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Un Guadeloupéen à Alger / Maître Maurice L'ADMIRAL (1864-1955)

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
 Un Guadeloupéen à Alger / Maître Maurice L'ADMIRAL (1864-1955)

Me Maurice L’ADMIRAL était, avant l’Indépendance du pays, une grande figure du barreau algérien comme en témoigne son parcours : 62 années d'exercice de sa profession, brillant avocat d'assises, membre du conseil de l'ordre coopté bâtonnier par ses collègues européens. Il a aussi été conseiller général du département d'Alger et conseiller municipal d'Alger dans le collège électoral réservé aux indigènes.

 

Roland THESAUROS, militant guadeloupéen anticolonialiste, est connu dans son pays pour avoir choisi (avec Sony RUPAIRE) le camp des Algériens en guerre pour la libération de leur pays.  Après l'indépendance, il va vivre en Algérie quelques années. En 1970, il y prête serment d'avocat au Palais de Justice d'Alger. Le bâtonnier Amar BENTOUMI évoque pour lui le souvenir d’un Guadeloupéen, Maître Maurice L'ADMIRAL, mort quinze ans plus tôt. Roland n'en a jamais entendu parler.

 

Maurice L'ADMIRAL est né le 1er mars 1864 à Basse-Terre d’Ernest LOUIS et de son épouse Alexandrine Amélie ELISABETH. Le biographe Christian PHELINE s'efforce d'éclairer la complexité de sa filiation. Ce n'est pas une mince affaire car l'identité de son père n'est pas facile à préciser dans le contexte d'un système colonial fondé sur la discrimination. La mère d'Ernest Louis, Rosette dit FIDELIN, est née en 1831, à Saint-Claude (Morne-à-Vaches). Libre de couleur, propriétaire d'esclaves, elle a été indemnisée en 1849, après l’abolition. Maurice a 10 ans quand son père, un gros commerçant de Basse-Terre, obtient, au terme d’un combat juridique, le droit d’ajouter à ses prénoms le patronyme de son père, Sextius L’ADMIRAL, un notable blanc mort en 1837.

 

Deux ans plus tard, Maurice L’Admiral quitte la Guadeloupe. Après une scolarité au Lycée Louis Legrand à Paris, il obtient une licence en droit à l’Université de Montpellier. Il exerce une activité de journaliste en tant que rédacteur en chef dans un journal républicain et anticlérical de l’Aude, La Fraternité. Il a 20 ans. On lui reconnaît « une plume habile, alerte, élégante » et on le qualifie de « noble cœur, républicain dévoué et polémiste aussi généreux que courageux ».

 

 En 1886, il prête serment au barreau d’Alger. L’auteur Christian Phéline émet l’hypothèse circonstanciée suivante : «Pour Maurice L’Admiral, l’ambiguïté d’une position native qui participe de la caste des possédants sans effacer totalement les signes d’une origine servile éclaire sans doute l’aisance singulière avec laquelle, à Alger, l’avocat aura pu, dans le même temps, se reconnaître dans le combat assimilationniste des premiers notables indigènes « évolués » et s’imposer, à travers la vie du barreau, comme un membre à part entière de la plus étroite élite européenne. »

 

En 1897, il défend avec succès Lalla Zineb, maîtresse-femme, maraboute à la tête d’une importante confrérie, dans une complexe affaire politico-religieuse. Au début du XXe siècle, pour la France, puissance coloniale, le temps des grandes insurrections (notamment en Kabylie ou dans le Sud-Oranais) semble révolu. Mais le feu couve sous la cendre et en 1901, un sursaut protestataire de villageois dépossédés de leur terre est réprimé à Margueritte. Maurice L’Admiral va brillamment se distinguer en tant que défenseur de la cause indigène dont il restera une grande figure. A Montpellier, 106 inculpés, dont Yacoub Mohamed qu’il a défendu, sont acquittés. « Pour l’heure, nous dit Christian Phéline, l’affaire aura permis à L’Admiral d’endosser pleinement le rôle moderne de l’avocat politique, capable à la fois de transcender la défense d’un cas individuel en une interpellation collective de l’opinion et de prolonger son action, au-delà des limites judiciaires de la procédure jusqu’aux sommets du pouvoir, donnant écho national aux thèses si minoritaires des indigénophiles algérois. » Il va initier la revendication visant à permettre aux musulmans de bénéficier de l'égalité civique.

 

Maurice L’Admiral est selon un Nota Bene de la Chancellerie lors du procès de Montpellier « un trois-quarts nègre de la Guadeloupe ». Le journal L’Illustration le décrit à la même époque comme « un mulâtre foncé ». Il a laissé le souvenir d’un homme de tempérament, au verbe haut, excellent pianiste de jazz, épicurien, aimant les femmes. Bel homme, affichant une certaine « nonchalance dans sa mise », il porte moustache, barbichette et chapeau melon. Son ascension sociale sera symbolisée par son lieu d’habitation ; ceux qui l’ont connu le revoient descendant des hauteurs d’Alger « assis à l’arrière d’une Torpédo blanche décapotable conduite par un chauffeur à peau claire ».

 

Marié (avec Bénédicte Recluz), ayant eu des enfants (deux filles et un garçon), il semble cependant au terme des recherches faites par l’auteur, qu’il n’ait pas eu de postérité. Jusqu’à sa mort, en 1955, il conservera son cabinet d’avocat à Alger. Lors de sa disparition à l’âge de 91 ans, le chroniqueur du Journal d’Alger évoquera chez cet avocat dit par ailleurs tonitruant, un « très doux accent de Guadeloupéen ». Il a eu connaissance de la « La Toussaint rouge » survenue au cours de l’année précédant son décès, qui a marqué le début de la guerre d’Algérie et la fin d’une époque. Le cours pris par les événements fera qu’il sera quelque peu oublié. Mais il a marqué les nouvelles générations d’avocats algériens qui prendront la défense des militants nationalistes.

 

L’auteur de cette biographie est né dans une famille pied noir et il a coopéré après l’indépendance au ministère de l’Agriculture. Il a aussi participé aux débats qu’appelait « la voie algérienne » de développement. Pour lui, le parcours des Guadeloupéens Roland Thésauros et Sony Rupaire, insoumis ayant rallié les rangs du FLN, s’inscrit en droite ligne dans une filiation avec le combat mené en son temps, en Algérie, par leur compatriote Maurice L’Admiral. On doit à Christian Phéline de le savoir.

 

Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES

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