En pleine station balnéaire, une ruelle banale. D'une esthétique mal fagotée avec des trottoirs élimés et des craquelures, terreur des talons aiguille.
Pourtant, les coeurs palpitent, les corps ondulent. Les porte-monnaies inassouvis gonflent d'espoir chaque nuit tombée. Une incroyable saga de chair et de sang, entre rires acidulés, minauderies espiègles et regards concupiscents. Ici se nouent de furtives mais décisives rencontres. Soi, rue en thaï ( prononcer so-ï ou so-ye ). Dans le quadrilatère qui jouxte le front de mer, elles sont numérotées. Sur la 6, il a plu. Du macadam, monte l'envie vénéneuse d'enlacer les corps moites. Gorgés comme des madrépores à l'entrée d'un lagon alangui. Cavités spongieuses à remplir d'urgence. Lieux des passions charnelles trop impérieuses pour être contenues.
C'est plus fort que tout. Aucune morale ne résiste. Le crépuscule s'installe. Emmitoufle la ville-lupanar. Les cerveaux commencent à être embués. Une enfilade d'estaminets proposent des formules inclusives. La plus basique: bière + caresses appuyées au bon endroit. L'amour tarifé est une topographie très codifiée. L'option bisous intrusifs s'impose presque à tout coup. Très couru: le paquet-cadeau boissons alcoolisées sans modération + papouilles et suçons ou la variante chatouilles impénitentes et palpations à satiété. Soirée guiliguili gouzi-gouzi avant l'épreuve de vérité pour les durs à cuire.
En cas de forme défaillante, les vestales de ces lieux où les turpitudes sont graduées, savent d'instinct et d'expérience comment requinquer n'importe quel quinquagénaire émollient. Les clients fidèles réclament généralement une spécialité maison du genre mordillement du lobe de l'oreille. Dans tous les cas de figure...plus, beaucoup plus, si affinité pécuniaire. On entre alors dans un domaine à haut risque: physique des métabolismes, mécanique des fluides et émulsions salaces. En guise de laboratoire d'expérimentation, un simple boudoir " short time " suffit. On y accède dès que le désir se fait irrépressible. Presque avec désinvolture tant le rituel est éprouvé. Sur le registre de la libido en phase d'incandescence, il faut toujours être attentif aux premières bouffées. Le bourlingueur un peu trop hardi qui veut brûler les étapes a tendance à s'empourprer, devient vite cramoisi tandis que la naïade complice de son supplice conserve imperturbablement son teint nacré. Ambré si elle est originaire d'Isaan. Prévoir une couche, aux draps immaculés, préférablement immense, propice à toutes les configurations du kama sutra siamois.
Galipettes entremêlées d'étranges éructations. Râles, soupirs et grognements repus. Etreintes illimitées. Renouvelables à profusion. Des dizaines et des dizaines de filles sont là, en accès libre. Frémissantes. Prêtes à n'importe quel déhanchement quand on les frôle. Dans ce biotope à très fort degré d'humidité, les plantes carnivores s'enracinent à merveille. Les charmes tarifés sont leur terreau naturel. Bar girls pimpantes et sémillantes. Elles attendent le gogo en goguette qui se prendra pour un Tarzan rugissant.
Elles sont une flore odoriférante. Lui est le spécimen d'une faune mûe par un instinct atavique. Ainsi va la vie dans le plus grand bordel à ciel ouvert de la planète.
Patrick Chesneau