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TRADUCTION-HOMMAGE A JANETH OLGA CASAS DU "BARBARE ENCHANTE"

Raphaël CONFIANT
TRADUCTION-HOMMAGE A JANETH OLGA CASAS DU "BARBARE ENCHANTE"

   Elle frappe sans crier gare. Cette main__qu'elle soit celle de Dieu, du Destin ou du Hasard__est impitoyable et nous laisse désarmés, hébétés. Incrédules même.

   Quand elle s'est abattue sur Janeth Olga CASAS, cette dernière entrait dans la quarantième année de son âge et tout lui souriait tant du point de vue familial que professionnel. Elle avait cette discrétion et cette bienveillance si rares dans le milieu universitaire où l'on vit généralement à couteaux tirés (sous des airs de fausse confraternité). La maladie, survenue de manière foudroyante, ne lui a laissée aucune chance. Quelques mois plus tôt, elle se trouvait sur le campus de Schoelcher à travailler avec une petite équipe composée d'enseignants et d'étudiants du Master Traductologie sur la traduction en espagnol de mon livre Le Barbare enchanté consacré au séjour effectué à la Martinique par l'un des maîtres de l'impressionnisme, Paul GAUGUIN, cela à la fin du 19è siècle.

 

   Janeth avait pris l'habitude de nous visiter à ses frais, elle qui enseignait à l'Université de Los Andes, à Bogota (Colombie), pour nous soumettre sa traduction, s'inquiétant de la justesse ou non de son rendu des expressions créoles et cela devint une sorte d'atelier de traduction auquel Corinne MENCE-CASTER participait de temps à autre, quand ses absorbantes fonctions de présidente de l'Université des Antilles qu'elle était à l'époque lui en laissaient le loisir. Il y avait donc là Malissa CONSEIL, PRCE d'espagnol à la Faculté des Lettres et Sciences humaines et moi-même comme enseignants et s'agissant des étudiants, Karen LAUREOTE, Myriam DANJOU et Erika BRIANTO. Ces dernières étaient inscrites dans le Master "Traductologie" créé par C. MENCE-CASTER et moi, diplôme qui n'existe plus. Cet atelier nous permettait à tous de passer de la théorie à la pratique et nous étions reconnaissants à Janeth Olga CASAS de nous en fournir l'opportunité.

 

  

   La mort frappa notre amie et collègue alors qu'elle était sur le point d'achever la traduction du Barbare enchanté et longtemps, j'avais pensé que cette dernière ne serait jamais publiée. C'était sans compter sans l'amour et le dévouement de sa famille qui me contacta pour savoir si je pouvais trouver quelqu'un capable à la fois de terminer la traduction de Janeth et surtout de la réviser. Longtemps, je ne vis, hélas, personne car il n'est pas facile du tout de prendre le relais de quelqu'un dans ce type de travail. Toute traduction porte, en effet, la marque de son traducteur ou de sa traductrice. Ces derniers sont des êtres qui travaillent solitairement tout comme les écrivains et d'ailleurs sont souvent considérés comme des ré-écrivains. Et c'est alors que le hasard, un heureux hasard cette fois, vint au secours de cette traduction : une étudiante espagnole, Laura MARTINEZ, inscrite en doctorat à La Sorbonne avec le Pr C. MENCE-CASTER. Une fois le contact établi entre celle-ci et la famille de Janeth, tout alla assez vite. Ce qui restait à traduire du Barbare enchanté, le fut et l'ensemble révisé par L. MARTINEZ, cela en l'espace d'un an et demi.

   Et enfin, la traduction est publiée à Bogota !

   Mais il est bon de dire qui était Janeth Olga CASAS...                                            

   En 1999, une étudiante colombienne me contacte pour savoir si je serais d'accord pour diriger son DEA (Diplôme d'Etudes Approfondies), diplôme qui correspond aujourd'hui au MASTER 2, dans le cadre du DEA "Caraïbes, Amériques latine et nord : option ""Didactique du Français Langue Etrangère" de l'ISEF (Institut Supérieur de la Francophonie). Cet institut avait été créé, dans le cadre de ce qui était alors l'UAG (Université des Antilles et de la Guyane), par les Pr Jean BERNABE, pourtant éminent créoliste devant l'Eternel, et Pierre DUMONT, francophoniste. Ces deux universitaires avaient compris que leur établissement devait s'ouvrir sur son environnement naturel à savoir caribéen, sud-américain et nord-américain et que le FLE (Français Langue Etrangère) était une bonne carte à jouer. Grâce à un important soutien du Ministère français des Affaires Etrangères et du Ministère de l'Education du Québec, ce DEA rayonna, dix ans durant, de Fort-de-France à Santo Domingo (Universidad Autonoma), à Port-au-Prince (Ecole Normale Supérieure), à La Havane, à Cave Hill (Barbade) et à Belem (Université Fédérale du Para, Brésil). Nous allions faire des sessions de cours d'une semaine dans ces différents pays et nos étudiants caribéens et sud-américains étaient rassemblés sur le campus de Schoelcher pour des sessions d'un mois ou un peu plus à différents moments de l'année universitaire.  Etudiants dont bon nombre étaient aussi des Nord-Américains. C'était l'époque bénie où la médiocrité intellectuelle et la soif de (petit) pouvoir n'y régnaient pas encore en maître.

