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Un magistrat italien : « La France couvre les fraudes aux fonds européens »

In "EURACTIV"
Un magistrat italien : « La France couvre les fraudes aux fonds européens »

   Pour ce magistrat italien, ancien conseiller auprès de l’Office européen de lutte antifraude, la corruption peut prospérer en France, car les poursuites judiciaires sont peu fréquentes. Minée par le crime organisé, l’Italie se montre au contraire pugnace.

   Aujourd’hui à la retraite, le magistrat Mario Vaudano* a exercé à Turin, Rome et à Bruxelles au sein de l’Office européen de lutte antifraude. Il a été amené, au cours de sa carrière, à travailler en collaboration avec le juge antimafia Giovanni Falcone, assassiné en 1992.

   Un cas d’escroquerie portant sur 1,3 millions d’euros de fonds nationaux et européens vient d’être repéré en Calabre. L’argent public a été détourné au profit de propriétaires privés qui s’en sont notamment servis pour restaurer leurs villas personnelles. Comment en est-on arrivé là ?

   La Calabre présente certains traits pathologiques. Des fonctionnaires liés aux milieux mafieux  ont parfois infiltré les services administratifs, y compris ceux qui attribuent les fonds européens. D’autre part, des fonctionnaires honnêtes peuvent subir des menaces plus ou moins implicites.

   Lorsqu’un appel d’offre est attribué à une entreprise dont ils savent qu’elle est proche d’une organisation criminelle, ces fonctionnaires renoncent parfois à effectuer de réels contrôles dans l’attribution des fonds. Il n’y a même pas besoin d’une intimidation formelle, car il y a souvent un climat de menace ambiante.

   Dans cette région, l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) est parvenu à récupérer plus de 50 millions d’euros dans le cadre d’une opération qui concernait plusieurs prestations, dont l’épuration des eaux. La ’Ndrangheta est bien implantée en Calabre et l’on peut estimer que 20% des fonds européens attribués à cette région tombent entre les mains de la mafia. La proportion est susceptible d’atteindre 40% en incluant les entreprises et bénéficiaires corrompus qui n’appartiennent pas directement  à une organisation criminelle.

   Dans pareille situation, on peut se demander s’il ne vaudrait pas mieux suspendre l’allocation des fonds européens tant que l’administration n’est pas complètement assainie.  Ce travail a débuté, mais il n’a pas encore abouti à des résultats définitifs. Toutefois, certains fonctionnaires occupant des postes de direction ont déjà été remplacés.    

   Bruxelles insiste pourtant sur la bonne utilisation et le contrôle rigoureux des fonds européens. Dans ces conditions, pourquoi les fraudes perdurent en Europe ?

   Statistiquement, il y a moins de fraudes lorsque les fonds sont directement attribués par la Commission. C’est par exemple le cas dans le secteur de la recherche. Depuis 2004, et après maintes sollicitations de l’Olaf, une banque de données a été mise en place pour identifier les destinataires des fonds européens pour les paiements directs qui représentent aux alentours de 20% du budget européen.

   Cet outil est précieux pour tracer l’attribution des fonds au fur et à mesure. Dans le passé, il arrivait que les mêmes personnes physiques postulent aux appels d’offre alors qu’elles étaient déjà impliquées dans des affaires de fraudes ou d’irrégularités. Il suffisait de créer une nouvelle personne morale pour de nouveau répondre aux appels d’offre ! Avant 2004, ce jeu consistant à passer d’une société à l’autre était le sport préféré.

   En revanche, le problème se pose toujours pour les fonds structurels  : la Commission ne connaît pas le véritable destinataire final auquel elle attribue les fonds au moment où elle le fait. Les fonds sont alloués aux États membres et/ou aux Régions, qui décident des bénéficiaires. Ces derniers ne seront connus par la Commission qu’à la fin du projet et au moment de l’apurement des comptes. C’est-à-dire 5 ou 6 ans après, lorsque l’argent a déjà été attribué et dépensé.

   Des problèmes sont également repérés dans les délégations de l’UE à l’étranger, qui ont reçu au fur et à mesure des pouvoirs accrus de gestion de certains fonds européens. Ces structures emploient, aux côtés des fonctionnaires européens, beaucoup d’agents locaux. Bien qu’utile, cette approche peut provoquer un danger accru de fraudes. On a découvert des fraudes très importantes (par exemple, en Inde ou en Albanie) pour l’attribution de marchés publics visant les équipements de sécurité ou les contrats de location des immeubles abritant ces délégations.   

   Les États jouent-ils le jeu pour faire remonter les cas de détournements de fonds européens auprès de l’Olaf ?

   Quand les États se plaignent des fraudes aux fonds européens, ils sont hypocrites, car ils sont les premiers responsables. En France, dans des régions comme la Corse ou en Paca, des problèmes similaires à l’affaire découverte en Calabre sont repérés. Des témoignages font par exemple apparaître que des fonds européens initialement destinés aux alpages ont pu profiter à la restauration de maisons privées.

   Contrairement à l’Italie, la France n’ouvre que très peu d’enquêtes et fait remonter très peu de signalements à l’Olaf. Comment se fait-il qu’une grande région économique comme l’Île-de-France fasse parvenir à l’Olaf moins de 3 à 4 cas par an, quand une région équivalente comme la Lombardie transmet plus d’une centaine de signalements chaque année ? Et la France n’est pas la seule. En Grande-Bretagne, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas, l’attitude à observer est la même  : « On ne veut pas perdre les fonds européens, donc on couvre. »

   En Bulgarie et en Roumaine, la situation est encore différente, avec un niveau très préoccupant de corruption généralisée, y compris dans le milieu judiciaire et policier. Grâce à un accord avec l’Olaf, beaucoup de signalements de fraudes sont collectés, mais les  procès  peinent ensuite à aboutir à des condamnations. 

   La situation est-elle différente en Italie ?

   Les enquêtes aboutissent plus facilement dans ce pays, car le parquet est indépendant du pouvoir politique. Une dénonciation émanant de l’Olaf déclenche automatiquement une action pénale, on ne peut pas ranger ça « dans les tiroirs ».  

   L’ancien gouvernement  Berlusconi a tenté d’affaiblir la portée du système en  réduisant de moitié les délais de prescription pour l’escroquerie ou la corruption, et en éliminant de facto le mécanisme d’interruption de la prescription même lorsqu’une enquête est déclenchée et qu’un procès est en cours. Le dispositif permet plus difficilement d’arriver à une condamnation pour délit, mais on parvient tout de même à faire admettre la faute administrative, ce qui entraîne un recouvrement des fonds.

   Le gouvernement Monti tente, non sans difficultés, de revenir sur la réforme de Berlusconi. Un projet de loi sera prochainement soumis au Parlement.

   Comment l’Olaf devrait-il évoluer pour mieux lutter contre la fraude ?

   Selon moi, l’Olaf doit devenir le socle d’une police judiciaire rattachée à un parquet européen qui aura les moyens d’agir pour permettre l’ouverture de procès. La Commission est en train de préparer une proposition de règlement visant la création d’un parquet européen, et qui devrait être prête en 2013. Je reste modérément optimiste sur les chances d’aboutir.

   On disait qu’il était impossible d’instaurer un mandat d’arrêt européen. Après les événements du 11 septembre, les États ont pourtant accepté de le mettre en place. La question qui leur est posée est celle-ci : sauront-ils  prendre avec sérieux la menace que constituent la fraude et la corruption, dont se nourrit le crime organisé ?

   

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