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TESTS PISA : EN FRANCE, LES MATHS CREUSENT LES INEGALITES SOCIALES

Thomas Messias http://www.slate.fr/
TESTS PISA : EN FRANCE, LES MATHS CREUSENT LES INEGALITES SOCIALES

Un nouveau rapport de l'OCDE souligne l'élitisme du système scolaire français.

Les tests Pisa ne servent pas qu’à classer les pays selon leur niveau dans les principales disciplines enseignées à l’école: ils constituent aussi un terreau fertile à de nombreuses interrogations sur la façon d’enseigner, mais également de prendre en compte la mixité intellectuelle et sociale de nos élèves. Responsable de ces tests, l’OCDE vient de livrer un nouveau rapport assez accablant sur le lien entre le niveau en mathématiques et l’appartenance à telle ou telle classe socio-économique. Et si ses conclusions peuvent sembler évidentes, ce qu’elles disent de la façon dont la France traite ses élèves est loin d’être reluisant.

Au-delà du simple champ des maths, c’est tout l’organisation de notre système scolaire qui est une nouvelle fois remise en cause, celui-ci ne faisant que creuser le fossé entre les différentes classes sociales alors que l’école devrait au contraire pouvoir permettre d’atténuer les inégalités tout en préservant les spécificités de chacun.

Rappelant dans une infographie que 38% des adultes des pays de l’OCDE utilisent dans le cadre de leur travail des notions comme les fractions ou les pourcentages, l’organisation y explique aussi que «les adultes très compétents en numératie sont plus susceptibles de travailler, de bien gagner leur vie et d’être en bonne santé». Savoir se débrouiller avec les chiffres serait donc facteur de réussite sociale et personnelle.

Imperméabilité aux mathématiques ou défaillance?

Dès lors, il est d’autant plus préoccupant de constater que 38% des Français interrogés disent n’avoir jamais entendu parler du concept de moyenne arithmétique (31% sur l’ensemble des pays de l’OCDE). La moyenne est une mesure statistique abordée dès le collège, et même évoquée dès la primaire à partir du moment où les notes chiffrées sont introduites. Et si l’on admet volontiers que le cosinus ou la relation de Chasles ne soient pas des fondamentaux pour s’épanouir au quotidien, savoir calculer une moyenne ou effectuer une division semble relativement vital, que ce soit dans le cadre professionnel ou dans la vie quotidienne.

La réalité, c’est que la France semble être le pays qui creuse le plus franchement le fossé entre les élèves les plus favorisés et les moins favorisés

Lorsque 38% des Français affirment n’avoir jamais entendu parler de la moyenne arithmétique, ils se trompent sans le savoir. Sauf exception, tous ont passé quelques années sur les bancs du collège. Mais le plus choquant, c’est que même sur le tard, dans le cadre d’une année d’étude ou d’une formation professionnelle, personne ne semble leur avoir rappelé ce qu’est une moyenne. En tout cas, cela ne s’est pas imprimé dans leur cerveau, ce qui peut aussi être dû soit à une forte imperméabilité aux concepts mathématiques, soit à l’incapacité chez les enseignants français (je m’y inclus volontiers) de faire comprendre à tous leurs élèves certains concepts mathématiques absolument fondamentaux pour leur vie future. À moins qu'ils aient juste buté sur le mot «arithmétique».

Un enseignement trop abstrait

La réalité, c’est que la France semble être le pays qui creuse le plus franchement le fossé entre les élèves les plus favorisés et les moins favorisés. À la question «avez-vous souvent entendu parler des fonctions du second degré?», environ 80% des élèves favorisés de France ont répondu par l’affirmative, contre environ 42% des élèves défavorisés. Un écart de 38 points qui fait peur lorsqu’on le compare aux chiffres venus de Shanghaï ou de Rome (10 points environ). La France tire ses élites vers l’élite, et laisse vivoter les élèves du bas de l’échelle, sans réelle perspective d’évolution.

L’OCDE tente d’expliquer ces chiffres par plusieurs facteurs. D’abord, des concepts aussi nécessaires que celui de la moyenne arithmétique ne seraient abordés qu’en surface dans certains pays, là où il faudrait les utiliser de façon aussi concrète que possible afin d’en laisser un souvenir indélébile dans la mémoire de nos élèves. À ce propos, on a coutume de citer le modèle finlandais, qui permet à ses élèves de prendre conscience de l’impact de certaines notions mathématiques (cela vaut également dans d’autres matières) dans la vie courante.

L'idéal erroné de l'homogénéité

Les nouveaux programmes de collège et la réforme du diplôme national du brevet ont pour but d’aller vers plus de pratique et de concret, mais ce travail semble encore superficiel. Il faut sortir les élèves les moins «scolaires» du simple cadre de la classe, les placer réellement face à des situations qu’ils pourraient être amenés à vivre en tant que personne (et pas simplement en tant qu’élèves), et remettre l’utilité au coeur de l’enseignement des mathématiques. Certaines notions abstraites et complexes ne servent finalement qu’à pouvoir aborder ensuite d’autres notions, qui elles-mêmes permettront d’en assimilier de plus compliquées, et ainsi de suite. Si les plus scientifiques peuvent y trouver leur compte, les autres auront tout simplement l’impression de devoir grimper les marches trop imposantes d’un escalier qui ne mène vers rien.

