à sanctifier trois menaces qui guettent tous les peuples, à savoir l’identitarisme, le communautarisme et l’intégrisme. L’identité, synonyme de fixité, ne concerne en effet que les individus, par définition toujours uniques et différents des autres. Leur personnalité, au contraire de leur identité, est soumise à variation dans le temps. C’est pour cela qu’aux différentes communautés humaines, par nature évolutives, la notion qui peut être appliquée est celle non pas d’identité mais de personnalité. La personnalité martiniquaise est différente de la guadeloupéenne, la barbadienne ou la cubaine, mais il ne saurait y avoir une identité martiniquaise, guadeloupéenne, barbadienne ou cubaine qui échapperait aux changements historiques. D’ailleurs, ainsi que le donne à voir le dernier roman de Confiant (Les Saint-Aubert. L’en allée du siècle), en quelques décennies, le peuple martiniquais a été considérablement modifié par l’effet d’une idéologie assimilationniste, initiée par la classe des hommes de couleur libres. En revanche, les Israéliens intégristes veulent croire au contraire à un peuple d’Israël qui, transcendant les lois de l’Histoire, est propriétaire d’un territoire à tout jamais dédié au peuple juif, le peuple élu ! Raison pourquoi les colons israéliens, grignotant scandaleusement les territoires palestiniens occupés dans le fracassant silence des puissances occidentales et de leurs complices, sont de fieffés identitaristes, communautaristes et intégristes ! S’agissant du mot «identité», je me suis appliqué à relire les œuvres de Fanon concernant la nation afin de l’y relever. Pas une seule fois, je ne l’y ai repéré. On comprend alors aisément que tous ceux qu’a nourris sa pensée critique cherchent à penser le peuple non pas sur une base fantasmatique, mais en s’ancrant dans le réel de sa manifestation, sa structuration et ses enjeux.

Le peuple ne se confond pas toujours avec la nation. Il peut en effet y avoir plusieurs peuples au sein d’une même nation et cette situation peut confiner au communautarisme, phénomène dangereux comme en témoigne le tragique conflit opposant en Afrique subsaharienne Tutsis et Hutus. L’existence d’un «peuple-tribu» béké au sein d’une nation martiniquaise encore peu consciente d’elle-même en est aussi l’illustration quotidienne, au final pas moins tragique. Selon une conception inlassablement développée par Fanon, à laquelle la majorité des Martiniquais n’adhèrent pas encore, le lieu d’ancrage de tout peuple est la nation. Cette non-adhésion résulte précisément d’une malencontreuse confusion, d’origine très largement coloniale, entre les trois concepts que sont ceux d’État, de peuple et de nation. À cet égard s’imposent plusieurs remarques importantes:

  • Le concept d’État-Nation est un concept relativement récent dans l’Histoire et qui remonte à la Révolution Française de 1789.
     
  • Un même État peut, redisons-le, recouvrir plusieurs peuples ou plusieurs nations. Cette situation sera peut-être celle de l’Europe, si elle s’achemine vers le fédéralisme. Il n’est d’ailleurs pas impossible que cette fédération débouche un jour sur une seule et unique nation, comme en témoigne l’existence des États fédérés que constituent les USA. Dans ce dernier cas, l’idée de nation transcende celle d’État. 50 États fédérés, mais une seule nation et, en définitive, un seul État fédéral!
     
  • Il existe des nations avec État et des nations sans État. Ce dernier cas de figure concerne la Martinique. Il ne m’appartient pas dans la présente chronique de décider à la place des Martiniquais si la Martinique doit continuer à relever de l’État français ou si elle doit avoir son propre État. Cette question, d’une grande complexité, comporte des enjeux divers, dont les aspects géopolitiques ne sont pas les moindres. Même si j’ai un avis sur la question, je me garderai, en la circonstance, de l’asséner. Mon but, en l’occurrence, n’est autre que de parvenir à dissoudre les confusions qui obèrent toutes ces notions si cruciales et installent un rideau de fumée, fort dommageable pour la réflexion de tous.

Penser un peuple martiniquais au sein de la nation française aura été et demeure encore une option, voire une réalité institutionnelle, consacrée par la loi de départementalisation de 1946. Mais il est une autre, à mon sens plus favorable à l’épanouissement d’un peuple martiniquais élargi, incluant tout à la fois les Békés et les non-Békés. Cette option n’est autre que la nation martiniquaise, et la prise de conscience de l’appartenance à cette nation peut, grâce à une rupture du communautarisme ambiant, détribaliser la communauté békée (vivant objectivement en marge du reste de la population et pérennisée dans sa posture ségrégationniste en raison de notre appartenance statutaire à la nation française). Autrement dit, dans le cadre d’une Martinique pourvue ou non d’un État, il importe que notre pays se vive comme peuple et comme nation, deux expressions qui font encore terriblement peur, mais ne constituent en rien de gros mots. Cela dit, il y a assurément des conditions à cette mutation, et la communauté békée est celle qui doit en priorité en prendre l’initiative par tous les moyens que ses leaders d’opinion jugeront utiles. Quelques indices d’un changement, pas encore significatifs aux yeux de la grande majorité de nos compatriotes, sont à l’œuvre dans notre société. Il convient de les observer avec vigilance mais sans a priori et, surtout, de ne pas les minorer.

Mandela, après la victoire de son combat contre l’apartheid,  a voulu faire en sorte que la diversité des peuples constituant l’Afrique du Sud relève d’une seule nation, voire d’un seul peuple. Ce souhait ne se réalisera pas en une génération. Cela dit, si la nation ne s’identifie pas toujours à un seul et même peuple, tout peuple a vocation à devenir une nation et toute nation à devenir un État. Seule la dynamique historique est en mesure de régler ou non cette question. En ce qui concerne la Martinique, telle n’est pas ma préoccupation à travers le présent article.

Une pédagogie obstinée, dont les prémisses ont d’ailleurs déjà été posées par les militants anticolonialistes de notre pays pourra dissiper tous les malentendus affectant ces questions et amener le peuple martiniquais à une vision plus réaliste et plus concrète de sa réalité propre. Ne sous-estimons pas la difficulté de la tâche, imputable aux dangereuses opacités de notre histoire. Le travail de «désopacification» s’imposant comme une ardente nécessité, il convient de mettre en œuvre tous les recours permettant d’atteindre l’objectif visé, lui-même au service de l’indispensable émancipation. À cet égard, la réalité linguistique de notre pays nous offre une porte d’entrée des plus adéquates, parmi de nombreuses autres, sur l’approche du phénomène que constitue le peuple martiniquais.

Prochain article

2. La place du langage dans les représentations de la nation

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