Toussaint 2017, ce poème-musée pour raviver les souvenirs en ces temps où tout va tellement vite... la dilution de la mémoire aussi...
SURVIVANCE DE LA “MORTINIQUE” D’ANTAN
C’était la nuit passée :
dans la maison entré
en battant de ses ailes
où la mort est gravée
comme sur une stèle,
un grand papillon noir
sur le mur s’est posé
à la tombée du soir
rafraîchir nos mémoires
que nous sommes mortels,
un sombre messager
venu nous annoncer
que dans la maisonnée
quelqu’un va trépasser
et tous ont frissonné,
au grand-père ont pensé,
malade et très âgé.
Il faut se préparer…
Sa mutuelle est payée
puisque dans les Antilles
on ne plaisante pas
s’il s’agit du trépas
et de son apparat.
Dans le petit cimetière
au bord de la falaise
qui surplombe la mer
où les morts sont à l’aise,
le caveau de famille
a été nettoyé
avec le plus grand soin
comme à chaque Toussaint,
mauvaises herbes arrachées.
Ici dans nos contrées
on n’oublie pas nos morts
et puis on les honore
en leur dernier sommeil.
Noirs et blancs, les carreaux
recouvrant les tombeaux
brillent de mille feux
sous le feu du soleil
y reflétant ses ors.
Des vases pleins de fleurs
de toutes les couleurs
rendent presque joyeux
ce funèbre décor.
À demi consumées,
les bougies dans des verres
témoignent la ferveur
des vivants pour les morts.
Si belle est la lumière,
paisible l’atmosphère
de ce lieu hors du temps
propice à la prière
et au recueillement,
qu’il fait bon reposer
ici tout simplement
comme il a fait bon vivre
en ces années d’antan…
Ce soir ils sont venus,
les gens de son quartier
et tous ceux invités
à la grande veillée,
tous ceux qui l’ont connu,
dire un dernier salut
au grand-père disparu
et tous se retrouver
pour échanger et boire
comme par le passé
sinon à sa santé,
du moins à sa mémoire,
les verres de l’amitié,
de lui un peu parler,
échanger des histoires,
anecdotes vécues
pour dire : il n’est pas mort
et tient son rôle encore,
continuant de souder
autour de son corps mort
toute la communauté.
Partager quelques feux
- le rhum, ça rend joyeux -
ainsi qu’un bon manger
le chagrin atténue !
Il ne manque personne :
c’est un devoir en somme
qu’on ne peut éluder.
On chante des cantiques,
ici en Martinique
ne doit pas s’oublier
le côté religieux.
Chacun à son moment
va s’incliner devant
le corps bien maquillé,
vêtu de beaux habits
dans le cercueil ouvert
à la jolie lumière
des nombreuses bougies.
Dirait-on pas qu’il dort,
qu’il est encore en vie ?
Mise en scène de la mort
moins dure à supporter
lorsqu’elle est faite ainsi…
Puis le conteur alors
entame son débit :
yé cric, crac, c’est parti !
En cercle rassemblés
pour tout autour de lui
pouvoir mieux écouter
tout comme des enfants
la sagesse d’antan
au travers des récits
de père en fils transmis.
On sourit puis l’on rit,
même les plus dévots,
aux kyrielles de mots
remontés du passé
pour nous réconforter
et soulager nos maux
jusque tard dans la nuit,
la veillée passe ainsi…
Lendemain après-midi,
tout le monde ayant mis
ces habits blancs et noirs
soigneusement rangés
dans le fond de l’armoire
que l’on met seulement
pour les enterrements,
se rend incontinent
à la cérémonie
en l’église du bourg
pour l’occasion remplie
jusque sur le parvis.
Puis après le sermon
et les condoléances
aux parents, aux amis,
c’est toute l’assistance
qui marche en procession
(parfois même en fanfare !)
derrière le corbillard
accompagner grand-père
que l’on va mettre en terre
au proche cimetière,
rendre un ultime honneur
à sa dernière demeure
car c’est ainsi qu’ici
l’on vit et puis l’on meurt…
Mariage et enterrement
sont d’importants moments
de cette vie sociale
dans nos îles tropicales
et pour nous l’occasion
de resserrer les liens
de la communauté
autour des traditions.
Patrick Mathelié-Guinlet