Parmi les autres points importants soulevés par l’OCDE, il y a la gestion de l’hétérogénéité des classes. Officiellement, les classes constituées par niveau ont été proscrites il y a bien longtemps (elle est loin, ma classe de 6e A1 de l’année 1994-1995, où l’on avait parqué tous les petits intellos du collège pour éviter que d’autres les perturbent dans leur parcours vers la réussite). Officieusement, il reste pour les établissements qui le désirent quelques façons de contourner le règle. Parents, enfants, enseignants: l’hétérogénéité est vue par une immense majorité comme un problème, alors qu’elle peut au contraire être considérée comme un atout.

On peut non seulement la gérer mais réellement l’utiliser. Faire travailler main dans la main les «bons» et les «moins bons», c’est déjà réduire les écarts. C’est aussi leur apprendre l’altruisme et la diversité des profils. Et c’est comme cela que la salle de classe devient un lieu de vie et d’échanges, et non une machine à creuser les inégalités en confortant les plus aisés dans leur position d’élite tout en enfonçant les autres dans leur mouise.

Perte de temps

Les préconisations de l’OCDE sont nombreuses, mais on peut en résumer plusieurs d’entre elles ainsi: il faudrait offrir le plus longtemps possible un tronc commun pratique et concret à tous les élèves, tout en permettant aux profils scientifiques de suivre des enseignements mathématiques supplémentaires leur permettant d’enrichir leur culture et d’élargir le champ de leurs compétences. Le tronc commun qui se termine en fin de troisième n’est satisfaisant pour personne: quand certains élèves s’ennuient ferme parce qu’ils ont tout compris en un clin d’œil, d’autres ne maîtrisent pas certains rudiments et peinent à comprendre pourquoi on leur parle d’angles inscrits (pour l’ancien programme) ou d’homothéties (pour le nouveau).

Résultat: tout le monde perd son temps. Ces mesures, souligne l’OCDE, pourraient permettre de redonner un peu de confiance aux jeunes gens, dont les maths constituent l’une des bêtes noires (quand ce n’est pas le système éducatif tout entier). Elles restent complexes à mettre en place puisqu’elles signifieraient l’abandon du système collège-lycée à la française, ce qui n’est manifestement pas à l’ordre du jour.

En général, 70% des élèves expliquent qu’ils n’ont pas d’espace dédié pour faire leurs devoirs et que ça se passe au mieux dans la pièce où les petits frères (ou les parents) regardent la télé

Les inspecteurs (dites plutôt IPR) ne cessent de le répéter: il faut entrer dans les mathématiques par le concret, donner du sens, puis se diriger vers l’abstraction lorsque celle-ci devient indispensable. Autrement dit, aligner les exercices de calcul littéral sans que les x et les parenthèses aient le moindre sens, c’est une belle aberration. Il faut rendre les maths moins ésotériques, savoir les désacraliser afin de les rendre moins effrayantes, donner confiance à celles et ceux qui tentent de s’y frotter. Et, devinez quoi, la confiance se situe toujours du même côté.

Des conditions de travail inégales

Les élèves issus des familles les plus aisées fréquentent généralement les établissements les plus favorisés, qu’ils soient publics ou privés. Lorsqu’ils connaissent des difficultés, ils ont souvent la chance de pouvoir se faire aider à la maison. Une maison dans laquelle ils disposent de leur propre chambre, où ils peuvent travailler au calme, dans des conditions idéales. Et si les membres de la famille n’ont pas le temps ou pas les compétences de leur prêter main forte, le soutien scolaire est là pour les aider à franchir les obstacles. En 2013, Libé estimait que 40 millions d’heures de cours particuliers avaient été dispensés en France, ce qui en faisait le pays numéro 1 du soutien scolaire dans l’Union européenne.

Dans les établissements où j’enseigne, qui se situent de l’autre côté de la barrière, j’effectue souvent un petit sondage pour connaître les conditions de travail de mes élèves lorsque le temps scolaire est terminé. Attention, les résultats sont hautement fiables, puisqu’ils sortent uniquement de ma mémoire. En général, 70% des élèves expliquent qu’ils n’ont pas d’espace dédié pour faire leurs devoirs et que ça se passe au mieux dans la pièce où les petits frères (ou les parents) regardent la télé.

La moitié des élèves raconte que personne à la maison ne peut les aider à faire leurs devoirs ou à réviser leurs leçons (un chiffre que j’aurais envie de revoir à la hausse, certains parents avouant qu’ils ne savent pas bien ce qu’ils font lorsqu’ils tentent d’aider leurs enfants). Et il y en a toujours un certain nombre pour préciser que les seuls moments de calme au cours desquels ils peuvent faire leur travail, c’est lors de leurs allers-retours en bus. Que celui ou celle qui pense qu’il travaillerait correctement si son unique bureau était un siège de bus écrive sans tarder à la rédaction.

Thomas Messias

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