Les 4 ouvrages qui ont marqué, pour moi, cette année 2020 :
1) Mi nou téléspektatè ! ek dotwa nouvel, Vilarson, Koleksion "Kréyol Matinik", K.Editions, 2019.
L'auteur martiniquais, Vilarson, prend le pari d'enrichir la littérature d'expression créole martiniquaise avec ce recueil de nouvelles jubilatoires. En cette période de dystopie, il nous gratifie d'un opus allègre qui prouve que la langue créole, dans sa dimension littéraire, signifie, aussi, que notre rapport au monde n'est pas toujours conflictuel. A aucun moment, l'écriture joyeuse et exigeante de Vilarson ne nous enferme, nous, créolophones, dans le ghetto d'une opacité qui nous empêcherait d'aller l'amble de la biodiversité linguistique du Tout-Monde.
2) Paroles de griots, présentées par Ahmadou Kourouma, Sculptures d'Ousmane Sow, Ed.Albin Michel, 2003, dans la collection Carnets de Sagesse.
Si ces paroles ne sont pas toutes créations de griots, il n'en demeure pas moins vrai qu'elles frappent l'esprit et le cœur par la profondeur et la subtilité de leur message. Au hasard un petit échantillon de la sagesse yoruba: «Quiconque/ rencontre la beauté/ et ne la regarde pas / sera bientôt pauvre//.» Un autre, du pays bambara : «La nuit est une obscurité, / une obscurité / qui n'est pas vide.//» Un dernier, du peuple Nande, du Congo : «Une fois j'ai demandé à ma mère : "Mais comment fait-on naître la beauté ?" Elle m'a répondu qu'une chose devient belle à force de la regarder.»
3) Un histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours, de Howard Zinn, éd. AgonE, 2002-2014.
Cette histoire se fonde sur le point de vue de ceux dont les manuels parlent peu. Howard Zinn, qui a enseigné l'histoire et les sciences politiques à la Boston University, confronte la version officielle et héroïque des grands hommes (souvent blancs) aux témoignages des acteurs et actrices les plus modestes, Indiens et esclaves en fuite, soldats déserteurs, jeunes ouvrières du textile, syndicalistes et militants des droits civiques, GI du Vietnam et activistes des années 1980 à nos jours et ces derniers viennent battre en brèche l'histoire d'en haut. Une fois de plus, on pense à cette parole griotte : «Aussi longtemps que les lions n'auront pas leurs historiens, l'histoire de la chasse tournera autour de la gloire du chasseur.»
4) Du Morne-des-Esses au Djebel de Raphaël Confiant, roman, Caraïbéditions, 2020.
Il est encore question d'histoire, mais cette fois-ci de la guerre d'Algérie par le prisme de l'écriture romanesque. Et quelle écriture ! De celle qui mêle avec bonheur, originalité narrative et sens de l'image, trois parcours singuliers d'appelés et soldats de métier. Celui de Ludovic Cabont, qui choisit de déserter à la différence de son compatriote martiniquais Juvénal Martineau, qui défend les Pieds-noirs et enfin, Dany Béraud, dramaturge, qui rejoint le FNL à la frontière algéro-marocaine. La guerre d'Algérie, puisque incarnée, nous paraît, ainsi, moins lointaine - alors qu'elle a laissé dans l'imaginaire martiniquais voire antillais des traces non négligeables -.
Serghe Kéclard, Décembre 2020