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Sur Le pays d’où l’on ne vient pas, de Mérine Céco

Gerry L'Etang
Sur Le pays d’où l’on ne vient pas, de Mérine Céco

Gerry L’Etang a lu Le pays d’où l’on ne vient pas, roman de Mérine Céco, alias Corinne Mencé-Caster.

C’est d’une écriture fluide, presque aérienne, que Mérine Céco traite notamment ici d’un thème peu investigué en littérature martiniquaise : l’absence du père.

Les pères martiniquais sont souvent absents. La structure familiale dominante des sociétés héritières de l’Amérique des plantations, et donc de la Martinique, est la matrifocalité. Elle est caractérisée par la défaillance du père et par le rôle déterminant de la mère qui, plus ou moins assistée par sa propre famille, assume l’élevage des enfants. Cette structuration est si prégnante qu’elle perdure parfois même lorsque le père est présent, ce dernier se déchargeant sur la mère de l’essentiel de l’éducation des enfants.

L’absence du père dont il est question ici relève toutefois d’un schéma particulier. Un Martiniquais tombé amoureux d’une femme lors d’un voyage au Bénin, repart sept ans plus tard retrouver en Martinique son autre famille, ses autres enfants. Il laisse au Bénin une fille alors âgée de trois ans, Fèmi, héroïne du roman, puis décède alors que cette dernière a treize ans.

Le choix du Bénin par l’auteure comme interface de la Martinique dans cette histoire, n’est sans doute pas un hasard. Le Bénin est le plus martiniquais des pays africains. Car Ouidah (sur la côte de l’ex-Dahomey, actuel Bénin) fut le lieu principal d’embarquement des bossales pour la Martinique, après qu’on les aient estampés puis fait faire le tour de l’Arbre de l’Oubli : sept fois pour les hommes, neuf fois pour les femmes.

Cette quête du père se confond ici, et c’est aussi en cela que le récit de ce manque est singulier, avec une quête du pays paternel. Elle commence au Bénin même, où Fèmi se passionne pour Kassav’, fréquente des immigrants antillais, apprend le créole à leur contact, s’éprend de Toni, qui a grandi aux Antilles. Cette quête se poursuit à Paris, où l’héroïne, devenue journaliste, se lie à des Antillais de là-bas. Et elle débouche sur la Martinique. Car Le pays d’où l’on ne vient pas n’est pas Le pays où l’on n’arrive jamais.

Ce pays qu’à la fois elle portait en elle et qu’elle découvre, fait à ce moment-là l’objet d’un projet redoutable : effacer la mémoire collective de ses habitants afin de contrecarrer leurs revendications de réparations pour l’esclavage, la colonisation. A l’oubli de l’Afrique s’ajouterait alors un autre oubli, celui du vécu dans l’île, de ses tragédies.

Cette seconde initiative de suppression mémorielle peut être considérée comme une métaphore de l’entreprise ancienne, continue de dépossession des souvenirs esclavagistes et post-esclavagistes menée par un pouvoir magnifiant, par exemple, l’émancipation républicaine pour oblitérer la servitude d’Ancien Régime, ou sublimant le combat de Schœlcher pour masquer les révoltes d’asservis, ou encore célébrant la liberté pour dissimuler la perpétuation des rapports de domination, ou enfin pointant des ancêtres gaulois plutôt qu’africains.

Ce pays resterait-il un pays si sa mémoire était gommée ?

Mais ce roman prend également en compte un autre risque. Il a trait celui-là aux prolongements internes du déracinement, quand une mémoire refoulée rejaillit en fantasme chez la population concernée, lorsqu’une mémoire empêchée mène à nier le ré-enracinement, quand une reconstruction mythique de l’Afrique dénie la Martinique.

« Ils n’ont jamais pu reprendre le chemin du retour, alors ils ont créé des mythes pour donner corps à leur relation à cette terre primordiale, sauf que parfois, ces mythes les ont dominés, possédés, et qu’ils ne savent plus comment s’en libérer. Ils en viennent même à oublier qu’ils ont fait plus que fabriquer des histoires. Ils ont créé une culture nouvelle, une langue nouvelle, parce qu’on ne peut pas rester éternellement en exil ; on est obligé de baisser la garde à un moment et de faire son trou là où on a atterri ».

Ce roman est important. Il nous renseigne sur le manque du père, sur le jeu des autres sur nos mémoires, sur les jeux de nous-mêmes sur nos mémoires. Sur les instrumentalisations et contradictions en pays dominé.

 

* Le pays d’où l’on ne vient pas, de Mérine Céco, Editions Ecriture, ISBN 978-2-3590-5334-0, Paris, 2021, 287 p., 20 .

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