   Janeth Olga CASAS s'inscrit donc à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'UAG et rédige un travail de DEA sur "Chronique des sept misères" et "Solibo Magnifique" de Patrick CHAMOISAU, cela sous ma direction, travail brillant s'il en est. Puis, nous nous perdons de vue. 10 ans durant ! A l'époque, 1999, l'Internet n'était pas aussi couramment utilisé qu'aujourd'hui, mais c'est grâce à lui, par pur hasard, que j'apprends que Janeth Olga CASAS a  poursuivi ses études en Europe et soutenu une thèse de doctorat en 2009, à l'Université Catholique de Louvain (Belgique), thèse ayant pour titre "L'Eloge de la Créolité à l'épreuve de la fiction : convergences et divergences dans les romans de Patrick CHAMOISEAU et de Raphaël CONFIANT" pour laquelle elle avait obtenu les félicitations du jury. J'apprends aussi, toujours par le Net, qu'elle enseigne désormais au Département de "Langues et Etudes Socioculturelles" de la prestigieuse Universidad de los Andes, à Bogota, dans son pays donc, la Colombie. Un peu plus de 25.000 étudiants, plus importante université privée colombienne et laïque, Los Andes occupe à l'époque le 5è rang des 100 meilleures universités d'Amérique du Sud.

   Le contact sera renoué, dix longues années plus tard donc, avec Janeth Olga CASAS, mais une fois de plus, ce sera le hasard qui nous réunira : en 2011, le Ministère colombien de l'Education Nationale et l'Ambassade de France en Colombie m'invitent à participer à la cérémonie de rétablissement de l'enseignement du français dans près de 80 lycées du pays. Cette langue y avait, en effet, disparu depuis des années. La cérémonie a lieu à l'Université Santo-Tomas, autre établissement prestigieux de Bogota, et là, je rencontre à nouveau Janeth. Immédiatement, elle me fait part du désir de trois universités colombiennes d'établir des liens forts avec l'UAG, cela d'abord par le biais du FLE (Français Langue Etrangère), mais aussi par celui de la "doble titulacion" ou double diplomation qui permet à un étudiant de Maîtrise, à l'époque, d'être diplômé de deux universités en même temps à condition d'effectuer un séjour d'études dans l'université qui n'est pas la sienne. Quoique n'ayant aucun mandat de l'UAG, je me montre enthousiaste et l'on me prend au mot : on m'emmène sur la côte caraïbe (dite "côte atlantique" en espagnol) où je rencontre des doyens des facultés des Lettres de l'Université de Barranquilla, puis de Cartagena. Je ne prends aucun engagement mais expose les ressources de notre Institut Supérieur d'Etudes Francophones et les possibilités de coopération entre leurs universités et l'UAG. J'y vois surtout un débouché pour certains de nos étudiants de FLE (Français Langue Etrangère) puisque le français a été rétabli dans l'enseignement secondaire colombien. Rentré en Martinique, j'informe les autorités de l'UAG de mes contacts et démarches, mais il n'y aura jamais de concrétisation de quoi que ce soit, ce qui est une autre histoire. Pesanteurs administratives sans doute. Crainte aussi d'envoyer des étudiants dans un pays où les FARC n'avaient pas encore déposé les armes et où kidnappings et attentats étaient assez fréquents à l'époque.

   A mon niveau, je suis content d'avoir pu rétablir le contact avec cette ancienne étudiante, devenue entre temps professeur d'université dans son pays d'autant qu'après sa thèse de doctorat en Belgique, Janeth Olga CASAS avait publié une douzaine d'articles tout à fait remarquables sur l'œuvre de Patrick CHAMOISEAU dont elle est une spécialiste trop méconnue. Elle n'avait jamais oublié la Martinique et sa littérature. Invitée, deux ans plus tard, à un colloque sur le campus de Schoelcher, elle découvre mon livre sur GAUGUIN et se propose de le traduire en espagnol. Je suis d'abord sceptique : autant nous autres, écrivains martiniquais, sommes traduits en allemand, en italien, en hollandais, en grec moderne, en coréen ou en japonais, autant le monde hispanophone et lusophone nous ignore royalement. Je lui montre les traductions de mes livres dans ces différentes langues, mais ne la décourage pas pour autant quoique doutant fort qu'elle puisse trouver un éditeur. 

 

 

   Mes doutes n'étaient pas infondés : la famille de Janeth a dû participer financièrement à la publication de cette traduction. "Nuestra America" selon la belle expression de José Marti ne connaît, malheureusement, guère la Martinique et la Guadeloupe. Janeth CASAS et avant elle, une autre universitaire colombienne fort active, Rosalia CORTES, se sont efforcées de combler ce vide. Grâce leurs soient rendues !...

 

Raphaël CONFIANT

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