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Une histoire à côté de l’histoire

Yves-Léopold MONTHIEUX
Une histoire à  côté de l’histoire

La Martinique n’a pas de héros. Elle n’a ni Toussaint-Louverture ni Delgrès. C’est une frustration. Comment la compenser ? On ne compte pas le nombre de thèses rédigées sur la date du 22 mai 1848 où ne figure même pas le nom de l’esclave Romain, celui par qui ces incidents sont arrivés. Souvent, la mention « un esclave » suffit. C’est dire l’ambiguïté d’une date dont celui qui en est à l’origine, absent des places publiques alors qu’y figure Alain Plénel, ne parvient pas à trouver une vraie place dans l’histoire martiniquaise. Ainsi donc se développe une histoire martiniquaise en parallèle à l’histoire officielle.

La déférence au 22 mai 1848 est d’abord la réponse à une frustration, celle du manque d’histoire martiniquaise. C’est la correction de cette frustration, la conjuration de l’inconfort d’une abolition obtenue sans révolution, venue du colonisateur, comme l’explique Paul Vergès. Sauf que l’historien Armand Nicolas a recherché et retrouvé cette révolution. Celle-ci a eu lieu en Martinique, bizarrement après la signature de l’acte officiel, un mois plus tôt. Suivi par la meute politique, ce dirigeant du Parti communiste martiniquais écrit que les Martiniquais se sont libérés par leurs propres forces. Mais hélas, il n’y eut de 22 mai qu’en Martinique alors que l’abolition a concerné les autres colonies. Il fallait donc leur trouver d’autres dates, on les a trouvés. C’est donc grâce à la Martinique que la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion sont réputées avoir libéré leurs peuples à des dates différentes, dont aucune ne correspond à la date de la signature du décret d’abolition. C’est la cacophonie des commémorations à laquelle s’ajoutent d’autres chapelles résidant en métropole. Sauf le bon sens du professeur Edouard Delépine qui fait un rappel à l’histoire, se faisant ainsi « corneriser » par ses collègues, les historiens laissent faire.

En réalité, le traumatisme du bouc émissaire Joséphine a donné le ton. Qui mieux qu’elle s’identifie à l’esclavage ? Elle fut l’épouse de Napoléon, qui a l’a rétabli. Elle est l’ancêtre des békés. Elle possédait des esclaves. Elle était donc esclavagiste et peu importe que tout le monde le fût à l’époque.  Elle n’a pas pu ne pas peser sur la décision de son mari. C’est trop bon : elle a fait rétablir l’esclavage ! Elle est décapitée en effigie. Les diseurs d’histoires propagent et les vrais historiens, qui savent la vérité historique, laissent faire.

En 1946, c’est la départementalisation des anciennes colonies. Au lendemain de la victoire à laquelle les Etats-Unis ont pris une part prépondérante, le Gouvernement De Gaulle – les communistes confie à Jacques Soustelle assisté par Gaston Monnerville la mission de trouver une formule institutionnelle qui mette fin aux velléités de son puissant allié de s’approprier les colonies d’Amérique. Cela tombe bien, les populations veulent rester françaises, yo lé biskui amériken-a, yo pa lé amériken-a. On fait porter le projet par Césaire qui, en bon communiste et représentant les populations, s’est sans doute laisser piéger. Cela donne un statut obtenu par le seul vouloir des populations. Les historiens ne peuvent pas ne pas savoir qu’il s’est agi avant tout d’une opération de géopolitique, mais ils laissent faire.

Nous sommes en 1975. Le 13 du mois de novembre, il y a débat à l’assemblée nationale. Faut-il recevoir en Guyane des H’mongs qui fuient l’Asie, en proie à un véritable génocide ? Le député Aimé Césaire s’oppose à cette immigration et met en garde le gouvernement contre ce qui s’apparente à un « génocide par substitution ». L’expression est belle. Mais Césaire n’a fait aucune allusion au BUMIDOM auquel il aurait pu appliquer la formule, s’il le voulait bien. Il ne l’a pas voulu. Alors que la controverse sur l’organisme battait son plein en Martinique, il n’a pas fait la comparaison. D’ailleurs on ne connaît au député aucune condamnation de cet organisme, du moins avec une telle intensité. Cependant l’allusion à la Guyane est une aubaine pour les politiques. Les historiens ne se contentent pas de laisser dire que Césaire a dit, ils reprennent la fausse vérité à leur compte. Alors qu’ils auraient pu se demander, eux qui ne peuvent pas ne pas savoir, pourquoi le nègre fondamental n’avait pas profité de l’affaire de H’mongs pour déplorer l’existence du BUMIDOM. Comme Césaire lui-même, ils laissent dire.

Des incidents meurtriers se produisent en 1974 à Basse-Pointe - Lorrain. Trois médecins sont requis pour faire l’autopsie d’un cadavre retrouvé sur la plage.  Ils concluent tous les 3 à une mort naturelle. Il se dit que si le procureur Jacquemin a requis ces derniers dont le docteur Pierre Aliker, Premier adjoint au maire de Fort-de-France, c’est qu’il était assuré du résultat. Car si ces praticiens avaient conclu à une mort précédée de sévices c’était mettre le feu aux poudres. Les médecins se sont-ils laissé compromettre ? C’est la thèse qui a été retenue par la rue sans jamais avoir été confirmée. De la bouche de l’un d’eux on a pu entendre, semblant confirmer la thèse officielle : « tout peuple qui se construit a besoin de mythes ». En effet, un mythe, n’est-ce pas un mensonge, quelque part ? De leur vivant ces praticiens et les historiens, peu curieux, laissent dire.

C’est ainsi que se fabrique l’histoire de la Martinique : une histoire à côté de la vérité historique.

Fort-de-France, le 9 mai 2018

Yves-Léopold Monthieux

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